Friday, October 20, 2017

 

Philippe Jaroussky, tel Salomé, nous offre Handel sur un plat d'argent.


PHILIPPE JAROUSSKY – ARTASERSE – THE HANDEL ALBUM – 2017

Bien sûr que nous regretterons que ce ne soit pas des opéras complets, mais comme ces arias sont tirés d’opéras “moins connus” ces opéras ne sont pas montés, n’ont pas été produits, bref n’existent pas entiers et en plus s’ils l’ont été, ils ne l’ont pas nécessairement été avec Philippe Jaroussky.

Moi qui suis né dans une époque où les opéras de Haendel étaient plus qu’inconnu dans un pays qui avait perdu la tradition ancienne des contreténors, que d’ailleurs ce pays n’avait jamais eue après les castrati disparus au milieu du 18ème siècle. Nous étions portés en ces temps anciens par le ténor héroïque des Allemands et des Italiens, de Wagner et de Verdi, simplement couplé avec la soprano d’autant plus clairement définie que mezzo-soprano, alto et autres voix féminines légèrement plus basses renforçaient la suprématie féminine de la soprano.


Les Anglais avaient gardé la tradition des contreténors dans l’absolue désir d’avoir des chœurs d’hommes dans les universités et dans les églises. Ces chœurs d’hommes devaient avoir les voix les plus hautes pour équilibrer l’architecture du chant choral. Les jeunes garçons étaient aussi utilisés, toujours dans la tradition des chœurs de chanteurs masculins. Benjamin Britten après la deuxième guerre mondiale a souvent utilisé des chœurs de garçons pour ses opéras et ses compositions chorales. Mis à part les chœurs de jeunes garçons et ados dans la tradition ecclésiastique, les scènes continentales européennes avaient perdu ces voix hautes d’hommes.

Cela avait réduit le répertoire de Haendel qui utilisait deux, trois, voire quatre castrati dans ses opéras et autres compositions chorales. Haendel était ainsi réduit à sa musique instrumentale ou bien on donnait des versions réécrites pour des ténors ou pour des mezzo sopranos. Ainsi le Messie survécut-il à cette absurde censure artistique. Mais les Anglais ont eu le dernier mot car à partir des années 1960-1970 les contreténors anglais font leur apparition sur les scènes continentales, grâce entre autres en France à Jean Claude Malgoire qui utilisa souvent James Bowman. Je me souviens même d’un concert du Deller Consort avec Alfred Deller en 1964 ou 65 dans le foyer du Grand Théâtre de Bordeaux. Il est vrai aussi que certaines institutions de programmation et de production d’opéras, dont les festivals, jouèrent le jeu et programmèrent des œuvres qui n’avaient pour la plupart pas été jouées depuis deux siècles. Haendel renaquit de ses cendres de phénix.

Et vint enfin Philippe Jaroussky qui conquit une victoire de la musique dans son domaine du chant d’opéra en tant que contreténor. Il put alors dire que cette voix était enfin reconnue comme une voix à part entière et ce ne fut que justice. Mais on ignore encore trop de l’œuvre de Haendel, soit pas jouée du tout, ou jouée dans des réécritures iconoclastes.


C’est pourquoi cet album est probablement capital dans notre redécouverte de cette musique du 18ème siècle qui n’était pas que celle de Haendel, mais qui régnait sur l’entier de l’Europe qui utilisait les Castrati de façon très systématique, et nous pourrions parler de Mozart, bien que la Vienne de son temps n’étaient pas des plus créatrices. Heureusement qu’il y avait Dresde entre bien d’autres en Allemagne, sans parler bien sûr de l’Italie et du débat avec l’église qui semblait vouloir interdire ces castrati comme étant des êtres de perdition, diaboliques en quelque sorte, et bien sûr la France et l’Espagne ont aussi donnéleur contribution à cette forme d’art vocal.

Cet album donne une vision de Haendel que peu d’entre nous connaissons, et que Philippe Jaroussky en soit remercié. Des opéras inconnus, peu connus, jamais produits dans leur authenticité – autant bien sûr qu’un contreténor se rapproche d’un castrato mais ne saurait l’égaler – vont être découverts pour la première fois par ce choix d’arias de très grande qualité et d’une variété d’expression, de coloration et d’émotion qui montre combien cette voix de contreténor peut exprimer des facettes plus que multiples des passions humaines de l’amour à la haine, de la guerre à la jouissance paisible, de la tristesse à la joie, du recueillement à l’affliction.


Il est bien sûr que Philippe Jaroussky y est pour quelque chose car sa voix, la texture de cette voix, la coloration de ses intonations sont d’une très grande, peut-être immense variabilité, flexibilité, ondoyance et versatilité, cette voix est capable de passer d’un registre à un autre, d’un genre à un autre, et elle est surtout d’une profondeur sensorielle et sensuelle sans égal. On a là un artiste qui laissera sa marque sur notre monde et qu’on regrettera nostalgiquement si cette voix se tait un jour et vient à disparaître.


Dr. Jacques COULARDEAU

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