PHILIPPE JAROUSSKY – ARTASERSE – THE
HANDEL ALBUM – 2017
Bien sûr que nous
regretterons que ce ne soit pas des opéras complets, mais comme ces arias sont
tirés d’opéras “moins connus” ces opéras ne sont pas montés, n’ont pas été
produits, bref n’existent pas entiers et en plus s’ils l’ont été, ils ne l’ont pas
nécessairement été avec Philippe Jaroussky.
Moi qui suis né
dans une époque où les opéras de Haendel étaient plus qu’inconnu dans un pays
qui avait perdu la tradition ancienne des contreténors, que d’ailleurs ce pays n’avait
jamais eue après les castrati disparus au milieu du 18ème siècle.
Nous étions portés en ces temps anciens par le ténor héroïque des Allemands et
des Italiens, de Wagner et de Verdi, simplement couplé avec la soprano d’autant
plus clairement définie que mezzo-soprano, alto et autres voix féminines
légèrement plus basses renforçaient la suprématie féminine de la soprano.
Les Anglais avaient
gardé la tradition des contreténors dans l’absolue désir d’avoir des chœurs d’hommes
dans les universités et dans les églises. Ces chœurs d’hommes devaient avoir
les voix les plus hautes pour équilibrer l’architecture du chant choral. Les
jeunes garçons étaient aussi utilisés, toujours dans la tradition des chœurs de
chanteurs masculins. Benjamin Britten après la deuxième guerre mondiale a
souvent utilisé des chœurs de garçons pour ses opéras et ses compositions
chorales. Mis à part les chœurs de jeunes garçons et ados dans la tradition ecclésiastique,
les scènes continentales européennes avaient perdu ces voix hautes d’hommes.
Cela avait réduit
le répertoire de Haendel qui utilisait deux, trois, voire quatre castrati dans
ses opéras et autres compositions chorales. Haendel était ainsi réduit à sa
musique instrumentale ou bien on donnait des versions réécrites pour des ténors
ou pour des mezzo sopranos. Ainsi le Messie survécut-il à cette absurde censure
artistique. Mais les Anglais ont eu le dernier mot car à partir des années
1960-1970 les contreténors anglais font leur apparition sur les scènes
continentales, grâce entre autres en France à Jean Claude Malgoire qui utilisa
souvent James Bowman. Je me souviens même d’un concert du Deller Consort avec
Alfred Deller en 1964 ou 65 dans le foyer du Grand Théâtre de Bordeaux. Il est
vrai aussi que certaines institutions de programmation et de production d’opéras,
dont les festivals, jouèrent le jeu et programmèrent des œuvres qui n’avaient
pour la plupart pas été jouées depuis deux siècles. Haendel renaquit de ses cendres
de phénix.
Et vint enfin Philippe
Jaroussky qui conquit une victoire de la musique dans son domaine du chant d’opéra
en tant que contreténor. Il put alors dire que cette voix était enfin reconnue
comme une voix à part entière et ce ne fut que justice. Mais on ignore encore
trop de l’œuvre de Haendel, soit pas jouée du tout, ou jouée dans des réécritures
iconoclastes.
C’est pourquoi
cet album est probablement capital dans notre redécouverte de cette musique du
18ème siècle qui n’était pas que celle de Haendel, mais qui régnait
sur l’entier de l’Europe qui utilisait les Castrati de façon très systématique,
et nous pourrions parler de Mozart, bien que la Vienne de son temps n’étaient
pas des plus créatrices. Heureusement qu’il y avait Dresde entre bien d’autres
en Allemagne, sans parler bien sûr de l’Italie et du débat avec l’église qui
semblait vouloir interdire ces castrati comme étant des êtres de perdition,
diaboliques en quelque sorte, et bien sûr la France et l’Espagne ont aussi
donnéleur contribution à cette forme d’art vocal.
Cet album donne
une vision de Haendel que peu d’entre nous connaissons, et que Philippe
Jaroussky en soit remercié. Des opéras inconnus, peu connus, jamais produits
dans leur authenticité – autant bien sûr qu’un contreténor se rapproche d’un
castrato mais ne saurait l’égaler – vont être découverts pour la première fois
par ce choix d’arias de très grande qualité et d’une variété d’expression, de
coloration et d’émotion qui montre combien cette voix de contreténor peut
exprimer des facettes plus que multiples des passions humaines de l’amour à la haine,
de la guerre à la jouissance paisible, de la tristesse à la joie, du recueillement
à l’affliction.
Il est bien sûr
que Philippe Jaroussky y est pour quelque chose car sa voix, la texture de
cette voix, la coloration de ses intonations sont d’une très grande, peut-être
immense variabilité, flexibilité, ondoyance et versatilité, cette voix est
capable de passer d’un registre à un autre, d’un genre à un autre, et elle est surtout
d’une profondeur sensorielle et sensuelle sans égal. On a là un artiste qui laissera
sa marque sur notre monde et qu’on regrettera nostalgiquement si cette voix se
tait un jour et vient à disparaître.
Dr. Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:51 AM