CHÂTEAU DE VAULX
DIMANCHE 22
OCTOBRE 2017
LAURENT MARTIN
– EXALTACIÓN – 2016-2017
L’Espagne, plus
que tout autre pays en Europe est un pays sur la frange, au bord d’un précipice
qu’elle ne fait que courtiser et dont elle n’arrive jamais à s’en éloigner.
Jusqu’au 15ème siècle elle était sous le contrôle et l’autorité des
Maures musulmans et cela permettait à l’Espagne d’être u véritable refuge pour
les Juifs d’Europe. Du fait de cette présence musulmane l’Espagne était en
Europe un pays extrêmement avancé dans les sciences, la médecine et la
philosophie, sans parler de la culture, musique, poésie, littérature,
architecture, etc. Le plus surprenant est le pèlerinage de Santiago de Compostela
commencé au 10ème siècle au départ du Puy en Velay, et la riche
influence chrétienne de l’Abbaye bénédictine de La Chaise Dieu à Burgos. Même
si le Jacques prétendument enterré à Santiago est un mythe, puisque le seul
Jacques, le frère de Jésus, le premier évêque de Jérusalem mourut du fait d’un
long conflit avec les prêtres du temple de Jérusalem, et en premier lieu du
grand prêtre résultant d’un conflit dur avec l’apôtre auto-proclamé des gentils
Paul, anciennement Saul, anciennement prêtre du Temple de Jérusalem. Le maître
des rouleaux de la Mer Morte mourra sur décision illégale du sanhédrin jeté par-dessus
les murs de Jérusalem, forcé de se dévêtir entièrement, de creuse sa tombe, d’y
être enterré jusqu’aux épaules et il sera finalement lapidé là et n’aura pas de
sépulture. C’était en 62 de notre ère. On voit le mythe des deux Jacques, le
Mineur et le Majeur, et de la victoire du Jacques de Santiago sur quelques non-Chrétiens.
Mais ce qui est
important c’est que jusqu’au 15ème siècle l’Espagne vit ainsi
divisée entre trois religions qui cohabitent parfaitement bien entre elles.
Partagée mais pas déchirée, l’Espagne était terre de tolérance et de différences.
La Catalogne est une terre d’art roman qui n’a d’égale que l’Auvergne en France,
autre terre volcanique car l’art roman de l’Auvergne est d’abord et avant tout
fondé sur la wuivre, les flux et reflux magnétiques, aqueux et radioactifs
élevés de ces terres marquées par les bouleversements anciens des montagnes granitiques
et le bouleversement moins ancien des volcans sur cette faille qui est aussi
une ligne de tremblements de terre quasi permanents mais si faibles qu’on les
oublie, les néglige. Ce sont ces vibrations et ces courants souterrains qui sont
la base, la sève de l’art roman auvergnat, mais aussi catalan. Ceci explique
cela : les Maures, les Sarrazins ont été présents en Auvergne jusqu’à une
période fortement avancée et la vierge noire de La Chaise-Dieu est catalane et
daté du 12-13ème siècle. Ceci explique cela : une forte
proportion des Auvergnats ont la peau sombre, comme les Sarrazins et autres
méditerranéens. Mais on voit bien le précipice, la rupture entre les deux.
Roland et Charlemagne règnent en maîtres à Roncevaux.
Mais l’Espagne est
devenu la terre d’un drame, d’un traumatisme sans égal, la décision des
Chrétiens d’Europe de reconquérir l’entier de la péninsule. Ils y arriveront et
ils partiront cinq cents mais grâce à un prompt renfort ils se retrouveront trois
mille en arrivant au port. Cette reconquête est radicale. L’Inquisition
espagnole, bâtie sur le modèle de l’Inquisition des Papes d’Avignon et de la
Croisade des Albigeois mettra un terme final à toute cohabitation avec les
autres. Les Chrétiens d’abord. Les Musulmans hors d’Espagne, et les Juifs
suivront, hors d’Espagne et dépossédés de leurs biens avant de partir. Voilà
une bonne affaire pour les Rois d’Espagne. Cela va leur permettre de financer
leurs aventures transatlantiques et africaines. Ils vont réinventer l’esclavage,
sans oublier que l’Islam en Espagne comme dans le reste de l’Islam avait un
volant d’esclaves venus d’Afrique, donc noirs, venus essentiellement de l’Empire
du Mali. Il sera donc facile pour les Espagnols et les Portugais de reprendre à
partir de l’Atlantique ce commerce plus que juteux et les premiers esclaves des
Chrétiens d’Espagne sont des esclaves domestiques, souvent dans des positions
importantes auprès des grands d’Espagne, comme le célèbre Cortès qui amènera les
premiers esclaves noirs au Mexique, en Amérique, d’Espagne précisément. Et les
autodafés flambent en Espagne pour rappeler à chacun que le sang est le seul
liant de cette Espagne reconquise.
Tout cela s’appelle
un traumatisme historique et ce qui en découle est un Post Traumatic Historical
Stress Syndrome (PTSS historique). Et cela est toujours vrai. L’Espagne de la
cohabitation est un pays aux fortes autonomies locales après le second PTSS
historique de Franco au moins aussi sanglant que celui de l’Inquisition. Et c’est
cette fascination du précipice qui se sent et s’entend dans cette musique. Sans
cesse le piano est joué comme s’il était deux instruments, chaque main jouant
plus contre l’autre qu’avec, et pourtant avec quand même. Toutes les pièces ont
cette facture d’une musique, d’un piano déchiré, torturé, ou plutôt de chaque
main du piano déchirée et torturée par l’autre. N’attendez pas donc des phrases
mélodiques et profondes d’harmonie. Dès qu’il y a un essai d’une main de faire
cela l’autre main revient avec force pour rappeler la réalité de cette terre
espagnole. Manuel de Falla est le plus bel exemple et surtout l’exemple le plus
développé de cette rupture en forme de traumatisme vital, car ce traumatisme
historique de l’Espagne est vital pour l’Espagne comme un tout, autant que pour
chaque région autonome et en particulier les Basques et la Catalogne qui n’arrivent
pas vraiment et totalement à assumer la vie ensemble d’éléments différents car
chaque élément ne serait rien sans les autres de cette Espagne multiple.
Laurent Martin
est alors le maître à penser et à jouer de cette dialectique démultipliée et il
emploie son piano comme pour prouver au monde entier que cette musique est en
fait la musique d’un piano orchestre qui de deux mains nous fait croire qu’elles
sont quatre. Et ajouter à cela un peu de Gitans, si célèbre en Espagne depuis
toujours et surtout Carmen. Joaquin Turina est un maître dans ce domaine. Et sa
pièce Exaltación est un prodige dans la course folle et probablement un peu
mortifère entre les deux mains. La main droite essaie de donner un peu de
mélodie, d’harmonie, mais cela ne dure qu’un temps et une autre rythmique
martelante intervient et éparpille la musique qui ne semble pas vouloir suivre
une seule ruelle, une seule direction. Le piano orchestre est à son summum ici.
Federico Mompou n’est en rien différent. Ses variations sont ainsi la
confrontation de bribes mélodiques qui déraillent, qui flottent vers le haut ou
vers le bas, qui se translatent en tempo et en discordance parfois. Mais n’attendez
pas une belle unité, une ligne bien tracée, mème courbe. Nous faisons dans le
zigzag et ce n’est qu’un seul piano qui fait tout cela. Laissez-vous emporter
dans la tempête sous ce crâne et faites comme Rimbaud dans sa Saison en Enfer,
voletez de droite, de gauche et dans tous les autres sens comme un simple
moucheron à la pissotière de l’hôtel de Verlaine.
Les charmes sont
finalement des outils de fascination, de perdition, de salut, d’hypnose pour
oublier le monde réel de souffrance, d’amour, de joie. Le piano prend alors un
dimension pathétique et démonstrative : vous ne pouvez plus que suivre les
pas plus ou moins lourds de ces notes qui s’épellent et s’égrènent au clavier.
Mais toujours le même « charme » qui vous enlève, vous ravit, vous
emporte au-delà de la raison vers un monde un peu chaotique mais auquel vous
vous trouvez attaché et incapable de vous libérer. Pensez donc à Tristan, ce
pauvre amant par charme interposé. Et il appelle cela de l’amour. Et l’appel au
passé de ce Federico Mompou n’est pas plus libératoire, presque mesquin même et
la joie peut alors arriver mais de la même façon elle est comme un spectre dans
un miroir.
Joaquin Rodrigo
et sa Noche en el Guadalquivir introduit lui aussi un espace musical à plusieurs
niveaux contradictoires qui s’opposent et en même temps construisent une espèce
d’atmosphère commune, unifiée dans une errance dans cet espace d’une couche à
une autre, d’une touche à une autre, d’une souche à une autre sans que jamais
les branches ne poussent de ces racines enterrées et isolées. Cette nuit est
alors comme un vaste territoire à au moins trois dimensions plus la temporalité
des tempi parcourue de douzaines d’êtres invisibles et dont on ne sent que le
souffle un peu glacé sur nos nuques.
C’est beau comme
une catastrophe cosmique, une supernova qui implose et un trou noir qui en
bouffe un autre. Beau comme une odyssée dans un espace qui nous échappe
totalement et où nous devons nous en remettre entièrement aux mains du pianiste
pour ne pas perdre toute notre raison.
Dr. Jacques
COULARDEAU
HECTOR BERLIOZ – PHILIPPE HERREWEGHE – NUITS D’ÉTÉ –
HERMINIE – 1994-1995-2014
Voilà donc deux œuvres
du jeune Berlioz qui mérite un détour de la route qui mène trop facilement à
son Requiem. Les textes de Théophile Gautier sont langoureux de souffrance nostalgique
et larmoyante des amours qui n’ont pas de lendemain sinon du cimentière.
Ah ! Les romantiques. Mais il n’a pas tout à fait son cœur en bandoulière
dans une écharpe de soutien pour bras cassé et coude luxé. Il laisse cela à
Lamartine qui pourra un de ces jours déclamer ses larmoiements au Parlement de
la deuxième république. Théophile Gautier porte lui la révolution d’Hernani en
lui, même si Hernani n’est pas de lui et si en 1841 c’est de l’histoire un peu
ancienne. Alors il se pare d’une douleur d’amour rouge sang et il fume le
cigare phallique de je ne sais quelle frustration ou castration amoureuse. Et
il fume, il fulmine, il se lamente et se plaind de son sort car personne n’est
aussi bien servi que par soi-même dans ce cadre de la plaignerie ou de la
plaintude. Je ne peux m’empêcher d’aimer cependant les sanglots longs de
quelque violon au fond des bois qui essaient de rimer evec les cerfs qui
brâment plus ou moins gaiement, langoureusement ou encore en pleine pitié
d’eux-mêmes, livrés qu’ils sont aux balles et aux plombs des chasseurs sans
compter les feux de forêt si nous en croyons du moins Walt Disney et les
nouvelles sur le vignoble de la Californie du Nord.
Tout un monde qui
nous a bercé de ses sanglots et de ses rythmiques simples pendant les années de
notre école concentrationnaire où nous devions apprendre par cœur et en chœur
ces octosyllabes larmoyants que parfois nous dédiions à nos mamans plus souvent
qu’à nos papas.
Berlioz en fait
des complaintes si profondément dramatiques que même les moindres accents un
peu légers, joyeux sont rapidement tournés en descente dans les Ténèbres de
quelque voyage en mer sans amour ou de quelque visite à un cimentière empli de
spectres et de fantômes qui nous viennent de nos entrailles mentales plus que
des tombes de ces morts vivants. Ils sont plus enterrés dans nos cerveaux
torturés que dans la glèbe de cette nécropole en forme de charnier.
Herrewegfhe fait
un travail d’orfèvre avec cette musique en dentelle de drap mortuaire et le
choix de Berlioz d’avoir une mezzosoprano donne à ces mots, ces phrases, ces
accents une légère coloration ténébreuse qui convient parfaitement à ces
errements morbides parfois dans les joies de l’amour insatisfait et dans le
bonheur des amours perdues. Rien ne vaut mieux la perte que l’amour éternel,
qui ne devient éternel que dans sa perte elle-même, du moins si j’en crois les
experts en dialectique de ce siècle romantique comme Hegel lui-même. Et en plus
Brigitte Balleys, Suisse nous dit-on fortement connecté aux montagnes
volcaniques ou granitiques de l’Auvergne, a la rugosité du basalte qu’il faut
pour rendre étincelantes de tous les feux des candélabres de service mortuaire ces
poèmes de perdition dans la mort de l’amour qui donne à l’amour une existence
sans peur ni sans reproche. Finies les scènes de ménage et les violences
matrimoniales et domestiques. Tout se passe dans l’esprit et la voix de
Brigitte Balleys nous engouffre dans cette fuite en avant vers l’insatisfaction
éternelle de l’amour satisfait dans son absence même.
Alors que dire de
Herminie, cantate pour le prix de Rome, mais échec mon cher Berlioz. Trop jeune
et sans entregens et en plus vous jouez sur un registre plus que dangereux,
simplement glissant. Le thème est célèbre depuis La Jésrusalem Libérée de
Torquato Tasso de 1581 [Herminie : scène lyrique. - Sur un texte de Pierre-Ange
Vieillard de Boismartin. - Cantate pour le concours du Prix de Rome, où Berlioz
obtint un second prix à la majorité absolue. - Date de composition : juillet
1828. - 1re éd. (Malherbe et Weingartner) : Leipzig : Breitkopf & Härtel,
1903, dixit la Bibliothèque Nationale de France] mais le charme de ces amours
contrariées par la religion sont-ils encore au goût du jour au 19ème
siècle ? Probablement plus, et les émois de Herminie contre Clorinde et
vice versa pour le prince chrétien Tancrède venu dans la première croisade
libérer Jerusalem du joug islamique, au point de renier sa foi pour l’amour du
beau prince croisé, semblent un peu dépassés et surtout aliénants. On ne renie
pas sa foi et son essence, son intégrité mentale et sa vérité spirituelle pour
l’amour des beaux yeux d’un Prince Charmant. Il est vrai que Berlioz en fait
une fable héroïco-libidineuse. On conquiert le Prince Charmant à coups de lance
et d’armure, d’exploits guerriers, même quand on est femme. Jeanne d’Arc a
toujours fasciné les Français et voilà donc une nouvelle incanation de cette
visionnaire de l’avenir du monde dans l’amour du Prince Charmant, mais un amour
en rien virginal.
Je dois dire que
la soprano Mireille Delunsch s’adonne à ce jeu héroïco-guerrier de l’amour pour
le Prince Charmant qu’elle conquiert de haute main et de forte campagne, à
l’épée, au sabre et au bouclier, s’y adonne avec un tel délice et une telle
virulence que la Belle au Bois Dormant est à jamais enterrée dans les contes de
fée. Ici nous sommes dans l’épique de l’histoire et nous dansons une sarabande
– en définitive diabolique – un vrai sabbath satanique pour soumettre et
conquérir ce Prince Charmant qui croit qu’il libère Jérusalem alors qu’on la
lui donne pour le soumettre aux envies un peu lubriques d’une paire de femmes
musulmanes qui s’affrontent comme des marchandes de quatre saisons. Cela manque
un peu de la conventionnelle solennité et retenue de bon goût qu’un jury moyen
de Prix de Rome exige de ces candidats auto-proclamés dans leur ambition qui ne
peut être satisfaite que s’il y a soumission aux normes du genre et pas une
annonce fulgurante et sulfureuse de ce qui nous arrive aujourd’hui : la
revanche des muslumans conquis par la guerre croisée qui nous renvoient leur
propre croisade comme on donne une fessée à un enfant pas sage. Il fallait
Berlioz pour ainsi renverser l’histoire ancienne en une annonce de l’histoire
future.
Et Berlioz et si
martial quand il le veut, même en amour.
Dr. Jacques
COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:32 AM