Saturday, June 17, 2017

 

Picasso was not primitive but was primeval, hence at the heart of our Hominization


MUSÉE DU QUAI BRANLY JACQUES CHIRAC – PICASSO PRMITIF – EX¨POSITION ET CATALOGUE – FLAMMARION – 2017

Voilà donc une exposition capitale si l’on veut comprendre Picasso (1881-1973), malgré le terme « primitif » qui est une absurdité coloniale transférée d’en un temps où le colonialisme sévissait en maître d’un crime contre l’humanité jamais reconnu, et dont les dommages sont hélas irréparables. Il est tout à fait évident que le français a besoin d’un mot qui signifie ce que le mot anglais « primeval » signifie et ce n’est pas « primitif ». Picasso nous aide à comprendre que ces arts des civilisations africaines et océaniennes ne sont justement pas primitifs mais touchent aux racines humaines les plus profondes d’Homo Sapiens, celles de notre émergence de la sphère animale et de notre entrée/invention dans la sphère humaine. Ces acines sont les nôtres, et c’est bien pour cela que Picasso nous parle sans le moindre intermédiaire de traduction, d’adaptation, d’explication. Le mot primitif est mauvais car il s’agit ici de la confrontation aux et de la médiation des forces vitales, mentales et spirituelles qui se construisent dans chacun de nous quand on est face-à-face à une force de la nature, que ce soit un orage, un abîme, un incendie ou un accident (naturel ou de la circulation). Nous ne réagissons pas différemment de quelque Homo Sapiens que ce soit, Cro-Magnon ou Inca, Gravettien ou Maya, Papou ou Amazonien, Européen ou Asiatique. Ces réactions humaines sont primordiales à la vie mais en rien primitives. Picasso n’est PAS primitif et les arts africains et océaniens qu’il rencontre sont pour lui la découverte primordiale de l’homme face à son destin naturel ou historique, et l’histoire humaine a commencé il y a au moins trois cent mille ans par l’invention de la langue articulée que seul Homo Sapiens a su inventer et développer. Les peintures de Cro-Magnon, les sculptures de Gobekli Tepe ou les masques africains et océaniens sont la même réalisation du choc-défi de l’homme face à sa nécessité de survivre par la conceptualisation spirituelle et artistique qui lui donne pouvoir sur le monde qu’il s’approprie.

Malgré cette erreur de lexique cette exposition est fondamentale.


Mais les organisateurs feraient bien d’apprendre l’anglais (notons que la plupart des artefacts et des citations ne sont pas traduites. Cependant il en est une qui l’est, à l’entrée même de l’exposition. J’ai moi-même donné la nécessaire explication à trois visiteurs étrangers qui s’étonnaient de l’emploi en anglais du N-word « negro » pour traduire bien sûr le terme français « nègre ». Traduction linéaire à la Google. On peut faire mieux car c’est une traduction erronée.

Le terme « nègre » en français, qui plus est parmi les artistes de Paris, de France et d’Europe, d’expression française, mais aussi ceux d’expression allemande et quelques autres langues de 1890 à 1930, ne saurait avoir le sens négatif que le terme américain « negro » a toujours – en plus souvent réduit par les accents du sud à « nigger » – je dis bien les deux – et ce depuis le premier jour aux USA et même avant dans les colonies anglaises, le sens d’un terme de rejet de l’humanité soit comme animal noir, soit comme esclave, les deux allant de paire. Ces deux termes correspondent en valeur au terme français de « sale nègre ». On pourrait d’ailleurs demander à Schwarzenegger l’origine de son nom qui signifie en allemand « nègre noir », un pléonasme intéressant. Ceci bien sûr doit gêner les étrangers qui utilisent la langue anglaise, principalement dans son emploi américain comme intermédiaire des nombreuses citations françaises non traduites sauf pour celle de l’ouverture de l’exposition. Mentalement, et en ceci incités par cette citation d’ouverture et sa traduction, ils établissent l’équivalence erronée « nègre » = « negro ». Une mention spéciale était nécessaire à l’entrée pour bien préciser que le terme « nègre » ne saurait avoir un sens négatif dans les citations de l’entier de l’exposition. Certainement pas pour Picasso.


Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir trouvé la moindre mention qu’ « en 1966, le Festival mondial des arts nègres, organisé à l'initiative de la revue Présence Africaine et de la Société africaine de culture par Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal décolonisé, a constitué un événement sans précédent dans l'histoire culturelle du continent africain. » ( d’après Wikipédia) Senghor et d’autres poètes noirs d’Afrique ou des Antilles revendiquaient alors le droit d’utiliser le terme « nègre » comme un terme noble. Il ne saurait en être question aux USA, ni hier ni aujourd’hui. On aurait bien sûr dû dans cette foulée citer Franz Fanon, psychologue et philosophe noir des Antilles. Il est absent. Je ne semble pas non plus avoir aperçu l’« Anthologie Nègre » (1921) et « Les Poèmes Nègres » (1922) de Blaise Cendrars. Lisons un de ces petits poèmes nègres regroupés sous le titre « Les Grands Fétiches » rencontrés et composés au British Museum en février 1916 :

« -1-
Une gangue de bois dur
Deux bras d’embryon
L’homme déchire son ventre
Et adore son membre dressé »


Il n’y a rien de plus primordial dans ce désir de fertilité et de fécondation du monde pour pouvoir survivre. Ce qui est étrange c’est que l’exposition dans sa deuxième partie tend vers cette abstraction, mais si l’on garde l’ambiguïté non précisée du terme « primitif » ou du terme « nègre » on a alors dans cette obligation de faire survivre l’espèce humaine, l’obligation de cette Afrique noire qui permit à notre espèce d’émerger et ensuite de conquérir le monde entier car tous les hommes sont ou viennent d’Afrique, une dérive de sens regrettable. « On vous le disait bien que c’étaient des animaux ! » et cette dérive de sens implique une seconde dérive. « Heureusement que nous ne sommes pas comme ça ! »

Ai-je suffisamment rendu clair ces deux critiques fondamentales ? Je le pense. Alors en quoi cette exposition est-elle formidable ?


D’abord et avant tout pour les deux raisons que je viens justement d’exposer. Elle nous fait pénétrer au cœur de l’hominisation (je ne dis pas de l’humanisation) d’Homo Sapiens commencée il y a au moins trois cent mille ans. Nous sommes au cœur de l’aventure humaine tant dans ses formes les plus anciennes, les plus éloignées de la norme et même des normes de la vision auto-satisfaite occidentale d’un développement qui rejette tout le reste du monde dans le sous-développé, le primitif, le tiers monde, voire le quart monde, le sud, et je ne sais quoi encore.

Le colonialisme occidental est un crime contre cette humanité, commencé dès l’arrivée des premiers Indo-Européens en Grèce et en Europe, bien que les Phéniciens sémites avaient bien avancé dans la colonisation de la Méditerranée, pour ne parler que de ce qui va devenir le monde occidental. Je revendique ma commune humanité avec tous les noirs, les nègres et les Africains qui ont conservé leurs cultures, leurs langues, leurs civilisations, leurs identités. Ils sont les descendants de mes ancêtres.

Ensuite parce qu’elle est un véritable manifeste antiraciste qui rend à « nègre » la plénitude de sa dimension la plus humaine surtout qu’Homo Sapiens a émergé il y a au moins trois cent mille ans en Afrique, du continent nègre.

Mais l’exposition a deux volets et donc deux intérêts supplémentaires.


La première partie est un cheminement chronologique de Picasso et de bien d’autres autour de lui à la découverte accidentelle puis systématique de l’art nègre dès la fin du 19ème siècle. Le poème d’Apollinaire composé de sa prison de La Santé, « A la Santé » justement, pour avoir emprunté sans probablement l’intention de le rendre quelque masque africain dans une exposition du début du 20ème siècle est fondamental pour comprendre cet engouement des artistes pour l’art africain. Cet enfermement est pour lui un processus de mise à nu de son humanité la plus profonde qui justifie son vol et trouve sa force dans ce masque volé.

« Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu.
[…]
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison. » (Alcools, 1898-1913)


De très nombreuses citations, d’aussi nombreux moments de rencontre sont ainsi alignés aux murs d’année en année. L’art africain et les artéfacts nègres multiples prouvent le quotidien de Picasso et ses amis dans ce contact, ce commerce même permanents avec ces formes de pensée artistique et spirituelle qui nous renvoient au souvenir hallucinant de ce que fut notre passé et de ce qu’est notre présent. Cela détermine-t-il notre avenir ? Oui, si nous savons retourner à l’inspiration de notre mère nature et à la force de la symbiose spirituelle avec elle.

La deuxième partie est en « abyme », un mot à la mode chez les critiques hollywoodiens et américains. L’art de Picasso d’un côté et l’art africain et océanien de l’autre, face à face, tête à tête, masque à masque. Cela ne parle que si l’on oublie cet « abyme »-là pour poser des ponts, des passerelles, des voies de passage de l’un à l’autre. Le directeur de cette exposition a systématiquement cherché des œuvres d’art africain et océanien qui sont comme des miroirs d’œuvres de Picasso (et non l’inverse puisque ces ouvres africaines ou océaniennes étaient inconnus de Picasso lui-même). Il est alors frappant comme un spectre dans je ne sais quel opéra ou comme un esprit maléfique dans je ne sais quelle maison hantée que Picasso n’a rien inventé mais qu’il a ré-inventé, re-distribué et ré-organisé les mentalismes humains les plus fondamentaux, primordiaux comme j’ai déjà dit. Laissez-vous porter par la puissance de ces choix et ces face-à-face. Vous devriez en éprouver un certain vertige devant une telle universalité.


Quelques remarques finales.

La Vierge romane de Gosol qui ouvre l’exposition est une excellente idée car c’est de là que Picasso et nous tous sortons, souvent d’ailleurs en l’ignorant, voire en le niant : notre monde est la réécriture chrétienne, romane surtout et éventuellement gothique, de la vision humaine primordiale d’ont j’ai parlé, et Picasso partant de là va retrouver une élévation sublime dans l’art nègre.

Dans la librairie-boutique, je regrette l’absence de l’ouvrage Aragon-Picasso-Shakespeare des Editions Cercle d’Art (Paris 1965) qui contient les reproductions de dessins de Picasso sur Shakespeare et Hamlet avec une introduction de Louis Aragon.


De la même façon je regrette l’absence de l’ouvrage de Roger Garaudy, D'un Réalisme sans rivages : Picasso, Saint-John Perse, Kafka, préface de Louis Aragon, 1963, qui mettait en « abyme » dirions-nous la pensée communiste de Pablo Picasso lui-même face à sa prophétie artistique et au sectarisme du réalisme socialiste qui a régné en maître pendant la plus grande partie de sa vie.

On pourrait aussi regretter l’absence de Blaise Cendrars qui a tant donné à l’art africain. Cette exposition aurait pu alors devenir le centre d’un mouvement autour de la réhabilitation de l’art africain et océanien et de l’influence indélébile que cet art a eu et a encore dans la peinture, la poésie, la littérature, bref en un mot la vie spirituelle de l’occident européen, et j’insiste même sur l’importance de ne pas inclure les USA dans cet héritage. Ils sont et restent, bon gré mal gré, des esclavagistes qui n’ont toujours pas réglé leur passif.


Si les ouvrages suggérés n’étaient pas disponibles, il eût été une bonne chose de provoquer leur réédition. Pablo Picasso coupé de son engagement politique est comme un masque africain en bois de pin sylvestre des Landes. Cela plairait au Maire de Bordeaux, l’ancien comme le nouveau, mais cela serait une trahison culturelle.


Dr. Jacques COULARDEAU 



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