ORCHESTRE A CORDES DE LEMPDES – PATRICK BRUN – IMPROMPTU – 2011
La région
Auvergne a une histoire d’amour pour les orchestres de cordes. Cela ne peut
être qu’un héritage de la vielle à roue si ancienne dans nos montagnes. Et
pourtant nous avons aussi les vents avec la cabrette et l’accordéon de Giscard.
Mais rien n’y fait, restons dans les cordes.
Les cordes quand
elle se liguent en brigades ou en légions ont une variété suffisante pour créer
un véritable univers parfois cosmique, parfois virulent, parfois sentimental ou
romantique dont on aime les sanglots longs le soir à la brune dans les bois, et
dieu sait si nous en avons des bois dans cette région. Les cordes sont un
ensemble si flexible, malléable et dynamique qu’il peut être un tout en soi,
même quand elles se mettent en formation réduite. On remarquera cependant que
la formation ici contient quelques invités ce qui ajoute un hautbois, un
clavecin, une harpe, vibraphones et timbales, quand nécessaire.
Ce disque a un
autre avantage que les cordes rendent fascinant, c’est de pouvoir jouer toutes
les périodes, tous les styles, y compris la musique moderne qui a intégré la polyrythmie
africaine grâce aux esclaves du trafic transatlantique qui n’était pas un
commerce mais une contrebande illicite et vicieuse même si officielle et si
elle a fait la richesse de Bordeaux, Nantes, Rouen et quelques autres villes
portuaires. Du moins c’est un potentiel rarement utilisé car les orchestres de
cordes ne sont pas la norme dans la musique nord-américaine et dans la musique
dite pop, rock, gospel, jazz, soul ou R&B, hip hop et rap. De cordes
ils ne connaissent souvent que la guitare et encore électrifiée.
Et c’est un peu
ce que je regrette ici car le CD ne donne pas beaucoup de cette musique du 20ème
siècle pop ou non, alors que je les ai entendus en concert à Olmet récemment et
là ils ont osé donner des pièces de compositeurs argentins et américains qui ont
cette richesse de polyrythmie si typique de notre monde musical actuel.
Il faudrait maintenant
parler de la musique, n’est-il point ?
La direction est
ample et majestueuse mais peut-être un peu trop bien ordonnée et tempérée. Il y
a dans le film the « The Peacemaker » avec Clooney and Kidman, une
brève leçon de piano quelque part en Bosnie et le professeur de piano montre à
son élève comment on peut varier l’émotion exprimée en simplement jouant sur le
rythme, la force ou la douceur des notes, donc le toucher et même l’accompagnement
de la main gauche ou des arpèges de la main droite qui peuvent ralentir,
accélérer ou simplement amplifier le rythme. Peut-être que les pièces choisies
ne s’y prêtent pas assez. Pourtant dieu sait si la « Danse de l’Ours »
de Claude-Henry Joubert s’y prêterait car l’ours n’est pas un automate mais un
animal très sensible et variable, parfois imprévisible. Il y a dans l’ours
aussi une dimension si romantique, sentimentale, fascinante. Vous êtes-vous
donc jamais trouvé nez à nez avec un de ces petits ours noirs dans une réserve
californienne où vous auriez campé pour la nuit ? Le petit- ours brun vous
regardera et nonchalamment se retournera et partira dans le sous-bois
nonchalamment sur ses deux pieds, j’entends debout sur ses pattes arrières.
Surtout ne lui donnez rien à manger : il est sauvage et n’est donc pas
dépendant de la nourriture humaine.
Les autres scènes
roumaines s’y prêtent aussi bien et il y a une tentative mais les lancinantes
notes isolées de « Dans l’Église de Braila » me semblent trop
homogènes et donnent une vision plutôt froide et menaçante de ce qui pourrait
être inquiétant et fascinant.
Le travail
musical des musiciens est précis, juste, bien lu et bien sûr conforme à la
partition, peut-être un peu trop. Laissez donc la « Fête à Bucarest »
s’envoler dans la joie et la poussière du soleil.
On aimerait peut-être
que cette formation stabilise sa composition – difficile quand on a les élèves
d’une école de musique – et se lance dans une œuvre plus ample qui pourrait
enrichir la palette de l’émotion, de l’empathie des violons et autres cordes
qui peuvent scander la pire terreur autant que la plus triste et même sardonique
histoire d’amour loupée, perdue, enfuie, comme la « Méditation de Thaïs »
de Massenet. On aimerait en entendre plus de cette musique, mais ne suis-je pas
illusionné par la participation de Hiroe Namba comme soliste de cette pièce, la
violoniste invitée. La musique semble même se perdre totalement dans les limbes
de je ne sais quelle inconscience avant de retomber sur terre dans la plus pure
contemplation intérieure quasiment ombilicale.
Les deux mouvements
du concerto de Telemann tiennent leur charme et leur puissance au fait que les
solistes sont un alto et un violoncelle. L’alto est un instrument souvent
négligé dans la gamme des cordes alors qu’il a la virilité puissante de son ton
un peu sombre comme l’adolescent qu’est le violon quand il passe la dernière
mue de l’âge adulte vers vingt ans, celle de la perte de sa virginité d’argent
et je dois dire que François Schmitt en fait un vrai prodige de cet alto
soutenu en arrière par les violons plus réguliers. Le violoncelle lui est un
instrument si féminin qu’il en est érotiquement chantant, disons même
probablement sexuellement attirant pour beaucoup et Bénédicte Piat en fait un
vrai plaisir diabolique comme dans les Sorcières d’Eastwick. Il ne manque
vraiment que la grande basse de Jack Nicholson pour que le Sabbat commence.
Je suis moins
convaincu par le « Chant des Oiseaux » de Pablo Casals. Pièce de
circonstance plus que d’émotion. Pièce pratiquement de conservatoire, peut-être
naturel et plein d’oiseaux.
L’ « Impromptu »
de Jean Sibelius est enfin capable de sous-tendre une rythmique superficielle
par une rythmique profonde même si elles sont presque concomitantes, la
souterraine peut-être à peine syncopée mais puissante et inquiétante ; Ne
croyez pas ce que vos yeux vous disent. La réalité est souvent bien autre. Et
on peut alors se lancer dans une musique de surface plus dynamique qui efface l’inquiétant
de la profondeur. Qu’il est doux d’en rester à la surface des choses ! Au moins
on ne peut pas se noyer dans une onde trop profonde. Ophélie est sauvée. Et
Hamlet est allé mourir seul plus loin dans la profondeur d’une tombe, ce qui alanguit
la fin du morceau qui retrouve un peu de l’abattement du début mais sans la
rythmique profonde et sombre de la mort qui nous tient et tire par les pieds
comme on se permet parfois de tirer le diable par la queue ou par les cornes.
Dr. Jacques
COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 3:27 AM