Monday, April 10, 2017

 

Ils ont manqué le vice, le pervers, le lubrique dans cette pornopolitique


ALFRED DE/MUSSET – LORENZACCIO – COMÉDIE FRANÇAISE – 1977-2010

Si on le traite en thriller comme Jean Louis Martin Barbaz l’a fait il y a quelques années au Studio théâtre d’Asnières, cette pièce a tellement vieillie que cela en devient une caricature. Mais si on traite cette pièce en pamphlet politique on a alors une modernité incroyable, bien qu’en 1977 cette modernité était encore bien hésitante sous Giscard. Mais aujourd’hui c’est devenu la mode et la norme. Un bon homme politique finit nécessairement en justice pour des babioles comme accepter un pain au chocolat qu’une boulangère lui a donné un matin qu’il se promenait sur une avenue de la ville dont il est maire, de la circonscription dont il est député, du département dont il est sénateur, ou simplement du pays dont il est président. Qui plus est l’arme judiciaire est devenue aujourd’hui une arme de domination politique pour les politiciens un peu politicards au pouvoir.


De quoi s’agit-il dans la bonne ville de Florence ?

Il y a bien des républicains qui voudraient faire un Florencexit contre Charles Quint l’empereur allemand et contre le Pape qui tous deux font régner leur ordre dans la ville en maintenant au pouvoir la famille des Médicis par tous les moyens et sans le moindre contrôle d’un quelconque conseil élu ou vraiment représentatif. La seule liberté que les gens ont à Florence est celle d’être banni car pas d’accord avec la dictature feutrée mais qui emploie le poison comme nettoyeur politique, ou l’épée comme éradicateur social, la prison aussi comme ramoneur des consciences, ou l’orgie et l’asservissement sexuel ou simplement le viol si non-consentant, car à Florence on ne dit non que pour augmenter l’excitation du prétendant amant, et qu’on soit clair on ne fait pas trop de différence de genre au niveau de la victime de cette violence. C’est dans un style recherché : « Qu’importe le genre pourvu qu’on ait la jouissance ! »


Cela donne une société où l’orgie est devenue la forme banale de toute célébration ou de tout divertissement et cette production se permet de nous donner une extrêmement évanescente illusion ou allusion à cette orgiaque pratique avec des « fêtes galantes » assemblant quelques douzaines de figurants, ou avec Lorenzo, alias Lorenzaccio, ne lésinant pas sur les baisers langoureux avec les femmes comme les hommes, et il n’est pas le seul. Son rapport physique avec Alexandre Médicis qu’il va assassiner est des plus rapproché, langoureux, corporel, quasiment lubrique, bien que bien sûr entièrement habillés. La Comédie Française en 1977 n’aurait jamais osé montrer un bout de fesse et un morceau de sein. « Cachez fesses et seins que je ne saurais vouloir voir, Mais promenez vos mains, sur, sous et dans mes braies sans gêne. » Désolé pour les extensions de ces alexandrins qui en s’en érectionnent malins et coquins.


Que ce soit donc les représentants de l’église du Pape au plus petit curé, les membres (à tous les sens du terme) de la famille des Médicis et leurs courtisans et courtisanes, et tous ceux qui ne vivent et survivent qu’en servant le Duc de Florence, tous sans exception, sans réticence et avec un assouvissement de leur désir d’esclavage profitable, tous acceptent de faire tout ce que le Duc leur dit de faire, du plus ordinaire comme allumer un flambeau au plus abject comme de lui donner jouissance et extase à chaque instant que cela le démange. Et la Comédie Française en restant prude sur les déshabillés de ces orgies, malgré le metteur en scène Franco Zeffirelli qui sait pourtant faire dans la mise en scène des dénudés, manque une grande partie du sens et de la motivation de Lorenzo, alias Lorenzaccio dans son désir d’assassiner le Duc : à force d’être pris et repris par ce Duc, Lorenzo a envie de se libérer de son écrasante domination et pénétration pas seulement mentales. Oh ! Combien la scène de la chambre de Lorenzo où le Duc va être assassiné, et la scène même du meurtre approchent d’une réelle perversion orgiaque mais en ne la faisant que tellement métaphorique qu’elle en devient un cri étouffé d’un désir refoulé dans son assouvissement bestial (pour le Duc bien sûr, Lorenzo n’en est que le jouet), et l’épée laissée là en cas de problème pour le Duc devient l’arme de l’assassinat, en définitive en légitime défense de son corps par trop souvent souillé et violenté. Car pour Lorenzo, alias Lorenzaccio, il n’y a aucune dimension politique dans son acte, simplement une vengeance de l’ignominieuse soumission à laquelle il s’est abandonné pendant si longtemps. « Qu’importe l’abjection, quand on tue le rapace. »


Et les républicains qui juraient leurs grands dieux qu’ils allaient prendre le pouvoir se plient à un crime de plus, Lorenzo lui-même, un crime dûment et chèrement récompensé et l’assassinat du Duc ne fait que renforcer encore la dictature étrangère sur cette ville mythiquement sublime. Et elle en est ainsi une fois de plus violée.


Rien de change dans la politique et si vous avez en plus des élections dans ce monde vous pouvez être sûr que chaque candidat sera la cible des assassinats les plus ignobles pour ne laisser qu’un seul survivant, ou au mieux deux pour avoir un choix, et être sûr ainsi que ce sera l’élu des puissants désignés par eux avant même l’élection qui n’est qu’une formalité en trompe l’œil. Et il ne restera pour tout le monde que les orgies du pouvoir, l’ivresse de l’oubli, la culpabilité de l’outrance et la folie de la repentance.


Cette production a le début d’une réalisation de ce cri d’impuissance tant politique que sexuelle qui annonce en Musset, Baudelaire et ses Fleurs du Mal et surtout Rimbaud et sa Saison en Enfer. Mais on manque le lascif, le lubrique et le pervers qu’on entend vaguement au détour d’une phrase mais qu’on ne voit jamais comme cela devrait être au théâtre puisque le théâtre donne à voir les émois de l’âme, les rancœurs des petits et les crimes des puissants. Mais de la glace italienne nous n’avons que la gaufrette du cornet, le bâton de l’Esquimau. « Bonbons Caramels Esquimaux Chocolats, nique, nique, tique, tique, mique, mique, pique, pique ! » Mais qu’avez-vous sous le jupon chère ouvreuse, ou pour rester dans le classique nous pensons à « Phèdre fill‘ de l’ouvreuse et du sapeur-pompier. » Voilà ce qui arrive quand on a de gros budgets et qu’on confond profondeur du sens avec brillance des costumes.


Dr. Jacques COULARDEAU



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