STEPHANE BELMONDO – THE SAME AS IT
NEVER WAS BEFORE - 2011
Un trompettiste, d’abord et avant tout qui a donc joué toute sa vie durant dans
des formations de jazz ou plus légères mais ici qui s’adonne aussi à des
morceaux qu’il porte de son propre nom, donc comme compositeur. Le titre
anglais est bien sûr une provocation. Comment prétendre faire dans le jazz
autrement qu’en anglais ? Mais comme dirait Steinbeck : « Prenez
n’importe quelle musique dans n’importe quel genre ou pays et improvisez dessus
en tempo syncopé et vous avez du jazz. » Il disait cela dans l’ancienne
Union Soviétique. C’est la pratique la plus courante de son frère Lionel, à
notre Stéphane, qui prend des morceaux classiques et les déjante en jazz, les
dé-jazze en quelque sorte.
Stéphane Belmondo reprend une pièce sur deux à des artistes de langue
anglaise et probablement américains. Et cela donne de la variété en style alterné
comme un tissu pied de poule.
Le premier morceau de Stéphane Belmondo est nostalgique en diable et m’évoque
le vertige contemplateur qu’on peut développer d’une cime de montagne plus ou
moins élevée quand devant vous, sous vos pieds ou presque, à vos pieds pour sûr
vous n’avez que le vide et l’envolée tombante si par malheur vous oubliez d’ouvrir
vos ailes musicales pour descendre en vol plané.
Stevie Wonder donne ensuite du rythme, de la joie, car lui il ne voit pas
le vide sous ses pieds et donc il peut danser sans s’arrêter quel que soit le
climat ou le paysage. Par contre Habiba de Kirk Lightsey introduit un sous-bois
plutôt simple pour la trompette ou autre cousine dérivée ou cousin mal luné qui
peut alors s’introduire et montre son caractère grincheux, hésitant, un peu
révolté ou insoumis qui se demande s’il doit aller à droite ou à gauche, s’il
doit s’envoler ou se poser, plonger ou faire la planche. Il joue même d’une
sorte d’écho de lui-même, une voix de tête de sa voix de poitrine. Très bonne
introduction à ce qui vient ensuite, le corps principal de ce ou cet ou cette
Habiba qui me rappelle Habib Bourguiba dans ma mémoire ancienne, mais en fait c’est
de l’anglais urbain comme ils disent là-bas de l’anglais presque vulgaire ou
argotique des quartiers dits populaires comme Belleville ou Ménilmontant. Et là
le sens est simple :
“The
meaning of Habiba is beloved, sweetheart or loved one, and it's incredibly accurate. A
Habiba is a stunning human being, with a brilliant sense of
humour and a personality that reminds you why it is a pleasure to be alive.
Habiba
can make you laugh when you've had the worst day. You can talk to her as though
you've known her your whole life, and trust her with anything. Habiba's are beautiful creatures, and if you know one then
hold on! You feel that the world is a brighter place simply by talking to her.
She is the kindest, most genuine individual, who you can be yourself - no
matter how ridiculous that is - with, and an absolute honour to have in your
life :)
Habiba is the kind of incredible friend that I would happily
share Tom Hiddleston with. Cheekbones and all. I love her so, so much.”
L’amour parfait mais que l’on est prêt à partager. Etrange concept de l’amour
qui est comme l’amour d’une bonne pièce de bœuf que l’on partage avec son
meilleur ami. Mais cet amour partagé devient fou avec la trompette qui s’emballe
comme un taureau devant un morceau de chiffon rouge. Il ferait bien de freiner
un de ces jours, de s’arrêter, mais rien à faire. Il danse comme un fou, un
dératé, un inconscient aux mains pleines qui se ruent vers le ravin comme un bison
poussé par le troupeau en folie et qui va aller s‘écraser au fond d’un ravin.
Les charognards viendront après comme la batterie, tambours et cymbales qui s’en
donnent à cœur joie du silence de la bête. Là aussi, il y a de l’amour qui se
clôt par quatre notes de piano.
Stéphane Belmondo nous donne alors une de ses compositions et on retrouve
le ton un peu lent et hésitant mais nostalgique, presque triste malgré le titre
« free for three » qui devrait être enthousiasmant car trois ça tourne
en diable comme une valse en Sainte Trinité et libre c’est encore plus tournant,
mais non pas tourner de l’œil d’émoi alangui mais tourner comme une toupie
au bord de la falaise, et on reçoit en priorité l’appel du vide et de la chute.
On hésite, d’un orteil ou de deux, vais-je sauter, plonger, sombrer ou
réfléchir à deux fois ou simplement m’abandonner au plaisir de commencer la chute
en oubliant les remontrances d’un vieux père que l’on doit penser la fin avant
de commencer. Mais le fils et frère n’écoute rien sinon l’appel du tambour.
Mais une fois ne vient jamais seule et Stéphane Belmondo nous donne une autre
composition de lui qui commence avec les vagissements d’un bébé et un solo de
contrebasse aux cordes piqués, pincées et tordues comme il se doit. Puis cymbales,
piano et nous voilà parti et la trompette prend le lead, le lied, la tête et le
chant. Et la lumière sur Rita tombe sèche et langoureuse, elle sera humide plus
tard. Pour le moment elle est jouisseuse de la vue voyeuriste et le piano
piaffe un peu d’impatience. Mais Rita n’est pas vraiment à prendre, du moins
pas encore. La trompette se fait un peu plus attirante, moqueuse, attirante,
appelante, et même un peu exhibitionniste. Alors piano me prendras-tu ou pas.
Plutôt pas que oui mais pas question de fuir hurle la trompette, taratata. Mais
rien n’y fait le piano a perdu son latin et son envie j’imagine à cette
trompette dominante. Il se noie plus ou moins dans la contrebasse comme si
pianoter dans la contrebasse pouvait couper le nœud gordien de l’impossible
rencontre d’un piano un peu trop réservé et d’une trompette devenue un peu trop
aguichante comme si on était place Clichy quatre minute après minuit, demandez
à Stephen King, il sait tout ce qui peut arriver à cette heure fatidique. Et la
trompette revient pour une dernière absinthe sur un sucre et la batterie ajoute
un peu d’eau sur le sucre pour diluer l’absinthe et en faire un jus de fruit
désorbitant. Musique parisienne en diable, du Paris populaire et du Paris
érotique pour ne pas dire pornographique.
Matt Denis a alors rendez-vous avec nos musiciens et c’est le cas de la
dire Everything Happens to Me. Et là ma chère trompette tenez-vous bien et ne
dérangez pas l’étal du magasin. Calme, lentement, avancez d’un pas plus sûr qu’il
n’y paraît et faites donc que le destin qui est derrière vous, vous soutienne
et vous pousse vers des extrémités, des fins, des finalités inconnues et
nouvelles. Mais la langueur paresseuse de notre trompette résiste à la poussée
et ne ressent pas l’appel alors elle se prend d’une jouissance personnelle sur
place, tournant sur un pied et un talon et se demandant s’il n’y aurait pas un
ciel d’aube qui puisse se révéler dans la nuit de ce boulevard à la porte du
Cimetière du Père Lachaise incapable de pousser le portillon ou de passer le
mur pour enfin se trouver dans la seule chose qui arrivera un jour pour sûr, de
jour comme de nuit, la mort certaine et la fin en terre ou en fumée comme si
rien ne pouvait dépasser cette limite triste. Ah quoi bon pourvu qu’on ait un
verre de vin j’imagine, en cinq notes.
Mais Stéphane Belmondo se devait bien d’en appeler à Dieu et son Godspeed n’a
rien de bien rapide ni divin mais bien plus diabolique, répétitif, lancinant,
méchant même. Il y a un charme dans cette titillation sans fin comme si on
était dans un concours de chatouillis et de gratouillis qui finit heureusement
avant d’exploser.
Wayne Shorter veut nous prêcher l’unité dans son United, une unité comme pour
du square dancing disjoncté et qui n’en finit pas de ne pas se trouver. Il part
ici et là dans un jazz plus urbain mais ne se retrouve quand même pas. Unis,
nous sommes peut-être mais cela devient fébrile, intense, prenant, emportant,
impératif, pressant, injonctif et tout sauf conditionnel. Le mouvement nous
prend les pieds et le corps et nous déboulons sur l’avenue principale de je ne
sais quelle New York, Nunited, Nyounited, Newnited. Le piano se croit dans un
speakeasy alcoolique et il nous enivre de ses touches noires et blanches, de
son clavier qui ondule dans notre ivresse. La batterie nous tanne la peau et le
dos comme si nous étions quelques esclaves méritant le fouet, et la trompette
peut revenir avec un chat à neuf queues pour ajouter quelques griffures à notre
dos balafré de fouettage salé. Et on retombe dans le petit air mélodique du
début comme si de rien n’était, comme si ce fouettage n’avait été qu’un
exercice de jouissance dans l’exquise douleur de ce qui ne dure qu’un temps
toujours trop court.
Et nous finissons avec Stéphane Belmondo qui nous hante maintenant et est
hanté de la même façon. Hanté, hantant, bref pris d’un spectre en forme de
trompette et de quelques chaînes pianistiques en prière. Voyez-vous le
revenant, le fantôme de je ne sais quelle nuit folle au matin arrivé et qui se
doit de se demander ce qui a bien pu arriver dans ce monde nocturne. Et le
piano fait ses vocalises sur nos nerfs tirés à blanc. Vous mourrez bien ce
matin, petit frère mal appris et spectral. Mais nous en parlerons dans quelques
heures quand j’aurai repris du poil de la bête. Et après une pause tout reprend
dans des gargouillis et un équilibre retrouvé. Le fantôme de la gueule de bois
est parti et il ne reste plus qu’un appétit à en mourir de faim. Et bien dansez
donc maintenant.
Dr. Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 7:16 AM