Friday, December 02, 2016

 

Pitreries Bergeries et Moutonneries

LÉA FAZER – MAESTRO – 2014

Un Film d’auteur sur un cinéaste qui ne faisait que des films d’auteur et auquel on se doit de rendre hommage. Le film d’auteur derrière tout cela c’est « Les amours d’Astrée et de Céladon » d’Éric Rohmer de 2007. Il en existe même une version anglaise, « The Romance of Astrea and Celadon ». Rustique, merveilleux, rupestre, bucolique, bergers et déesses se la coulent douce et se distraient du mieux qu’ils peuvent sans rien d’autre que leur peau, leur chair, leur lubricité qu’ils appellent bien sûr amoureuse. C’est merveilleusement artificiel. Ils parlent la langue de la cour en alexandrin et autres vers rimés et cadencés. Ils jouent du biniou, de la cabrette ou je ne sais encore quel autre instrument primitif. Tout est fondé sur le langage et donc sur l’artificialité des personnages et des situations. Une femme peut être un homme, l’amour n’est qu’un concept verbal, et même, disons le clairement, verbeux qui se consomme avec du lexique et de la rimaillerie. Il suffit de penser à la « Fille de l’ouvreuse et du sapeur pompier » pour qu’aussitôt Phèdre se dresse impériale et majestueuse devant nous drapée « de Minos et de Pasiphaé ». Tout n’est qu’artifice et donné ainsi aux porcs à la fois jouissifs et culinaires, ni cachère ni hallal, c’est vraiment de la confiture donnée aux pourceaux. 



Mais que faire de cette confiture de fruits rares et de senteurs douçâtres et mielleuses ? Que faire de ces scènes qui en deviennent risibles car tellement artificielles ? Tout n’est qu’apparences et il faut les sauver du mieux qu’on peut. Malheur à l’acteur ou à l’actrice qui ne sait pas faire semblant et qui se donne à son rôle comme si c’était réel et vrai, j’entends bien sûr entre les personnages pas entre les acteurs. Le script dit d’embrasser, j’embrasse, même si ce que j’embrasse n’a de nom dans aucune langue civilisée. L’acteur est comme un labrador qui doit être dressé et qui fait ce qu’on luit dit. Et les actrices ne sont pas mieux mis à part qu’elles pleurent comme des madeleines de Proust. Alors princesses embrassez toutes les bêtes de l’Apocalypse et vous nous sauverez d’une catastrophe.


On rit aux bêtises d’un tournage qui n’a rien de réel mais qui a tout d’irréel et cela doit faire rêver quiconque sait qui est Verlaine, vous savez ce poète au genre ambigu qui aimait Rimbaud d’un amour pas du tout ambigu et dont le révolver dont il a blessé Rimbaud vient de se vendre un demi million d’euros. Mais ce que je dis ici est un crime de lèse majesté des poètes pérambulatoires qui hantent nos classes de terminale et nos arrière-cours renaissance. Ils ne font que les hanter car ils sont des spectres sans la moindre réalité. Car en définitive au plus profond du malheur de cette humanité notre sort est celui de Caïn. Tuer d’abord et subir ensuite.


« On fit donc une fosse, et Caïn dit ‘C’est bien !’
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » (Victor Hugo)


Cela me touchait à 15 ans plus que les bergeries de Marie Antoinette et les rupestres pitreries des poètes de cour de Louis XIV. « Par dieu, cachez ce sein que je ne saurais voir. » Quant à le regarder, tout à loisir tout du soir et de la nuit mais à condition de ne pas toucher. « Mais n’te promène donc pas toute nue ! » Toujours à 15 ans je préférais le Capitaine Nemo, digne ancêtre du Capitaine Haddock, ou encore Lagardère, bossu ou non. Mais ces bergers qui font des chichis pour savoir s’ils doivent regarder la bergère dans la rivière ou bien détourner les yeux pour regarder le berger dans la meule de foin, et entre les deux mon cœur balance, ces bergers dis-je me laissaient pantois et pantelant sans que j’ai jamais su de quel côté mes yeux clignaient, sans compter que comme je louchais je pouvais même me permettre de ne pas choisir. Mais il est vrai que sans faire de manières quand le vin est tiré il faut bien le boire.


Mais je suis sûr que vous trouverez quelque charme à ce film négligemment batifolant dans les prairies de certaines montagnes moyennes entre un mouton et une licorne. Les deux bien rôtis sont excellents. Ajoutez-y un acteur ou une actrice, mais eux vous pouvez les consommer crus, bien qu’il soit ou fût conseillé de les déshabiller d’abord. Bon appétit.


Dr Jacques COULARDEAU



Comments: Post a Comment



<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?