JEAN COULARDEAU –
L’ORDINATEUR, DERNIÈRE TOUR DE BABEL – 2006
Ce livre est un des plus compliqués auxquels j’ai été confronté en tant que
critique. Je ne dis pas lecteur critique, mais bien critique. Et dès le titre
je suis surpris, étonné, voire franchement abasourdi par cette référence à la
Tour de Babel, un de ces mythes dont la Bible est pleine, surtout l’Ancien
Testament, mais pas seulement.
L’homme a été créé dans la Genèse avec une seule langue, même pas
d’ailleurs une langue que Dieu lui donne toute faite mais avec la mission de
nommer toutes choses créées. Cela est un mythe et rien d’autre. Homo Sapiens
est issu d’une espèce d’homininés (j’entends après la séparation d’avec les
grands singes) qui avait une langue déjà, bien qu’on ne sache pas de quel
nature, mais une langue qui devait lui donner un moyen de conceptualiser le
monde et la vie suffisamment pour lui permettre d’être la première espèce
d’homininés à migrer sur de vastes distances et territoires. De cette espère
migratoire au moins trois espèces d’homininés vont en descendre ; les Néanderthals
au Moyen Orient, les Denisovans en Asie Centrale, Mongolie et Sibérie, et les Homo
Sapiens en Afrique. Pour ce que l’on en sait les Néanderthals migrèrent sur de
vastes distances jusqu’en Europe occidentale. On sait beaucoup moins de choses
sur les Denisovans car ils n’ont été découverts qu’il n’y a à peine dix ans, et
les Homo Sapiens partis d’Afrique noire nord-est (avec des découvertes récentes
sur l’Afrique australe) vont conquérir par divers chemins le globe tout entier
et ce avant la glaciation, et j’oserai dire que cela concerne tous les
continents y compris les Amériques malgré ce que certains du côté de l’Amérique
du Nord continuent à prétendre avec l’hypothèse Clovis (arrivée en Amérique du Nord
à la fin de la glaciation et au début de la déglaciation il y a peut-être 8 à
10 000 ans peut-être un peu plus mais pas plus de 15 000, le pic de
la glaciation étant il y a 21 000 ans.)
On voit tout de suite que la langue unique de l’homme est un mythe et je
pourrais donner un échéancier des migrations hors d’Afrique et la
correspondance entre celles-ci et les grandes familles linguistiques. J’ai
présenté cela au Québec après Créteil et cela a été publié en Roumanie il y a
un an (http://www.slideshare.net/JacquesCoulardeau/phylogeny-of-language-migrations-out-of-africa).
Et on trouve cela sur l’Internet ici et là en libre accès. Je pose donc qu’il y
a bien probablement une seule source originelles aux langues articulées
humaines qui héritent et dépassent les langues de l’espèce antérieure que
j’appelle Homo Faber et que d’autres appellent d’une autre extension d’Homo.
Peu importe car on est tous d’accord que les trois espèces d’homininés dont je
parle descendent bien d’une seule espèce qui a nécessairement dû migrer avant
ces trois évolutions séparées.
Le deuxième mythe concerné ici est celui de la Tour de Babel. La Tour de
Babel n’est qu’une représentation fantasmée des ziggurats babyloniens du temps
des Sumériens et c’est le reflet de l’hostilité des Sémites Hébreux et Juifs
contre les Babyloniens parlant des langues indo-européennes et de religion
dites païennes. Cette rivalité est ancienne, et pour ne parler que de la
période après l’invention de l’agriculture, il faut bien dire qu’en Mésopotamie
les deux groupes linguistiques, culturels et religieux des Sémites et des Indo-Européens
sont face à face et pas toujours très pacifiques. Dans l’empire Sumérien (qui
inventa la première écriture) deux langues et peuples se confrontent ou se
partagent le pouvoir, les Akkadiens de langue Sémite et les Sumériens de langue
sumérienne justement, langue très ancienne du groupe indo-européen, ou
indo-aryen d’ailleurs, antérieure aux deux migrations des Indo-Européens vers
l’Europe et des Indo-Aryen vers le sous continent indien bien après la
glaciation. Les Akkadiens sont les scribes de l’empire sumérien et les
Sumériens en sont les commerçants et la force économique. L’écriture a été
inventée pour garder trace des opérations commerciales souvent sur grandes
distances. Certaines dynasties de cet empire sont d’ailleurs des Akkadiens.
Cette rivalité est omniprésente dans l’Ancien Testament car le peuple
Hébreu et Juif invente une nouvelle religion. Sans entrer dans le détail ils
n’inventent pas le monothéisme. Celui-ci a été précédé dans l’empire sumérien
par une forme de monothéisme très comparable à celui des Phéniciens. Chaque
ville avait un seul dieu et la règle était celle de la tolérance. Sans parler
des Zoroastriens qui honoraient le soleil mais comme le représentant du dieu
créateur unique. Mais la religion juive pose que le peuple juif est LE SEUL
peuple élu par dieu pour le représenter sur terre. La religion juive à la
différence de la plupart des religions du Moyen Orient (au sens large) et de l’Est de la Méditerranée est une
religion non tolérante, par tolérance je pense aux pratiques des Phéniciens (qui
sont des Sémites) qui ont un monothéisme mais qui acceptent de respecter et
même de participer aux religions des autres. Soit dit en passant les Phéniciens
honorent une déesse.
Il est donc NORMAL que la Genèse détruise le ziggurat sumérien et rejette
ces peuples ignares qui ne respectent pas dieu comme ils le devraient en les
rejetant hors de la langue sacrée qu’est l’hébreu car c’est la langue du peuple
élu. Alors tout ce que l’auteur dit sur la non-historicité de la Bible n’est
que fétichisation de son écriture comme un livre saint et donc quelque part
révélé. Tout document quel qu’il soit qui nous vient du passé est un document
historique qui représente une motivation de ceux qui l’ont écrit ou collecté et
c’est dans l’historicité de ces documents que l’on doit confronter sans
exception à tous les autres que l’on peut reconstruire la valeur historique de
chacun et donc le sens de ces documents. Il y a trop d’emprunts de l’Ancien
Testament à des traditions religieuses de Mésopotamie, zoroastriennes ou non,
pour que l’on vienne me dire que la Bible est différente des autres documents
qui nous viennent de cette période (après l’invention de l’écriture, donc il y
a plus de cinq mille ans, mais en plus avec une longue tradition orale de
plusieurs milliers d’années avant.
Voilà ce que je me devais de dire sur l’utilisation du mythe de la Tour de
Babel par l’auteur. Je ne suis pas théologien et je considère – avec tout le
respect que je leur dois – que la théologie et les théologiens sont des
coupeurs de cheveux en quatre dans le sens de la longueur car ils ne
confrontent absolument pas le texte théologique déclaré sacré et les textes
profanes qui entourent ces textes sacrés. Si l’auteur avait réfléchi un peu il
se serait demandé il y a longtemps qui était Rachel Coulardeau, sa grand-mère,
et pourquoi ses parents sont partis précipitamment de Bordeaux pour aller en
zone libre avant même l’arrivée des Allemands à Bordeaux et à ce que disait sa
mère parce qu’ « ils enlevaient les enfants pour en faire des
Allemands. » Et il se serait aussi demandé pourquoi la sœur de son père,
sa tante, avait adopté en 1941 ou 42 le fils d’une prostituée juive qui ne
survivra pas à ce don de bébé qui devint son cousin. Cela aurait du alors
l’amener à se poser des questions sur ses racines juives, sur cette culture et
cette religion et cela lui aurait ouvert l’esprit sur ces mythes de l’Ancien
Testament qui reflète si bien la réalité Mésopotamienne avant l’arrivée
d’Alexandre. (https://www.youtube.com/watch?v=y0HMP4MC1w8)
Quelques remarques en vrac.
Pour rester biblique, ce n’est pas parce qu’Ismaël importunait Isaac
qu’Abraham le bannit (page 84), soit dit en passant avec sa mère l’esclave
arabe de son épouse légitime (dont Isaac est le fils tout aussi légitime).
C’est à la demande de cette épouse légitime qui avait donné son esclave à
Abraham pour qu’il ait une descendance car il semblait qu’elle était incapable
de procréer (d’où la naissance d’Ismaël), et ce n’est qu’après la naissance
d’Ismaël qu’elle eut Isaac. Il suffit de chercher un tout petit peu pour
s’apercevoir qu’Abraham est dans le Coran et que le fils qu’il sacrifie presque
est Ismaël et pas Isaac.
Il est étrange que page 104 il dise : « Profondément égoïste, je
suis venu acquérir de la liberté. » Il parle de son passage de la ville de
Bordeaux à la Haute Loire agricole, après son mariage, sur la ferme de son épouse.
Mais dans le même paragraphe il écrit : « je suis dans un fauteuil
roulant suite à un accident du travail. » Il spécifie ailleurs qu’il est
tombé d’un arbre sans spécifier que c’était un noyer dans lequel il était monté
pour descendre les noix, en oubliant ce que le fermier Monsieur Bossuet lui dit
en septembre 58 ou 59 (il avait 16 ou 17 ans) dans sa ferme de Miquelet à
Coutras quand il s’apprêtait à monter dans un noyer pour faire la même
chose : « On ne monte pas dans un noyer. Ça casse comme du verre. »
Et c’est ce qu’il a fait à 56 ans. La liberté ne peut pas se conquérir avec
l’oubli. On n’est libre que si on tient compte de tout ce que l’on a vécu et
que l’on sait, ou du moins dont on se souvient, à chaque instant. Certes
« la liberté n’a pas de prix, c’est l’esclavage qui se paie. » Elle
n’a pas de prix pour celui qui veut être libre mais elle a un prix pour les
collatéraux, famille et proches qui peuvent dépendre de la situation perturbée
par la liberté de celui qui veut être libre. La liberté a un prix et ce prix
peut être la vie d’ailleurs. En fait la vie a un prix, qu’elle soit libre ou
esclave. On doit être prêt à payer ce prix et on doit se demander ce que cette
vie va coûter aux autres en fonction des choix que nous faisons. Nous faisons tous
des erreurs d’évaluation, et parfois une décision juste peut avoir des
conséquences dramatiques pour soi-même certes mais aussi sur d’autres autour de
soi. L’auteur emploie deux mots qui résument très bien sa démarche :
« égoïste » et « individualiste ».
Soit dit en passant la Révolution Française n’a pas « créé l’école
laïque » (page 118) mais la Troisième République et Jules Ferry en 1881.
Ce n’est d’ailleurs que vers cette date que la majorité des enfants étaient
scolarisés deux ou trois ans pour beaucoup et dans des écoles de paroisse ou
communales, quand ce n’était pas comme dans les centres industriels (Roubaix,
Tourcoing, Lille pour citer ceux que je connais) des écoles fivancées par le
patronat et les entreprises ou par des associations charitables chrétiennes.
Il est sûr qu’il y a plus de gens qui vivent vieux mais de là à dire
« Si nous sommes plus à vivre vieux nous ne vivons pas plus vieux », il
faudra qu’il m’explique comment plus de gens vivent vieux sans vivre plus vieux
alors qu’il y a trente ans ou quarante ans (loi sur la retraite à 60 ans de
Mauroy en 1982) ils auraient vécu moins vieux et pour beaucoup n’auraient pas
atteint la retraite même à 60 ans car en 1982 l’espérance de vie des ouvriers
était entre 59 et 61 ans. Qu’il le veuille ou non nous vivons plus vieux.
Mais page 167 il attrape le gros lot et décroche la cocarde, tricolore bien
sûr.
« Je crois très sincèrement qu’il faut voir dans cette négation des
différences sexuelles la raison du déferlement homosexuel. . . J’y vois plus un
défaut dans la transmission des notions d’identité sexuelle. . . De plus en plus
de gens ont peur de la différence qu’elle soit sexuelle, de couleur ou de
culture. . . le corollaire de l’homosexualité n’est le viol et les ‘serial
killers’ dont j’ai déjà parlé. Tout cela relève de l’incapacité relationnelle,
de la destruction du tissu social, remplacé par des relations
technico-marchandes sans affectivité, sans humanité. »
Et il parle d’amour. Mais pour lui l’amour est sexuel et a pour motivation
la survie de l’espèce dans la procréation. On dirait entendre Ronald Lafayette
Hubbard, le grand fondateur et prêtre de la secte mondiale de la Dianétique
pour ne pas parler de l’église mondiale de la Scientologie.
Alors on peut conclure sur la Tour de Babel pages 162-163 :
« La Tour de Babel, acte d’affirmation et d’orgueil collectif, ne
pouvait être conçue que par des mortels car, destinée à survivre à ses
constructeurs pour symboliser leur puissance, elle voulait transgresser la
mort. . . La Tour de Babel est aussi un symbole phallique. . . La Tour de
Babel symbolise aussi le serpent qui se dresse pour parler à Eve et la
convaincre de passer outre l’interdiction divine. La Tour de Babel, en plus,
nargue Dieu, en faisant un bras d’honneur au Paradis perdu. . . La Tour
biblique offre à l’homme un abri où se cacher de l’œil de Dieu. »
Victor Hugo voyait plutôt l’abri contre l’œil de Dieu sous la forme d’une
tombe, mais il savait lui que cela ne fonctionnait pas :
« Puis il descendit seul
sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa
chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé
le souterrain,
L’œil était dans la tombe et
regardait Caïn. »
Autant l’anarchisme de l’auteur peut paraître romantique, autant sa
conviction affirmée plusieurs fois que de toute façon l’homme détruira son
jouet naturel grâce à ses jouets technologiques thermonucléaires n’est plus
romantique du tout. On dirait lire les écrits de l’Unabomber (Theodore John "Ted" Kaczynski) qui
croupit dans une prison fédérale aux USA ou certains écrits de Marcel Gauchet
sur les réseaux de réseaux que sont la société moderne et comment les faire
sauter en les paralysant.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 4:00 PM