MARIVAUX – LA SECONDE SURPRISE DE L’AMOUR – LUC BONDY –
2008
Marivaux mérite le dénuement car il est un théâtre
purement mental et verbal. Qu’importent les accessoires car on n’en a nullement
besoin. Cette pièce comme les autres développent ce dénuement qui tient presque
de la nudité scénique. On se demande d’ailleurs pourquoi un chemin tortueux en
gravier blanc parcourt généreusement le praticable. La tortuosité est dans la tête
des personnages.
On retrouve naturellement les différences sociales
de serviteurs dépendants qui font tout ce qu’ils peuvent pour obtenir les solutions
qui les avantagent. Ils n’ont pas besoin de syndicats car ils savent faire leur
cuisine et un syndicat ferait tout exploser, car ils invoqueraient la classe
ouvrière tout entière.
Mais l’important est l’intrigue nécessairement
amoureuse et celle-ci ne manque pas de mordant. Une jeune, très jeune veuve,
qui plus est Marquise, veut garder son veuvage jusqu’à la mort :
définitivement rien ne va plus Madame la Marquise ; une jolie chanson d’ailleurs
quand tout va très bien. On comprend très vite que c’est pour elle une façon d’écarter
le Comte, un vieux qui veut épouser une jeunesse, et en même temps de voir dans
les plus jeunes qui peut bien faire l’affaire. Une démarche amoureuse plutôt
surprenante mais on est dans un temps où les femmes doivent être précautionneuses.
Ne voilà-t-il pas que celui qu’elle remarque est dans
une situation similaire. Celle qu’il aimait ayant refusé d’épouser celui que
son père avait choisi pour elle a prononcé ses vœux dans un couvent quelconque.
Mais pour lui une de perdue n’est pas mille de retrouvées ou même de trouvées. Il
a des atomes crochus (leurs malheurs spécifiques mais similaires) avec la
Marquise, mais il n’est que Chevalier. Le rang fait que la Marquise qui en plus
est riche doit se prononcer la première, or elle aimerait que ce soit l’inverse,
et donc que l’ordre nobiliaire soit inversé. Crime de lèse noblesse.
Alors commence une glauque et plus que maussade, ce
qui la rend amusante, chasse au mariage qui demande du style, de la persévérance
et surtout de l’abandon aux sentiments en un siècle où pour les nantis on ne
parlait que d’affaires et de contrats de mariage. Suivez les dédales, ne vous
empêtrez pas les pieds dans les rigoles et gardez vos souliers loin des
ruisseaux plutôt fangeux de ce temps marivaudien qui ne connaissait pas
vraiment le tout à l’égout.
Peut-être puis-je émettre une remarque sur un rythme
qui aurait pu être accéléré de deux ou trois pour cent. Dans les méandres de l’intrigue
il y a ici et là quelques ralentissements, voire longueurs. Mais le vélo anachronique
est plus qu’amusant. Autant que ceux du Roi Ubu de la Comédie Française il y a
six ans, ou les patins à roulette du même à La Villette il y a encore plus d’années.
Anachronisons gaiement et le ciel ne nous tombera
pas sur la tête.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:25 PM