ROLAND DUBILLARD (1923-2011)– LES DIABLOGUES – ANNE
BOURGEOIS – 2009
Un humour si grinçant et si froid qu’on tire la
couverture à soi et qu’on s’emmitoufle dans une peau d’ours grizzly chauffante
branchée sur panneaux solaires. C’est un de ces humours que l’on ne peut
supporter qu’en scène car dans la vie réelle c’est exécrable, horrible,
abominable et tous les gens moyens, bien dans le rang, intégrés comme les
pièces d’un puzzle achevé se révolte contre ce type de remarques qu’ils
prennent nécessairement comme des insultes.
C’est du genre (pas de citations de Dubillard ou
d’un autre, simplement de ma vie quotidienne quelque part rue Taitbout à Paris
9, car vous savez les droits d’auteur et surtout le droit moral) qui
suit :
« Comment ça va ?
-- Mal bien sûr, avec un air abattu et lassé qu’il
répond, le grossier et bourru personnage.
-- Eh bien, voilà que je regrette déjà d’avoir
demandé, sur un ton de colère et même de ressentiment sinon de haine. »
Que voulez-vous que ce pauvre homme y fasse puisqu’il
va mal et que cela ne changera pas parce qu’il répondrait la réponse encensée
et aussi insensée des bonnes convenances comme si les convenances faisait vivre
un homme : « Bien, merci et vous ? » C’est alors que nos
deux zèbres sur la scène pourraient se lancer l’un comme l’autre dans la liste
de tous leurs maux et ils en ont plus qu’une charrette et ils concluraient,
l’un comme l’autre, après s’être asséné des coups de cancer plein la figure, et
quand je dis figure, « On ne parle pas de corde dans la maison d’un
pendu ! Raison de plus de ce pendu-là ! »
Je dois dire que devant cet humour qui enfile des
gouttes, des billes, des bulles et oublie les berlons, les berles, les agates
et autres petits objets ronds qui amusent les gamins de l’école primaire pendant
la récréation, des objets mâles car ces boules-là comme bien d’autres ne sont
que des attributs des garçons dans les cours de batailles de marrons à
l’automne, au point qu’à Bordeaux ils n’avaient planté que des marronniers
d’Inde stériles. . . Devant cet humour donc je reste un peu choqué, moitié
pensif, définitivement jaloux, plutôt reconnaissant, mais bien sûr totalement
en désaccord avec le parisianisme d’un des deux personnages, le personnages de
toute façon dominant. Dans un couple il y en a toujours un qui joue le rôle de l’homme.
Et de là Dubillard pourrait se lancer dans la roulade jusqu’en bas de la pente
pour ensuite y lancer ses boules de billard ou de pétanque à la tête des
moqueurs.
Les deux acteurs sont bons mais on sent de bout en
bout qu’ils ont fait ce spectacle cent fois et que sans faillir ni sans périr
ils ont répété les mêmes répliques soir après soir et parfois deux fois dans la
journée, en matinée et en soirée. S’ils osaient il le ferait aussi à l’heure de
la messe ou pour shabbat puisqu’ils n’utilisent aucune machine, aucun ustensile
mécanique et qu’ils ne se déplacent qu’à pied. On pourrait alors penser qu’il
s’agit d’un kaddish pour le dépérissement de notre monde de consommation
aveugle et d’injustice proclamée. J’entends déjà le violoncelle du AVINU MALKEINU de Barbara Streisand (https://www.youtube.com/watch?v=0YONAP39jVE).
N’y a-t-il que Paris pour produire cet humour si
noir, si lexical, si guttural, si charnel parce que purement sémantique ?
J’ai bien peur que oui, bien que je connaisse quelques Juifs qui en font
autant, et parfois avec le sourire. D’ailleurs comment allez-vous ? Une
question à ne jamais poser à Mr Sammler, un personnage d’un prix Nobel de
littérature qui s’engage alors dans au moins une demi-heure d’explications sur
toutes les opérations qu’il a subies, qu’ils a appréciées, dont il est très
fier. . . sur son lit d’hôpital, pourvu
du moins que sa mère ne soit pas là : pas de chance elle est restée
quelque part en Pologne et ses cendres font pousser le blé.
Il est sûr que les formules consacrées, s’entend
bien sûr sacrées absolument idiotes, de la vie quotidienne en prend pas mal
dans la figure et le fondement, même si les seules références à des femmes,
dont une épouse qui n’aime pas la musique de placard, comme je la comprends,
semble un tantinet misogyne et que Dubillard ne me dise pas que certains de ses
meilleurs amis étaient des femmes. Pour moi les femmes on peut les aimer que si
elles sont nos meilleures ennemies, et j’en sais quelque chose. Alors on a une
ou deux amitiés mâles dans quelque placard. Mon dieu que cette musique de
placard est étrange ! Comme dirait ou chanterait Leonard Cohen :
« Don’t pass me by, please. » (https://www.youtube.com/watch?v=W90723antCM).
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:40 PM