BRUNO DUMONT
– FLANDRES – 2005
Quand On est dans un pays aussi plat que les Flandres françaises, comment
peut-on descendre encore plus bas que Bailleul ? Faites confiance à Bruno
Dumont. Il trouvera bien un moyen. Et il le trouve.
Une ferme ou deux isolées dans la vaste plaine plate et morne, en Hiver
avec un sol blanc ; La cour devant la ferme regorge de purin, fumier,
cochon en liberté, poules et autres volailles et partout de la boue, de la boue
et encore de la boue. Dans ce paysage vide ou presque, sans soleil, sans
lumière et tout en gris de teintes à peine différentes, quelques êtres qu’on
dira humains n’ont rien à dire, on très peu à faire, ce qui est étonnant sur
une ferme, pas le moindre bétail, un père et un seul, quelques garçons et deux
filles. Tous s’ennuient comme ce n’est pas possible, et ils ne le savent même
pas car ils n’ont jamais connu quoi que ce soit d’autre. On dirait qu’ils
savent lire et écrire : ils ont du aller à l’école, mais où, dans quel
hameau perdu ?
Dès le premier instant on sait la seule chose que ce pauvre Demester peur
faire dans cette solitude inactive : il se retire dans un coin de nature
ou de grange avec Barbe, une amie d’enfance, donc une amie qui se couche et se
donne comme si elle partageait un biscuit et Demester trempe le sien dans le
bocal de son poisson rouge et pas un mot, pas un gémissement, pas un sourire,
pas quoi que ce soit. Et puis il reprend son tracteur et va laboureur quelques
sillons, puis prend un bol de café au lait, avec de la chicorée, le Nord
oblige.
Et cela se déroule, sans musique, même de ducasse, sans presque de
dialogue, ou je devrais dire avec des bribes de paroles qui ne s’échangent pas
vraiment, et qu’importe puisqu’on n’a rien à se dire. Aussi l’aventure pour les
jeunes garçons ou hommes de cette poche de détresse désemparé c’est de
s’engager et partir à la guerre. On ne sait pas vraiment où, Moyen Orient,
Mali, Lybie qui sait quoi et qu’importe. Et il se retrouve avec un groupe de
sept largué au milieu du désert ou du Sahel, un groupe qui fond à vue d’œil de
sept à cinq, puis de cinq à trois, puis de trois à deux puis de deux à Demester
tout seul. Et tout du long l’horreur. Un d’eux meurt sur une mine. Un autre est
abattu. Puis l’un des cinq survivants viole une femme. Mal lui en prend.
Ils passent la nuit dans la montagne, trois sur une hauteur et deux qui
sont partis on ne sait pas comment ni où. Au matin on n’attend pas les autres
et on part à trois. En chemin ils croisent un homme sur un âne. Le violeur tue
l’homme et ils partent, pas pour longtemps. Ils sont pris par un groupe armé
qui les fait prisonniers. Une femme arrive. La femme violée qui reconnaît son
violeur. Il est éloigné un peu et est castré comme un bœuf, ou un peu plus. La
femme alors lui tire une balle dans la tête. C’est alors qu’un hélicoptère
arrive et que les deux survivants prennent la fuite, se retrouvent dans une
vallée avec des arbres et sortent de ces arbres pour être à nouveau attaqués.
L’un est blessé, Demester fuit tandis que le blessé est achevé d’une balle dans
la tête, ou ailleurs, qu’importe. Demester se retrouve dans un village, enfin
une maison bâtie en pierre. Il y pénètre et tue tout le monde. Fini, basta. On
quitte ce monde fou de la guerre coloniale à la sauce vingt-et-unième siècle à
la Bush et Demester est avec Barbe à nouveau en Flandres.
Il est incapable de raconter. Il est traumatisé et même tétanisé. Barbe
fait la seule chose qu’elle sait faire. Elle se couche et se donne,
s’abandonne. On se demande si Demester est encore capable. On a fini le périple
de croix, et comme un chemin de la même croix Demester finit couché à même
Barbe cpichée dans la paille d’une étable (pas a Bethléem pourtant), immobile,
comme mort dans un tombeau qui n’a rien de reluisant et qui ne promet pas la
moindre résurrection.
Mais quel est le sens de ce délire dépressif de névrosé paranoïaque pris
d’un rêve d’un ailleurs qui ne soit pas aussi laid que l’ici, et qui ets en
fait encore bien plus laid. Il en revient PTSSé à en mourir sur place sans un
mouvement, sans la moindre tension de quelque membre que ce soit, paraplégique complet
et impuissant ?
On vous dira que c’est un film antimilitariste. Sûr et certain car le
travail à la ferme en Flandres c’est une guerre perpétuelle contre la vie
elle-même. On retrouve le désespoir de Boris Vian et de sa chanson interdite.
On retrouve le glauque incompréhensible de l’horreur comme compensation à
l’ennui, même pas à la peur, simplement l’ennui. L’autre alternative est le
racisme, bien montré comme un passe-temps de combat chez ces braves bidasses
qui ont un noir parmi eux et en profitent. C’est amusant car en plus il aime
ça.
On vous dira que c’est une réflexion sur un monde qui s’enlise dans la
dépression, la récession, la crise, le changement qui est toujours venu
d’ailleurs pour aller ailleurs sans que le quotidien ne change jamais. On oublie ce qu’était le travail à la ferme
quand on labourait avec un cheval, ou même un bœuf. Plus d’effort, alors
l’ennui.
On vous dira que c’est une réflexion psychologique sur l’homme quand plus
rien ne le touche plus vraiment, que ce soit les rapports charnels qui sont
devenus de la charcuterie en tranches froides étalées à même la boue ; que
ce soit tuer un enfant ou deux ; que ce soit violer une femme (et
s’étonner que celui qui ne veut pas doit être gay, le mot employé est beaucoup
plus France profonde et sinistre et a à voir avec un vélocipède) ; que ce
soit tuer un homme qui n’a rien fait même pas par vice ni plaisir, simplement
pour rompre la monotonie ; que ce soit se donner à tous les premiers venus
du monde, enfin de son monde, de ce petit cercle de terre plus ou moins gâte où
il n’y a que moins d’une demi-douzaine de possibilités et rien d’autre.
Et on pourrait continuer longtemps. Et le film est de 2005, heureusement
car s’il était de 2015 la liste des incompétences notoires et péremptoires
serait nettement plus longue que l’on en perdrait la tête.
Après son étape en Californie, Bruno Dumont ne s’est pas encore remis de
ses émotions. Il broie toujours du noir (et y compris UN noir). Il ronge son os
dans son coin mais avec des gencives édentées. Il s’enlise dans la psychologie
sensiblement psychotique et on est étonné qu’il n’y ait ni shit ni alcool. En
fait il n’y a pas à s’en étonner, car s’il y avait shit et alcool tout
prendrait de la couleur, surtout de la couleur sang, toutes les teintes du
rouge, mais au moins cela serait plus chaud que toutes les teintes du gris sans
le plaisir voyeur ou jouisseur en plus.
J’ai peur que ces films finissent dans les tiroirs des collectionneurs de monstruosités
équivoques ou d’images d’Epinal délavées d’eau bénite et de larmes de
pleureuses non professionnelles mais définitivement inconsolables. Et n’y
aurait-il pas quelques pleureurs parmi ces pleureuses ? Je crois pouvoir
dire qu’aujourd’hui l’orientation et le genre des pleurs en pleurnicherie
maladive n’est plus une question au temps des pleurs pour tous et de la joie
pour personne. Certains risquent même de vouloir passer la nuit debout à la
Fontaine des Innocents, Square Louise Michel, car ile ne savent pas encore que
la nuit debout nuit.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:32 PM