Friday, September 23, 2016

 

Vous en perdrez le goût du sexe et du sperme

BRUNO DUMONT – FLANDRES – 2005

Quand On est dans un pays aussi plat que les Flandres françaises, comment peut-on descendre encore plus bas que Bailleul ? Faites confiance à Bruno Dumont. Il trouvera bien un moyen. Et il le trouve.

Une ferme ou deux isolées dans la vaste plaine plate et morne, en Hiver avec un sol blanc ; La cour devant la ferme regorge de purin, fumier, cochon en liberté, poules et autres volailles et partout de la boue, de la boue et encore de la boue. Dans ce paysage vide ou presque, sans soleil, sans lumière et tout en gris de teintes à peine différentes, quelques êtres qu’on dira humains n’ont rien à dire, on très peu à faire, ce qui est étonnant sur une ferme, pas le moindre bétail, un père et un seul, quelques garçons et deux filles. Tous s’ennuient comme ce n’est pas possible, et ils ne le savent même pas car ils n’ont jamais connu quoi que ce soit d’autre. On dirait qu’ils savent lire et écrire : ils ont du aller à l’école, mais où, dans quel hameau perdu ?


Dès le premier instant on sait la seule chose que ce pauvre Demester peur faire dans cette solitude inactive : il se retire dans un coin de nature ou de grange avec Barbe, une amie d’enfance, donc une amie qui se couche et se donne comme si elle partageait un biscuit et Demester trempe le sien dans le bocal de son poisson rouge et pas un mot, pas un gémissement, pas un sourire, pas quoi que ce soit. Et puis il reprend son tracteur et va laboureur quelques sillons, puis prend un bol de café au lait, avec de la chicorée, le Nord oblige.


Et cela se déroule, sans musique, même de ducasse, sans presque de dialogue, ou je devrais dire avec des bribes de paroles qui ne s’échangent pas vraiment, et qu’importe puisqu’on n’a rien à se dire. Aussi l’aventure pour les jeunes garçons ou hommes de cette poche de détresse désemparé c’est de s’engager et partir à la guerre. On ne sait pas vraiment où, Moyen Orient, Mali, Lybie qui sait quoi et qu’importe. Et il se retrouve avec un groupe de sept largué au milieu du désert ou du Sahel, un groupe qui fond à vue d’œil de sept à cinq, puis de cinq à trois, puis de trois à deux puis de deux à Demester tout seul. Et tout du long l’horreur. Un d’eux meurt sur une mine. Un autre est abattu. Puis l’un des cinq survivants viole une femme. Mal lui en prend.


Ils passent la nuit dans la montagne, trois sur une hauteur et deux qui sont partis on ne sait pas comment ni où. Au matin on n’attend pas les autres et on part à trois. En chemin ils croisent un homme sur un âne. Le violeur tue l’homme et ils partent, pas pour longtemps. Ils sont pris par un groupe armé qui les fait prisonniers. Une femme arrive. La femme violée qui reconnaît son violeur. Il est éloigné un peu et est castré comme un bœuf, ou un peu plus. La femme alors lui tire une balle dans la tête. C’est alors qu’un hélicoptère arrive et que les deux survivants prennent la fuite, se retrouvent dans une vallée avec des arbres et sortent de ces arbres pour être à nouveau attaqués. L’un est blessé, Demester fuit tandis que le blessé est achevé d’une balle dans la tête, ou ailleurs, qu’importe. Demester se retrouve dans un village, enfin une maison bâtie en pierre. Il y pénètre et tue tout le monde. Fini, basta. On quitte ce monde fou de la guerre coloniale à la sauce vingt-et-unième siècle à la Bush et Demester est avec Barbe à nouveau en Flandres.


Il est incapable de raconter. Il est traumatisé et même tétanisé. Barbe fait la seule chose qu’elle sait faire. Elle se couche et se donne, s’abandonne. On se demande si Demester est encore capable. On a fini le périple de croix, et comme un chemin de la même croix Demester finit couché à même Barbe cpichée dans la paille d’une étable (pas a Bethléem pourtant), immobile, comme mort dans un tombeau qui n’a rien de reluisant et qui ne promet pas la moindre résurrection.


Mais quel est le sens de ce délire dépressif de névrosé paranoïaque pris d’un rêve d’un ailleurs qui ne soit pas aussi laid que l’ici, et qui ets en fait encore bien plus laid. Il en revient PTSSé à en mourir sur place sans un mouvement, sans la moindre tension de quelque membre que ce soit, paraplégique complet et impuissant ?


On vous dira que c’est un film antimilitariste. Sûr et certain car le travail à la ferme en Flandres c’est une guerre perpétuelle contre la vie elle-même. On retrouve le désespoir de Boris Vian et de sa chanson interdite. On retrouve le glauque incompréhensible de l’horreur comme compensation à l’ennui, même pas à la peur, simplement l’ennui. L’autre alternative est le racisme, bien montré comme un passe-temps de combat chez ces braves bidasses qui ont un noir parmi eux et en profitent. C’est amusant car en plus il aime ça.


On vous dira que c’est une réflexion sur un monde qui s’enlise dans la dépression, la récession, la crise, le changement qui est toujours venu d’ailleurs pour aller ailleurs sans que le quotidien ne change jamais. On  oublie ce qu’était le travail à la ferme quand on labourait avec un cheval, ou même un bœuf. Plus d’effort, alors l’ennui.


On vous dira que c’est une réflexion psychologique sur l’homme quand plus rien ne le touche plus vraiment, que ce soit les rapports charnels qui sont devenus de la charcuterie en tranches froides étalées à même la boue ; que ce soit tuer un enfant ou deux ; que ce soit violer une femme (et s’étonner que celui qui ne veut pas doit être gay, le mot employé est beaucoup plus France profonde et sinistre et a à voir avec un vélocipède) ; que ce soit tuer un homme qui n’a rien fait même pas par vice ni plaisir, simplement pour rompre la monotonie ; que ce soit se donner à tous les premiers venus du monde, enfin de son monde, de ce petit cercle de terre plus ou moins gâte où il n’y a que moins d’une demi-douzaine de possibilités et rien d’autre.


Et on pourrait continuer longtemps. Et le film est de 2005, heureusement car s’il était de 2015 la liste des incompétences notoires et péremptoires serait nettement plus longue que l’on en perdrait la tête.

Après son étape en Californie, Bruno Dumont ne s’est pas encore remis de ses émotions. Il broie toujours du noir (et y compris UN noir). Il ronge son os dans son coin mais avec des gencives édentées. Il s’enlise dans la psychologie sensiblement psychotique et on est étonné qu’il n’y ait ni shit ni alcool. En fait il n’y a pas à s’en étonner, car s’il y avait shit et alcool tout prendrait de la couleur, surtout de la couleur sang, toutes les teintes du rouge, mais au moins cela serait plus chaud que toutes les teintes du gris sans le plaisir voyeur ou jouisseur en plus.


J’ai peur que ces films finissent dans les tiroirs des collectionneurs de monstruosités équivoques ou d’images d’Epinal délavées d’eau bénite et de larmes de pleureuses non professionnelles mais définitivement inconsolables. Et n’y aurait-il pas quelques pleureurs parmi ces pleureuses ? Je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui l’orientation et le genre des pleurs en pleurnicherie maladive n’est plus une question au temps des pleurs pour tous et de la joie pour personne. Certains risquent même de vouloir passer la nuit debout à la Fontaine des Innocents, Square Louise Michel, car ile ne savent pas encore que la nuit debout nuit.


Dr Jacques COULARDEAU



Comments: Post a Comment



<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?