BRUNO DUMONT
–TWENTYNINE PALMS – 2002
Ils étaient partis à cinq il y a deux films. Ils étaient
arrivés à trois il y a un film. Et voilà que maintenant ils ne sont plus que
deux. Ils fondent comme glace au soleil, soleil californien d’ailleurs. Et
notre Bruno Dumont national de France ou régional du Nord nous fait le coup de
filer à l’américaine dans un désert quelconque de Californie, palmiers et
soleil au rendez-vous mais aucun scorpion, aucun serpent à sonnettes. Et ce n’est pas des sornettes, car j’en ai vu
de ces bestioles piquantes et mordantes en Californie.
En fait il nous joue le coup du remake de « Zabriskie
Point » (1970) d’Antonioni, mais sans l’avion volé, sans les villas de luxe
dans le désert, sans le romantisme militant anarchiste-communiste de UCLA, sans
le débat racial des noirs sans les blancs et des blancs contre les noirs, mais
les flics blancs et noirs contre tous. Rien que deux personnes, un couple à l’ancienne
bien hétéro et bien calé sur une seule chose, les rapports charnels. Quand on n’a
pas autre chose à se mettre sous la dent…
C’est qu’il n’y a vraiment rien dans ce désert. Pas de
musique! Pas d’action ! Des scènes immenses de silence et de quasi non mouvement !
Mais l’ennui absolument à en mourir ! Alors on se fait le coup de s’aimer
à jamais alors qu’il ne s’agit que de rien d’autre que du charnel, du carné, du
viandé, viande rouge oblige, sans poésie, sans douceur, sans autre chose que
directement sans attendre sans préparation sans répit et sans la moindre pause.
Où que ce soit, dans la piscine, dans le sable, sur des rochers, au motel, mais
ne parlons pas de positions : là c’est plutôt limité. Mais on fait ce
que l’on peut et quand on peut peu on peut pas plus.
L’amour se fait parfois vache et colère, et la vache ne
rit pas. Quelques coups, des cris et des pleurs, bref rien de bien fascinant ni
de bien attendrissant, certainement pas émotionnel ou touchant, bien que cela
attendrisse la viande de quelques coups de poing ou de gueule bien placés.
Et tout cela, les 90% du film, ne mènent qu’à une scène de
violence extérieure qui va durer cinq minutes, qui se veut donner du sens à l’absurde,
peut-être, car le sens que cette violence donne n’est pas glorieux. Et tant pis
pour les spoilers.
Elle finira probablement violée mais on n’a pas besoin de
voir car on a déjà vu puisque l’amour pour son mec c’est du viol à répétition. Elle
n’en développera pas un traumatisme excessif car elle a l’habitude et ses cris,
ses pleurs et ses scènes d’avant ce n’était que de la protestation contre l’absence
de tendresse. Comme dans un autre film plus ancien : « Et la
tendresse, B… » (1978)
Mais lui aussi, le pauvre David a rencontré son Goliath
et il est désarmé, déculotté et violé à son tour. Et là il en conçoit un de ces
traumatismes qu’il en ensanglantera la chambre du motel et il ira mourir dans
le désert, nu bien sûr, comme il se doit.
L’anglais est à peu près audible, le français est
incompréhensible. De toute façon il y a si peu de parole qu’on ne peut même pas
appeler cela du dialogue et de plus c’est insensé, comme le pauvre David qui ne
touche pas bien sa bille en français le dit avec regret.
Alors que reste-t-il ?
Un immense désert d’humanité. Un petit Jésus qui n’en
finit pas de se dresser sur sa croix avant de mourir. Et ils n’arrivent pas à
toucher terre tellement ils sont englués dans la poussière de ce désert. Mais
que font-ils donc là, comme des rats qui quittent le bateau de la ville, de Los
Angeles, par peur d’un naufrage et s’enlisent dans une mer sèche où ils se
noient dans l’ennui et l’aberration ?
Quand il ne reste plus que la viande du boucher à l’étal
de la vie, on n’en finit pas de se mourir de mélancolie et de tristesse. Alors
on regrette la beauté fulgurante d’Antonioni et la douceur époustouflante de
Patrick Schulmann. Bruno Dumont nous a enfermés dans un couple traumatisé et
tétanisé par la vie. Quelle tristesse ! Il n’avait vraiment aucune raison d’aller
en Californie pour dire cela et peindre ce carambolage immobile comme gelé à l’écran
d’un GPS en panne. Il le fait bien mieux quand il est dans son bocal et dans
son eau, car qu’il le veuille ou non il est un poisson du canal de Roubaix, de
Tourcoing ou même de la Deûle, à deux pas de la Citadelle Vauban de Lille.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:35 PM