JEAN-MARIE BESSET
– RUE DE BABYLONE – THÉÂTRE DU PETIT MONTPARNASSE – 2006
Un autre « two-men-show » avec une scène de dénuement presque
complet d’un des deux acteurs dans la dernière partie, un dénuement qui n’a
aucun sens, et ne rime à rien car après avoir quitté les épaisseurs
protectrices il va ressortir en plein décembre peu avant Noël dans la rue avec
un simple pantalon et un veston, et pratiquement rien d’autre, en tout cas
aucun autre vêtement de corps, sauf un caleçon de coton léger.
Ceci étant dit, et qui relève de la mise en scène, la confrontation entre
ces deux hommes est simplement incongrue et absurde. Elle n’aurait pas du avoir
lieu. Le directeur de journal qui laisse entrer un SDF dans le hall de sa
résidence dans le 5ème arrondissement, je n’y crois pas le moins du
monde. Même s’il est le directeur d’un journal dit social.
Le directeur du journal pour lequel la femme écrit des chroniques non
spécifiées et qui a une liaison avec une autre femme à la fabrication du
journal, la composition si j’ai bien compris (un domaine qui a aujourd’hui
pratiquement disparu puisque les journalistes et rédacteurs fournissent tout en
numérique normalisé), est une histoire à dormir debout, non pas qu’elle est
invraisemblable, mais parce que la femme saurait sur la liaison en moins de temps
qu’il n’en faudrait pour la cacher. En plus le soir très tard et en prétextant
le journal. Cela ne tient pas debout. La femme rédactrice à ce journal, même de
chez elle, ne peut pas ne pas savoir les rythmes de fabrication et de gestion
du dit journal. Des réunions de rédaction le soir tard ne peuvent concerner qu’un
journal de l’après-midi, suivez mon regard. Mais dans ce cas la femme saurait
et dans ce cas à ce moment-là il ne saurait y avoir de temps vide pour les gens
à la fabrication. Pour un journal du matin une personne travaillant à la
fabrication n’est plus au journal car le journal est en train de sortir des rotatives.
Mais suspendons notre réticence.
La confrontation d’un nanti avec un SDF à deux heures du matin est aussi
improbable qu’impossible, même dans le 5ème. N’importe qui, sauf un malade
mental accepterait de simplement répondre à la moindre avance d’un SDF dans ces
conditions. Un SDF en chasse à deux heures du matin, j’en doute extrêmement. Dans
un beau quartier ? Encore plus. L’homme aurait du fuir ventre à terre. Et
il s’attarde, et il répond à une question absurde, « Auriez-vous
soixante-dix centimes ? » et répond même après vérification, « Non
mais j’ai trente-cinq centimes. »
Passons outre ces incongruités. La discussion qui s’ensuit est gentille
mais sans queue ni tête. Et l’homme finit par monter dans son ascenseur, et il
revient avec du jambon, du fromage, du pain, et s’il vous plait, une bouteille
de Château Margaux. Une bouteille de vin je veux bien, mais nouvelle vinification
ou un simple Beaujolais, mais pas un Haut-Médoc qui n’a pas de nouvelle vinification
sous son propre nom. Et ne croyez pas que la nouvelle vinification à des prix
entre 2 et 5 euros, y compris du Médoc, y compris du Saint-Émilion, mais pas du
Château Margaux, ni du Mouton Rothschild qui se respecte trop pour mettre du
vin sous leur nom de marque à 4 euros 50 la bouteille dans les supermarchés, ce
ne soit que pour les pauvres : les connaisseurs en savent plus que cela.
Je défie qui que ce soit qui n’est pas un goûteur professionnel spécialiste de
ces vins de voir ou goûter la différence de ces vins de nouvelle vinification
inventée dans les années 70-80 par les départements d’œnologie des universités
de Bordeaux et de Californie (Davis). En fait descendre un tel vin de Château pour
un SDF ce n’est même pas de la charité, c’est de l’insulte.
Descendre en plus du jambon blanc est une assumation que le SDF n’est ni
juif, ni musulman, ni bouddhiste, ni bien d’autres choses. Servir du fromage
est OK, un fruit eût été bien et un vin en bouteille mais ordinaire comme un
simple Beaujolais, nouveau ou non.
La discussion révèle peu à peu que le dit SDF espionne l’homme depuis pas
mal de temps et l’homme assumera – encor une fois – que l’homme est un maître
chanteur quand il lui révèle qu’il a observé sa liaison et son manège dans la
voiture de la dame. Et pour couper court le directeur de journal lui refile
mille euros. Absurde. Tout le monde sait que la meilleure façon d’entretenir un
chantage est de payer le maître chanteur. Mais il y a encore plus trouble.
Il se révèle que l’amante de l’homme a été la compagne du SDF pendant sept
ans à New York où ils étaient artistes de music-hall. Et le SDF veut récupérer
la dite dame et donc revient à la charge pour coincer l’homme, lui prendre son
téléphone où il y a le numéro de la dame, liquider le concurrent et partir avec
l’argent, le téléphone et l’espoir de récupérer sa compagne d’antan après que
le bruit de la mort du directeur de journal sera apaisé.
Bien sûr c’est de la plus pure folie car il a laissé ses empreintes et bien
d’autres choses y compris son ADN sur le lieu du crime et comme la compagne ne
semble pas vouloir revoir le SDF, autrefois compagnon, elle parlera plus que
certain.
C’est amusant de vouloir faire se confronter face à face et sans témoin un
SDF et un directeur de journal de l’après-midi, mais c’est simplement impossible
au milieu de la nuit. Mais pourquoi donc l’auteur veut-il ainsi démontrer par
des constructions « savantes » que les SDF sont toujours des ruines
sociales qui ont des motivations qui sont loin d’être brillantes, qui sont
criminelles, et que l’on doit avoir « pitié » d’eux ? Mais là où
Samuel Beckett attendait Godot avec ses deux SDF qui ne feraient pas de mal à
une mouche, on a aujourd’hui une vision criminalisée des SDF. Le romantisme
social a bien régressé. Et même les adultes savent qu’ils ne doivent pas parler
à des inconnus, ou du moins ne doivent pas répondre, de jour comme de nuit, et
surtout de nuit, à leurs questions ou demandes.
Les acteurs font du mieux qu’ils peuvent et produisent un spectacle assez
avenant. Mais la matière est simplement incroyable, j’entends qu’on ne peut pas
y croire.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:35 PM