NOUS TROIS OU
RIEN – 2015
Ce film vous surprendra beaucoup. Un film sur la dictature du Shah d’Iran
peut être intéressant, mais ici il estune charge parfaitement méritée, mais une
charge quand même. Les scènes de prison nous ont épargné les séances de torture
avec la célèbre question « Coca ou Pepsi ? » Je vous laisse
deviner ce que cette question a à faire dans une séance de torture. Je l’ai
entendue plusieurs fois d’étudiants iraniens en 1973, avant la révolution que
l’on sait. Ces étudiants iraniens étaient à Davis, Californie, USA pour étudier
à l’Université de Californie. Leur principal et immédiat objectif était
d’acheter une voiture de sport rouge de luxe. Je passerai la marque. Ils
n’étaient pas dans l’opposition. Ils trouvaient très amusant et humoristique la
dite question. Ce film oublie que le Shah d’Iran a été installé en Iran par un
coup d’état contre Mossadegh élu démocratiquement premier ministre mais qui
avait annoncé la nationalisation du pétrole.
Cela étant absent du film toute la perspective historique tombe à l’eau. Le
coup d’état financé par la CIA contre un premier ministre dûment
démocratiquement élu tourna la majorité qui avait élu ce premier ministre
contre les USA. Les classes supérieures étaient avec le Shah, et les classes
populaires ainsi que les forces démocratiques étaient contre le Shah, contre la
CIA, contre les USA. Khomeini n’a été, de France, que la cheville ouvrière qui
a détourné ce mécontentement vers une opposition religieuse au Shah et il a su
prôner une révolution violente s’appuyant sur un profond mécontentement
populaire. Il a en fait appliqué la stratégie de Lénine en 1917 : utiliser
un mouvement populaire pour imposer par l’usage de la force une orientation
politique minoritaire qui s’est alors auto-déclarée être la norme.
Le film montre très bien le passage d’une dictature à l’autre sans
cependant donner de détails historiques réels car il se centre sur une famille
et en fait sur trois frères de cette famille et ensuite sur un de ces frères,
son épouse et leur fils. Ce film veut être une histoire réelle mais qui ne
traite pas d’histoire mais de profils personnels de personnes concrètes. Il est
donc fort décevant au niveau historique et je tiens à dire ici qu’il vient
parfaitement mal dans la situation présente puisque l’Iran est à un tournant de
son histoire ainsi que le monde entier le concernant. A l’heure actuelle la
majorité du peuple d’Iran a élu un président certes conservateur, mais
justement réformiste parce que conservateur pour sauver la révolution islamique.
Et ce réformisme conservateur a réussi à arracher aux orthodoxes religieux et
au monde entier une sortie des sanctions par la négociation du programme
nucléaire iranien. Il n’y a aucun besoin d’un référendum pour prouver l’immense
soutien populaire du peuple d’Iran pour cet accord. L’avenir est alors ouvert
et il s’appelle Russie pour l’uranium et le programme nucléaire, et Chine pour
le pétrole et les programmes d’infrastructure.
Le film sorti en 2015 donc en même temps ou après l’accord et en tout cas
pendant les négociations ne peut sembler au public naïf qu’être une charge
contre le régime iranien actuel, et cela est parfaitement malvenu.
Maintenant, outre cette dimension historique, il y a bien sûr l’histoire de
cette famille qui se réduit rapidement à un couple. Ce couple s’investit très
rapidement dans la vie associative d’une cité du 93 en même temps que le mari
achève ses études d’avocat en France pour être avocat justement en France. Il
s’investit dans la vie associative du quartier des poètes de Peyrefitte, une
cité totalement abandonnée de cette ville et de ce département. Il réussit en
utilisant ses sept ans et demi de prison sous le Shah pour se tailler peu à peu
un personnage de personne capable d’écoute et ensuite de médiation entre des
gens qui pour des raisons multiples ne peuvent plus s’entendre à tous les sens
du mot. Cela inclut même les policiers de proximité. Ce qu’il fait est
miraculeux. Il ne manque qu’une chose : dire clairement qu’il habite dans
cette cité car s’il n’y a pas cette proximité le miracle est alors purement de
nature divine. S’il y a la proximité alors il y a intégration et c’est quand le
médiateur est intégré dans ces communautés abandonnées et explosées que le
miracle cette fois social et culturel est possible. J’ai personnellement vécu
une telle osmose culturelle à l’échelle de la ville de Roubaix sous le maire
André Diligent. Il faut alors, et c’est très dur, accepter de faire cohabiter
des cultures, des religions, des langues, des traditions différentes, souvent
contradictoires ensemble et dans le respect mutuel. Il ne s’agit pas de
laïcité, le terme est absurde. Il s’agit de « vivre-ensemble » non
pas sur la base du plus petit dénominateur comme l’implique la laïcité mais sur
la base de la multiplication des numérateurs et des dénominateurs pour arriver à
une vraie palette, à un arc en ciel de couleurs, cultures, religions,
traditions, et c’est dans ce cadre là que certaines évolutions sont alors
possibles.
Je n’en donnerai qu’une. Le film en quelques minutes règle le problème de
la polygamie en mettant en parallèle un mari à quatre femmes et un mari à une
femme et X maîtresses temporaires, changeantes, etc. La polygamie africaine est
une polygamie fondée sur le mariage alors que la polygamie à l’européenne est
fondée sur les liaisons alternatives extérieures au mariage que l’on a
longtemps appelées adultères. On notera que dans les deux cas c’est l’homme qui
est unique et qui a l’option du pluralisme féminin. Dans les deux cas il y a
sexisme contre la femme. La polyandrie n’est pas de mise dans les sociétés polygames.
Les femmes mariées qui ont des amants ne sont pas non plus la norme dans les
sociétés monogames et largement adultères.
C’est le point positif le plus fort de ce film : il n’y a pas une
vérité, il n’y a que des points de vue – et des modes de vie – et la vérité si
elle existe et que tous ces points de vue et ces modes de vie doivent coexister
ensemble. La loi ne doit alors plus que sanctionner les délits qui font que
certains exploitent ou maltraitent les autres ou les services sociaux. Et pour
ces délits là il n’y a pas d’âge, même si l’âge doit être pris en compte. Un
mensonge d’enfant de douze ans peut mener à des délits bien plus graves, mais
un mensonge d’un adulte de 25 ans est la marque de délits graves couverts par
ce mensonge. Un potentiel négatif peut être corrigé avant qu’il se réalise. On
appelle cela de la prévention. Une réalité négative ne peut plus être prévenue
et doit donc être dûment traitée et réformée. Il n’y a alors de choix que sur
le mode de traitement et pas sur une quelconque prévention devenue impossible.
Sur ce point précis le film est optimiste car il oublie de le mentionner.
Réformer un récidiviste même de 25 ans seulement est bien plus difficile que le
film ne semble le dire. Imaginez simplement l’injection d’un jeune homme gay,
raison de plus d’un couple gay dans un quartier comme celui-ci et alors la
barbarie n’est pas loin pour certains et il n’y a pratiquement pas de moyens de
la prévenir sinon par le déplacement des hommes gays concernés. Voilà un cas
déjà un peu ancien rapporté par l’AFP : « © 2011 AFP, Publié le 18.01.2011
à 00:00 : « Bruno Wiel a-t-il été torturé et laissé pour mort une
nuit de l'été 2006 parce qu'il était homosexuel? La cour d'assises du
Val-de-Marne juge à partir de ce mardi ses quatre agresseurs présumés dans un
procès dont la partie civile veut aussi faire celui de l'homophobie. »
Cependant il est gênant pour moi que le statut de réfugié politique soit
détourné après quelques années en migration définitive hors d’Iran. Que cela
soit ce que ces deux personnes ont choisi finalement est une question de choix
personnel mais le mettre en avant dans un film me semble oublier que cela
produit généralement des phénomènes négatifs de déracinement qui peuvent
devenir très handicapants psychologiquement, surtout sur la deuxième
génération. Je ne parle pas de mal du pays, mais je parle ici de Syndrome de Stress
Post Traumatique (PTSS est le terme médical technique) ici attaché à un
déracinement et à la perte d’une légitimité culturelle, linguistique ou
religieuse. Toutes les dérives sont alors possibles sur cette base, raison de
plus quand ce déracinement est la conséquence d’une situation coloniale
ancienne, voire séculaire.
Un film à voir, qui a de l’humour, parfois très noir.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 3:26 PM