Tuesday, January 19, 2016

 

Historiquement faible, humainement fort

NOUS TROIS OU RIEN – 2015

Ce film vous surprendra beaucoup. Un film sur la dictature du Shah d’Iran peut être intéressant, mais ici il estune charge parfaitement méritée, mais une charge quand même. Les scènes de prison nous ont épargné les séances de torture avec la célèbre question « Coca ou Pepsi ? » Je vous laisse deviner ce que cette question a à faire dans une séance de torture. Je l’ai entendue plusieurs fois d’étudiants iraniens en 1973, avant la révolution que l’on sait. Ces étudiants iraniens étaient à Davis, Californie, USA pour étudier à l’Université de Californie. Leur principal et immédiat objectif était d’acheter une voiture de sport rouge de luxe. Je passerai la marque. Ils n’étaient pas dans l’opposition. Ils trouvaient très amusant et humoristique la dite question. Ce film oublie que le Shah d’Iran a été installé en Iran par un coup d’état contre Mossadegh élu démocratiquement premier ministre mais qui avait annoncé la nationalisation du pétrole.

Cela étant absent du film toute la perspective historique tombe à l’eau. Le coup d’état financé par la CIA contre un premier ministre dûment démocratiquement élu tourna la majorité qui avait élu ce premier ministre contre les USA. Les classes supérieures étaient avec le Shah, et les classes populaires ainsi que les forces démocratiques étaient contre le Shah, contre la CIA, contre les USA. Khomeini n’a été, de France, que la cheville ouvrière qui a détourné ce mécontentement vers une opposition religieuse au Shah et il a su prôner une révolution violente s’appuyant sur un profond mécontentement populaire. Il a en fait appliqué la stratégie de Lénine en 1917 : utiliser un mouvement populaire pour imposer par l’usage de la force une orientation politique minoritaire qui s’est alors auto-déclarée être la norme.


Le film montre très bien le passage d’une dictature à l’autre sans cependant donner de détails historiques réels car il se centre sur une famille et en fait sur trois frères de cette famille et ensuite sur un de ces frères, son épouse et leur fils. Ce film veut être une histoire réelle mais qui ne traite pas d’histoire mais de profils personnels de personnes concrètes. Il est donc fort décevant au niveau historique et je tiens à dire ici qu’il vient parfaitement mal dans la situation présente puisque l’Iran est à un tournant de son histoire ainsi que le monde entier le concernant. A l’heure actuelle la majorité du peuple d’Iran a élu un président certes conservateur, mais justement réformiste parce que conservateur pour sauver la révolution islamique. Et ce réformisme conservateur a réussi à arracher aux orthodoxes religieux et au monde entier une sortie des sanctions par la négociation du programme nucléaire iranien. Il n’y a aucun besoin d’un référendum pour prouver l’immense soutien populaire du peuple d’Iran pour cet accord. L’avenir est alors ouvert et il s’appelle Russie pour l’uranium et le programme nucléaire, et Chine pour le pétrole et les programmes d’infrastructure.

Le film sorti en 2015 donc en même temps ou après l’accord et en tout cas pendant les négociations ne peut sembler au public naïf qu’être une charge contre le régime iranien actuel, et cela est parfaitement malvenu.


Maintenant, outre cette dimension historique, il y a bien sûr l’histoire de cette famille qui se réduit rapidement à un couple. Ce couple s’investit très rapidement dans la vie associative d’une cité du 93 en même temps que le mari achève ses études d’avocat en France pour être avocat justement en France. Il s’investit dans la vie associative du quartier des poètes de Peyrefitte, une cité totalement abandonnée de cette ville et de ce département. Il réussit en utilisant ses sept ans et demi de prison sous le Shah pour se tailler peu à peu un personnage de personne capable d’écoute et ensuite de médiation entre des gens qui pour des raisons multiples ne peuvent plus s’entendre à tous les sens du mot. Cela inclut même les policiers de proximité. Ce qu’il fait est miraculeux. Il ne manque qu’une chose : dire clairement qu’il habite dans cette cité car s’il n’y a pas cette proximité le miracle est alors purement de nature divine. S’il y a la proximité alors il y a intégration et c’est quand le médiateur est intégré dans ces communautés abandonnées et explosées que le miracle cette fois social et culturel est possible. J’ai personnellement vécu une telle osmose culturelle à l’échelle de la ville de Roubaix sous le maire André Diligent. Il faut alors, et c’est très dur, accepter de faire cohabiter des cultures, des religions, des langues, des traditions différentes, souvent contradictoires ensemble et dans le respect mutuel. Il ne s’agit pas de laïcité, le terme est absurde. Il s’agit de « vivre-ensemble » non pas sur la base du plus petit dénominateur comme l’implique la laïcité mais sur la base de la multiplication des numérateurs et des dénominateurs pour arriver à une vraie palette, à un arc en ciel de couleurs, cultures, religions, traditions, et c’est dans ce cadre là que certaines évolutions sont alors possibles.


Je n’en donnerai qu’une. Le film en quelques minutes règle le problème de la polygamie en mettant en parallèle un mari à quatre femmes et un mari à une femme et X maîtresses temporaires, changeantes, etc. La polygamie africaine est une polygamie fondée sur le mariage alors que la polygamie à l’européenne est fondée sur les liaisons alternatives extérieures au mariage que l’on a longtemps appelées adultères. On notera que dans les deux cas c’est l’homme qui est unique et qui a l’option du pluralisme féminin. Dans les deux cas il y a sexisme contre la femme. La polyandrie n’est pas de mise dans les sociétés polygames. Les femmes mariées qui ont des amants ne sont pas non plus la norme dans les sociétés monogames et largement adultères.

C’est le point positif le plus fort de ce film : il n’y a pas une vérité, il n’y a que des points de vue – et des modes de vie – et la vérité si elle existe et que tous ces points de vue et ces modes de vie doivent coexister ensemble. La loi ne doit alors plus que sanctionner les délits qui font que certains exploitent ou maltraitent les autres ou les services sociaux. Et pour ces délits là il n’y a pas d’âge, même si l’âge doit être pris en compte. Un mensonge d’enfant de douze ans peut mener à des délits bien plus graves, mais un mensonge d’un adulte de 25 ans est la marque de délits graves couverts par ce mensonge. Un potentiel négatif peut être corrigé avant qu’il se réalise. On appelle cela de la prévention. Une réalité négative ne peut plus être prévenue et doit donc être dûment traitée et réformée. Il n’y a alors de choix que sur le mode de traitement et pas sur une quelconque prévention devenue impossible.


Sur ce point précis le film est optimiste car il oublie de le mentionner. Réformer un récidiviste même de 25 ans seulement est bien plus difficile que le film ne semble le dire. Imaginez simplement l’injection d’un jeune homme gay, raison de plus d’un couple gay dans un quartier comme celui-ci et alors la barbarie n’est pas loin pour certains et il n’y a pratiquement pas de moyens de la prévenir sinon par le déplacement des hommes gays concernés. Voilà un cas déjà un peu ancien rapporté par l’AFP : « © 2011 AFP, Publié le 18.01.2011 à 00:00 : « Bruno Wiel a-t-il été torturé et laissé pour mort une nuit de l'été 2006 parce qu'il était homosexuel? La cour d'assises du Val-de-Marne juge à partir de ce mardi ses quatre agresseurs présumés dans un procès dont la partie civile veut aussi faire celui de l'homophobie. »


Cependant il est gênant pour moi que le statut de réfugié politique soit détourné après quelques années en migration définitive hors d’Iran. Que cela soit ce que ces deux personnes ont choisi finalement est une question de choix personnel mais le mettre en avant dans un film me semble oublier que cela produit généralement des phénomènes négatifs de déracinement qui peuvent devenir très handicapants psychologiquement, surtout sur la deuxième génération. Je ne parle pas de mal du pays, mais je parle ici de Syndrome de Stress Post Traumatique (PTSS est le terme médical technique) ici attaché à un déracinement et à la perte d’une légitimité culturelle, linguistique ou religieuse. Toutes les dérives sont alors possibles sur cette base, raison de plus quand ce déracinement est la conséquence d’une situation coloniale ancienne, voire séculaire.

Un film à voir, qui a de l’humour, parfois très noir.


Dr Jacques COULARDEAU



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