FRANZ SCHUBERT – WINTERREISE
– CAPPELLA FORENSIS – 2013
Certains me diront que ce ne sont que des chansons, des Lieder, et qu’il ne
faut pas les prendre au sérieux. La variété au goût allemand en plein
romantisme. Ne pas s’étonner donc que ce soit l’hiver ici, gelé, glacé, froid
et dur comme Le névé. Neige et autres frimas sont au rendez-vous et pas pour
quelques sports d’hiver sur la neige poudreuse. Oh que non. Il faut y voir et
entendre les larmes couler et tomber sur le sol. On pleure ici autant de larmes
à l’heure que la journée à de secondes dans ses vingt-quatre heures. Et en plus
c’est le plaisir dans son excellence et dans son essence même. Plus malheureux
que lui, tu meurs. Car lui il n’en est pas mort puisque toutes ces larmes ne
sont qu’un mal de cœur, un mal d’amour sans la plus grande importance que de
lui faire verser des torrents de larmes.
Le cœur a ses raisons totalement déraisonnables que la raison ne connaît cordialement
pas. Et quand la réalité de ses malheurs d’amour n’est pas à la hauteur de ses
désirs de larmes, il lui suffit d’aller à quelque fontaine, sous quelque
tilleul et de rêver, entendez imaginer, les malheurs du cœur de quelque Werther
qui n’ont d’égaux que les tortures du corps de ce cœur amoureux. En d’autres termes
Franz Schubert n’a fait que broder des draperies mortuaires sur des histoires
amoureuses sans avenir et sans lendemain. On a donc ici de la variété triste
pour auditeurs qui veulent mettre leur cœur dans une écharpe qu’ils vont porter
sur la poitrine comme un bras cassé dans
un plâtre plus lourd que moi tu meurs à nouveau.
Il faut dire que François Bernard dans sa direction du groupe Capella
Forensis s’en donne à cœur tristesse et rend la musique si hypnotique dans son
appel à la mort cordiale d’un cœur qui bien sûr survivra à cet hiver en forme
de déceptions amoureuses car même dans cet hiver glacé une de perdue dans la
neige hivernale et dix de retrouvées dans les jonquilles printanières en fleur.
Il suffit d’avoir la patience nécessaire et la jouissance du malheur
suffisamment longue.
Il ne faut ajouter à cette musique délicatement mortuaire sinon morbide que
la voix du baryton Jean-Baptiste Dumora pour comprendre comment le froid vous
prend le dos du coccyx au crâne, vertèbre après vertèbre, de bas en haut puis
de haut en bas et vous vous prenez à grelotter de sanglots longs dans la
distance immense de la montagne enneigée. Sa voix a une texture qui se fait
suave et douce comme je ne sais quelle épaisse italienne pâte de noisettes et
chocolat qui littéralement nous enrobe de la douceur confortable d’une mort
lente qui nous prend pas à pas et doigt à doigt dans l’avancée d’un deuil
annoncé mais qui nous mènera directement à une seconde venue, une résurrection
apocalyptique au mois de mai, entre paniers de cerises et bouquets de muguet. Il
est la voix pleine et onctueuse dont nous avons besoin pour que cette descente
aux ténèbres d’un tombeau soit suffisamment réaliste pour nous faire croire que
c’est bien nos funérailles que nous chantons.
Jouissez de ce pèlerinage à Cythère entièrement dédié à la mort de l’amour
qui nous tue par sa propre mort pour mieux nous faire revivre au premier jupon
qui passe, j’entends à la première bouffée de printemps avec fleurs et groseilles,
car surtout ne pensez pas que Franz Schubert pourrait s’éprendre de je ne sais
quel fruit mâle comme un noir cassis ou un tout aussi noir pruneau. Il fait
dans la jeune fille, la framboise délicate et la fraise suave, qui de toute
façon le laisseront tomber dès qu’il aura mordu à l’hameçon et iront ferrer
quelque autre poisson plus avantageux en monnaie ou en chair.
Larmoyez bien avec Schubert. Il le mérite assez dans sa solitude (douzième
titre) qui devient si pathétique que nous ne pouvons éprouver que de la
compassion pour ce cœur esseulé et abandonné dès que rencontré car il faut
bien le dire cet amour des pleurs et des larmes n’est pas des plus appétissants
même pour une jeune fille allemande du début du 19ème siècle. C’était
le temps de l’attente du postier (treizième titre). Qu’est-ce qu’on a perdu de
romantisme aujourd’hui avec les emails ! Faites le voyage de cet hiver
éternel voué à une fin fructueuse.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 6:51 AM