Sunday, July 12, 2015

 

Interprétation capitonnée des sanglots longs de Schubert

FRANZ SCHUBERT – WINTERREISE – CAPPELLA FORENSIS – 2013

Certains me diront que ce ne sont que des chansons, des Lieder, et qu’il ne faut pas les prendre au sérieux. La variété au goût allemand en plein romantisme. Ne pas s’étonner donc que ce soit l’hiver ici, gelé, glacé, froid et dur comme Le névé. Neige et autres frimas sont au rendez-vous et pas pour quelques sports d’hiver sur la neige poudreuse. Oh que non. Il faut y voir et entendre les larmes couler et tomber sur le sol. On pleure ici autant de larmes à l’heure que la journée à de secondes dans ses vingt-quatre heures. Et en plus c’est le plaisir dans son excellence et dans son essence même. Plus malheureux que lui, tu meurs. Car lui il n’en est pas mort puisque toutes ces larmes ne sont qu’un mal de cœur, un mal d’amour sans la plus grande importance que de lui faire verser des torrents de larmes.


Le cœur a ses raisons totalement déraisonnables que la raison ne connaît cordialement pas. Et quand la réalité de ses malheurs d’amour n’est pas à la hauteur de ses désirs de larmes, il lui suffit d’aller à quelque fontaine, sous quelque tilleul et de rêver, entendez imaginer, les malheurs du cœur de quelque Werther qui n’ont d’égaux que les tortures du corps de ce cœur amoureux. En d’autres termes Franz Schubert n’a fait que broder des draperies mortuaires sur des histoires amoureuses sans avenir et sans lendemain. On a donc ici de la variété triste pour auditeurs qui veulent mettre leur cœur dans une écharpe qu’ils vont porter sur la poitrine comme un  bras cassé dans un plâtre plus lourd que moi tu meurs à nouveau.

Il faut dire que François Bernard dans sa direction du groupe Capella Forensis s’en donne à cœur tristesse et rend la musique si hypnotique dans son appel à la mort cordiale d’un cœur qui bien sûr survivra à cet hiver en forme de déceptions amoureuses car même dans cet hiver glacé une de perdue dans la neige hivernale et dix de retrouvées dans les jonquilles printanières en fleur. Il suffit d’avoir la patience nécessaire et la jouissance du malheur suffisamment longue.


Il ne faut ajouter à cette musique délicatement mortuaire sinon morbide que la voix du baryton Jean-Baptiste Dumora pour comprendre comment le froid vous prend le dos du coccyx au crâne, vertèbre après vertèbre, de bas en haut puis de haut en bas et vous vous prenez à grelotter de sanglots longs dans la distance immense de la montagne enneigée. Sa voix a une texture qui se fait suave et douce comme je ne sais quelle épaisse italienne pâte de noisettes et chocolat qui littéralement nous enrobe de la douceur confortable d’une mort lente qui nous prend pas à pas et doigt à doigt dans l’avancée d’un deuil annoncé mais qui nous mènera directement à une seconde venue, une résurrection apocalyptique au mois de mai, entre paniers de cerises et bouquets de muguet. Il est la voix pleine et onctueuse dont nous avons besoin pour que cette descente aux ténèbres d’un tombeau soit suffisamment réaliste pour nous faire croire que c’est bien nos funérailles que nous chantons.


Jouissez de ce pèlerinage à Cythère entièrement dédié à la mort de l’amour qui nous tue par sa propre mort pour mieux nous faire revivre au premier jupon qui passe, j’entends à la première bouffée de printemps avec fleurs et groseilles, car surtout ne pensez pas que Franz Schubert pourrait s’éprendre de je ne sais quel fruit mâle comme un noir cassis ou un tout aussi noir pruneau. Il fait dans la jeune fille, la framboise délicate et la fraise suave, qui de toute façon le laisseront tomber dès qu’il aura mordu à l’hameçon et iront ferrer quelque autre poisson plus avantageux en monnaie ou en chair.

Larmoyez bien avec Schubert. Il le mérite assez dans sa solitude (douzième titre) qui devient si pathétique que nous ne pouvons éprouver que de la compassion pour ce cœur esseulé et abandonné dès que rencontré car il faut bien le dire cet amour des pleurs et des larmes n’est pas des plus appétissants même pour une jeune fille allemande du début du 19ème siècle. C’était le temps de l’attente du postier (treizième titre). Qu’est-ce qu’on a perdu de romantisme aujourd’hui avec les emails ! Faites le voyage de cet hiver éternel voué à une fin fructueuse.


Dr Jacques COULARDEAU



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