Thursday, June 04, 2015

 

Cantique pour Cantique, ou la némésis cosmique

CÉCILE OUMHANI – PASSEUR DE RIVES – ENCRES MYOUG-NAM KIM – 2015

On entre dans ce livre par sa couverture et donc par les encres de Myoug-Nam Kim. Un univers en soi, un espace fuyant et vaporeux qui nous transportent dans les brumes exploratoires de nos pensées les plus secrètes et sérieuses. Se plonger dans ces encres c’est comme se perdre dans la recherche infinie d’un esprit et d’une âme humaines qui se cachent en nous et que les encres révèlent, appellent, suggèrent et interpellent.

Mais c’est la poésie qui nous fascine.


Après un deuxième deuil maternel qui ramène le souvenir du deuil paternel plus ancien Cécile Oumhani a écrit ce recueil qui pose de nombreux problèmes d’interprétation du fait de la saisie du temps qu’il contient et qu’il exprime plus par des images que par des métaphores, par de vaporeuses perspectives floues et même flouées se déchirant entre souvenirs incapables de reconstruire le passé et rêves ou songes incapables de construire l’avenir car le temps est un continuum évanescent qu’aucune conscience ne peut définir, délimiter, matérialiser.

Alors même que le concept et le mot temps est hyper présent, en fait Cécile Oumhani remonte à la réalité cosmique de la durée, et rien que de la durée, une durée pesante et lourde, opaque et inerte qui s’accumule sur nos âmes comme la fatalité d’un orage de montagne en été. La durée ne nous laisse aucune option de fuite. Elle nous englue dans l’existentiel sans profondeur mais aussi envahissant et asservissant que la plus dure de toutes les drogues psychotropes hallucinogènes. Elle retrouve alors la dimension majeure du bouddhisme qui est l’effort d’échapper à cette aliénation, mais elle ne semble pas le savoir.


Tout n’est que changement et le passé n’est plus qu’une série d’échos ou de réverbérations dans la mémoire et la conscience de Cécile Oumhani, des réverbérations qui viennent de l’autre rive du présent, de l’autre rive de la vie, de l’autre rive de la culture et de l’autre rive de la langue. Et l’autre est aussi multiple que l’ici puisque l’ici n’est que la réverbération spéculaire de cet autre, de ces autres.

Que peut faire alors Cécile Oumhani ? Elle ne peut que toucher les choses qui ont survécu au passage du temps et qui survivent au passé pour essayer  en suivant les pas du disparu, de la disparue de retrouver, de redécrypter, de redéchiffrer peut-être une ou deux vérités de ce passé évanoui, une ou deux survivances de ce passé perdu.


Le présent n’est plus alors qu’un point flottant dans ce temps, un point sans durée, en perpétuelle translation et qui ne peut s’accrocher qu’à une image, une vision, un oiseau, un chant, une huppe ou un son qui passent aussi vite qu’un loriot, que le présent mort l’instant même où il prend corps, l’instant même où il se solidifie, semble-t-il, en apparences avant de se dissoudre aussitôt dans le passé sous le rouleau compresseur de l’avenir qui n’en fini pas de venir et qui meurt dès l’instant qu’il vient.

On voit alors le drame de l’auteure dans cette frustration et qui réalise que la durée qu’elle appelle temps n’a aucune logique de cause à effet et que le présent ne s’explique pas. Il émerge simplement de tout ce passé accompli, assouvi, rempli. Et cette émergence n’est plus qu’un pas de plus dans la longue marche du cosmos qui nous emporte qu’on le veuille ou non vers la fin ultime de la transcendance, de la transgression, de la translation dans laquelle nous nous perdons corps et âme et à jamais.


Que reste-t-il pour l’à-venir comme elle l’appelle ? Dans cet univers sans cause et sans effet il ne reste pour l’auteure que l’abandon personnel aux cycles naturels et cosmiques, au flux de l’eau des rivières et elle ne peut seulement que rêver d’un pont construit par des mains qui viennent du passé et rencontrent les mains venues du présent et cette rencontre donne une chance virtuelle et totalement rêvée d’un à-venir qui pourtant n’a aucun avenir puisqu’il n’est qu’un songe de désir et non un vrai phénomène productif. Elle est emportée dans le tourbillon des vies et des morts de chaque chose, de chaque être sans que la moindre logique ne donne sens à ce maelstrom samsarique.

La conscience d’une personne multiculturelle qui ne sait pas comment faire quand chaque culture et chaque langue sont des univers clos et qui ne peuvent communiquer que dans l’imaginaire des individus transculturels qui transpose chaque langue et chaque culture dans un univers autre qui les trahisse en même temps qu’il les transcende d’une vie qu’ils ne peuvent avoir que dans ce vaste phénomène de transmigration interraciale. Et l’on entend le Deutéronome biblique (7:3-4) : « Tu ne contracteras point de mariage avec ces peuples, tu ne donneras point tes filles à leurs fils, et tu ne prendras point leurs filles pour tes fils; car ils détourneraient de moi tes fils, qui serviraient d'autres dieux, et la colère de l'Éternel s'enflammerait contre vous: il te détruirait promptement. » Mais le Nouveau Testament n’est pas plus obscur ni clair sur la question dans le Deuxième Épître aux Corinthiens : « 14 Ne vous mettez pas avec les infidèles sous un joug étranger. Car quel rapport y a-t-il entre la justice et l'iniquité? Ou qu'y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres? »

 


Est-ce du post humain ? Cela pourrait l’être si le post humain n’était pas un Post Traumatic Stress Syndrome à part qui hélas a contaminé tout le monde d’une infection rétrovirale incurable dans cette période de matraquage du changement climatique causé par l’homme. Mort à cet homme qui met en péril la vie du cosmos et la survie des amulettes et allumettes de la primitivité et de la misère. Surtout les veilles de Noël.

Pour échapper ç ce malheur suprême on ne pourrait que tout centrer sur le cosmos et accepter le projet de supprimer l’humanité. Heureusement cela viendra tout seul selon Ray Kurzweil quand la singularité supprimera l’espèce humaine telle que nous la connaissons.


Alors laissons nous charmer pour le moment par les errements naïfs et innocents de Cécile Oumhani d’une culture à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un temps à un autre et essayons de garder en tête le chant éternel d’amour du Cantique des Cantiques (1:5-7) : « Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, Comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon. Ne prenez pas garde à mon teint noir: C'est le soleil qui m'a brûlée. Les fils de ma mère se sont irrités contre moi, Ils m'ont faite gardienne des vignes. Ma vigne, à moi, je ne l'ai pas gardée. Dis-moi, ô toi que mon cœur aime, Où tu fais paître tes brebis, Où tu les fais reposer à midi; Car pourquoi serais-je comme une égarée Près des troupeaux de tes compagnons? »


Et Cécile Oumhani en écho à cet hymne admirable chante :

« Mots
de sable
coulés
d’eau et de feu

pétris
de sang et de lave

à l’image
de ce que nous rêvons
d’âpre et de beau
au levant de nos yeux » (page 101)

Dr Jacques COULARDEAU





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