MARCEL CARNÉ –
JACQUES PRÉVERT – ARLETTY – JEAN-LOUIS BARRAULT – PIERRE BRASSEUR – LES ENFANTS
DU PARADIS – 1945
Ce film est un prodige de turbulence et de sentimentalité au bord de la
passion et du tsunami populaire.
C’est tout d’abord et avant tout un film sur le théâtre, le théâtre parlant
et le théâtre de mime, tous théâtres à l’italienne avec deux balcons et un
paradis, bien qu’il manque le pigeonnier (je me souviens de celui du Grand Théâtre
de Bordeaux). Une croyance folle au théâtre populaire où les pauvres sont au
paradis et les acteurs sont leurs anges et ils ont intérêt à se bien tenir. Et
une pièce était un vrai succès quand le parterre suivait le paradis, même si les
loges et les balcons n’aimaient pas le charivari et les interventions bruyantes
et passionnées du populo du paradis. C’était le monde à l’envers, du moins le
monde de Shakespeare puisque chez William le populo est au parterre et le paradis
ou troisième balcon est pour les estudiantins pas totalement désargentés.
Mais le film oppose, compare et en fait chante les deux grands genres du
théâtre d’acteurs et du théâtre de mimes. L’un comme l’autre ont leurs règles
et leurs fonctionnements, mais tous les deux sont des arts de passionnés pour
un public de passionnés, pour des auteurs qui n’ont jamais le dernier mot mais
pour des créditeurs toujours enragés et violents que seuls de généreux
donateurs peuvent tenir à distance. C’est toute une période largement disparue
en France où l’état a pris la relève du mécénat royal inventé par François 1er
qui avait pris partiellement le relai de l’église et de quelques nobles. L’état
mécène fait que le théâtre populaire est mort au profit du théâtre pour la
classe moyenne moyennement éduquée qui veut apparaître ouverte d’esprit :
beaucoup d’enseignants enseignés (80% selon certains). Il reste bien sûr le théâtre
privé mais alors on est chez la classe moyenne moyennement éduqué qui ne crache
pas sur l’étiquette bourgeoise ou qui n’en a cure. Si vous avez envie de voir
des choses neuves, des créations vivantes par leurs auteurs qui sont toujours
ou encore vivants c’est là que vous devez aller car le théâtre public fait
surtout dans l’archéologiquement funéraire pour ne pas payer de droits d’auteurs.
Le film est donc la fête du théâtre quand il était œuvre de création
complète, même si un Othello ne saurait résister à la montée des classiques.
« O rage ! O désespoir ! Mon Dieu qu’ai-je donc dit !
N’ai-je donc tant vieilli que pour la calomnie ! »
Le film ajoute à ce théâtre la scène de la rue qui est sans cesse un
boulevard du crime ou une esplanade de carnaval. On défile, on danse, on
chante, on musique, et on fait tant d’autres choses dans cette rue en folie. On
détrousse le passant. On pique les poches et les montres. On tue par ci par là
quelques badauds ébahis ou quelques rentiers confits. Tuer est aussi un art et
voler est un des beaux arts fondamentaux à la vie, même si celle-ci doit s’envoler
d’un passant pour donner la fortune à un malappris à la fine lame.
Et en plus ce film savamment et brillamment restauré est en un noir et
blanc éclatant de lumière et d’ombre mélangées et entrelacées. C’était le temps
des voitures à chevaux et des luminaires à gaz de ville. Rien ne vaut la bonne
répartie et si un nobliau invite son cocher à votre prochaine performance n’oubliez
pas d’inviter ses chevaux en avant-scène. On n’a que la finesse des rênes de ses chevaux quand on n’a pas la brillance
d’une intelligence bien éduquée ou d’un sens social empathique.
Vous adorerez les acteurs et actrices, tous très jeunes et tous promis à
des vies bien richement chargées. C’était le temps où les vedettes se formaient
treize à la douzaine. Depuis on a importé le star business de je ne sais quelle
forêt de houx à côté d’une ville de perdition dédiée aux anges du paradis. Suivez
mon regard. On y finit là bas comme ailleurs six pieds sous terre, même s’il n’y
a que les petits oiseaux et ces vedettes pour passer de l’eau en l’air, comme disait
mon père, avec un mot plus clair en deux syllabes commençant avec un pêt bien sûr,
un pêt mémorable : « Celle-ci se dégagea encore, mais en faisant ce
mouvement elle lâcha un pet, non pas un pet vulgaire mais un pet au
son cristallin qui provoqua chez elle un rire violent et nerveux. » — (Guillaume
Apollinaire, Les Onze Mille Verges, 1907, Les Onze mille verges ou les Amours d'un hospodar [Format
Kindle], ). Et Frédérick
Lemaître n’aurait pas pu dire mieux. Mais entre Apollinaire et Prévert on est
bien entouré.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:27 PM