PHILIPPE JAROUSSKY – PAUL VERLAINE – GREEN, MÉLODIES
FRANÇAISES – 2015
Une fois n’est pas
coutume, mais les textes étant français, les compositeurs pour la plupart
français et les artistes eux aussi français, il va de soi que la critique doit
l’être tout autant. Tant pis pour ceux qui ne parlent pas cette langue.
Verlaine fut une
coqueluche en son temps, à la fin du 19ème et au début du 20ème
siècle. Puis il fut aussi un favori de Ferré, Brassens et autres interprètes
plus ou moins anarchistes de l’après Deuxième Guerre Mondiale, comme pour
compenser je ne sais quelle souffrance intime de ce peuple français pour lequel
ils chantaient. On essaie sans cesse de retrouver le Verlaine jeune, coureur,
grivois, obscène, langoureux, sensuel, érotique pour ne pas dire pornographique
de ses pratiques adolescentes et de jeune adulte saltimbanque qu’il perpétrera
dans son âge avancé où les abats lexicaux remplaceront les ébats sexuels.
Rimbaud en tourne toujours dans sa tombe.
Je ne ferai que
quelques remarques sur ce double CD qui devrai fasciner le public qui
simplement aime la musique simple de la chanson française, une musique rarement
simpliste dans ce cas du fait de la variété des compositeurs, tous chevronnés
et experts dans la musique de salon, d’opéra lyrique, ou bouffe, de théâtre de
boulevard ou de cour, si cela existe encore après la chute de l’empire, bien
que les cours républicaines sont parmi les plus courues du pays. La diversité
permet de donner plusieurs versions de certains poèmes, ce qui ne peut être
qu’amusant et même distrayant, sinon instructif. Pourquoi tant de gens de
genres (pour toute question de genre voir plus loin vers la fin de cette
critique) parfois si différents se sont-ils intéressés à ce Verlaine ?
Certains disent pour la musicalité naturelle de sa langue. Certes, même si de
nombreuses rimes sont plus anglaises que françaises. D’autres disent que sa
langue est naturellement rythmique. Certes à nouveau mais l’irrégularité de
certains vers, les enjambements et autres trouvailles modernistes sont là plus
que nécessaire pour faire rugir les classicistes de la rythmique poétique
alexandrine ou romantique. On oublie la troisième qualité de Verlaine. Sa
poésie est sensuelle, aguichante et très savamment surprenante dans ses
orientations diverses.
Verlaine a une
langue de sucre gentiment bien travaillée en surface pour qui aime les choses
fondantes et quand ces choses fondent elles commencent à dégouliner et voilà
que c’est alors et alors seulement que la chose dont ces sucreries sont
fourrées, le fourrage si vous voulez, vous déboule sur la langue et dans le
gosier et ce fourrage est définitivement du poivre, du piment basque, de
l’harissa et du pili pili et que ce chili plus que sensiblement charnel en
devient un chili con carne plus que chaud au ventre, à la tripe et à la
bedaine. Verlaine en surface est un Baudelaire sans absinthe et sans opium,
mais en profondeur il vous redresse d’un coup de trique qui prend par surprise,
mais une surprise attendue, donc ce n’est pas un viol. Vous saviez à quoi vous
attendre, et si vous n’êtes pas trop subtil vous ne le saurez jamais car dans
ces poèmes jamais Verlaine n’appelle un chat un chat ni un fouet un fouet.
La voix de Philippe
Jaroussky dans ces chansons pour soprano, ou transposées pour soprano réussit
parfaitement parce qu’on n’a surtout pas une voix sur-articulée aux voyelles
incompréhensibles de la scène d’opéra français mais au contraire une
articulation d’opérette, d’opéra lyrique ou d’opéra bouffe qui laisse donc
l’auditeur au plaisir de comprendre cette langue sans avoir besoin d’un
dictionnaire phonétique biscornu pour oreilles torturées. La voix en plus est
délicate presque fragile, jamais précieuse, surtout quand il joue sur les
demi-tons un peu tristes mais toujours langoureux. Et quel plaisir de ne pas
avoir une de ces performances de salons bourgeois et petits bourgeois de la
troisième république, encore en vigueur dans certains festivals de province,
performance où l’accent circonflexe de « tempête » que Philippe
Jaroussky ne prononce pas aurait sonné comme un coup de canon funèbre et
funéraire à la fois.
On se prend même au
jeu de l’espièglerie de Fisch-Ton-Kan qui joue de l’haltérophilie comme
d’autres jouent de la cuillère à absinthe ou du flûtiau encore appelé pipeau à
cinq doigts. Et de toute façon vous ne saurez pas qui il est, mis à part qu’il
altère l’orthographe des haltères, sans qu’on l’entende, et il doit se faire
une gorge chaude de cette désaltérante altération. Et pourtant il sait
maintenir ce qu’est la plus grande tristesse en forme d’extase ultime comme
dernière planche du salut avant le saut de la mort dans quelque cirque urbain.
Mais écoutez un peu
ce petit quatrain de rien du tout :
Et
quand, solennel, le soir
Des
chênes noirs tombera,
Voix
de notre désespoir,
Le
rossignol chantera.
A quoi donc peut
bien ressembler un « soir des chênes noirs » ? Est-il différent
d’un soir des saules pâles ? Et il faut être vraiment tordu dans le sens
du désespoir pour voir une prison comparable à je ne sais quelle ballade de
Villon sur quelques pendus qui ne savent quel vent choisir car les vents c’est
faux et en choisir un cela dépend de beaucoup de choses, ce qui est ironique
pour un pendu. Mais vraiment ce douillet cocon d’une maison ou un quelconque
vieillard s’imagine qu’il peut encore se souvenir de ce qu’il aurait fait entre
ses draps s’il était encore jeune, mais il ne l’est justement plus, transformé
en prison est plus que généreusement ironique. Il ne lui reste plus que ses yeux
pour jouer au voyeur pleureur, qui le con-saule d’une certaine façon.
Léo Ferré perd de sa
gouaille de sombre Titi parisien vieillissant et gagne en frivole, grivois,
espiègle luron qu’il n’est plus tout à fait. Brassens d’ailleurs lui en devient
un véritable chasseur de chats et chattes en chaleur à la tombée de la nuit à
l’orée de quelque forêt et il s’en revient bredouille comme un chasseur
éconduit ou un amoureux déchargé. Il ne faut jamais oublier ses cartouches, mon
cher Georges. Mais que dire de Charles Trénet qui troque dans sa Chanson
d’Automne la danse des vagues sombres de l’écume maritime pour les soubresauts
de quelque dauphin mélodique dans la baie de San Francisco, de quelque saumon
mélodieux en remontée du Mississippi pour pondre son avenir dans la liqueur
aqueuse d’une beauté douce de nature naissante bercée par un pianistes
grappillant ses notes avec volupté.
Certains
compositeurs cependant arrivent à créer des atmosphères qui auraient surpris
Verlaine lui-même. Gabriel Fauré dans son adaptation du Clair de Lune joue à
l’archange Gabriel en pleine extase d’Annonciation et nous restitue
l’atmosphère recueillie des langoureuses prières que des religieuses
bénédictines adressent à leur époux Jésus Christ du cœur sombre de quelque
abbatiale romane comme Lavaudieu.
On peut alors finir
sur ces poèmes amoureusement érotiques mais dont l’orientation sexuelle est
aussi imprécise que trouble pour les gens qui ne confondent pas un chien et un
pigeon. Le plus beau dans ce genre indéterminé est Green qui commence en son
premier vers par planter le décor d’un corps végétal plus que mâle
(« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches ») qu’il
offre aux yeux voyeurs et aux mains de blancheur de la personne qu’il aime,
mais sans même qu’un genre grammatical comme celui de « personne » ne
vienne préciser si on a affaire à un mâle ou une femelle. Puis il nous refait
le coup dans son Colloque Sentimental où un couple de spectres et une paire de
formes sont de toute évidences mono-sexués que ce soit au féminin des formes ou
au masculin des spectres.
La musique est belle
et variée, la voix est divine et angélique, mais les paroles ne sont pas à
mettre entre toutes les mains et ne donnez surtout pas d’explications aux
enfants. Qu’ils fassent usage de leur imagination ou de leurs phantasmes pour savoir
ce que sont des fruits et des branches dans le monde dévoyé de Verlaine.
Dr jacques
COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 9:34 AM