BERTRAND BONELLO
– SAINT LAURENT – 2014
Il s’agit là d’un film adulé. Il serait intéressant alors de se demander
pourquoi il est autant adulé alors que son concurrent, « Yves Saint Laurent », est passé sans véritablement
faire de vagues. La différence anecdotique est que Pierre Berger était pour
l’autre et contre celui-ci. Mais rien n’est simple en ce bas monde, alors on
peut se poser bien des questions. Serait-ce une sporte de réponse de la
bergère ?
Je vais simplement me demander ce qui donne à ce film un attrait si
irrésistible que certains ont qualifié d’hypnotique.
D’abord il fait l’impasse sur le peu utile épisode de l’Algérie et se
concentre sur l’adulte en France qui va bouleverser le monde d’une vision
endiablée et enflammée de la chair qu’il faut bien habiller au risque de laisser
la nudité envahir nos rues et nos salons. Il est un enfant du baby boom et le
film le place résolument dans cette dynamique qui commence aux alentours de
1956. Le film sait manier tous les médias et tous les arts qui ont bouleversé
l’âme de ce monde de l’après monstruosité, ce qui n’implique en rien qu’il n’y
a pas eu et qu’il n’y aura plus de
monstruosités dans ce monde.
Yves Saint Laurent apparaît alors comme un enfant pourri que le monde de la
France franco franchouillarde aurait bien pu éliminer par puritanisme
républicain et laïque sur la simple question de sa non conformité sexuelle et
de sa non-conformité addictive, quelque part dans un hôpital militaire. Il
cherchait dans la vie tout ce qui pouvait la faire dérailler de la normalité.
Bref il était le diable et une république laïque ne peut pas tolérer le diable
car celui-ci implique quelque part un dieu ou des dieux. Alors on déclare ce
diable fou, caractériel, psychotique, voire même schizophrénique, schizo comme
disent les gens branchés de la classe moyenne intégrée.
Le film alors puise dans la musique de ce temps-là et dans les informations
prioritairement télévisées et cinématographiques de l’époque. De Gaulle
traverse la coulisse et la scène en grand inspirateur qui n’a laissé de
souvenir que son nom. En fait de Gaulle comme Yves Saint Laurent étaient des
iconoclastes de l’ordre établi pour trouver un ordre nouveau qui soit généreux
et humain. Et je pèse mes mots. L’ont-ils trouvé ? En ces temps de Pays
Bas triomphants dans le doute érigé en morale obligatoire pourvue qu’elle soit
absolument non-religieuse, nous voulons dire non-chrétienne et non-juive mais
bien évidemment anti-la-troisième-religion-à-base-hébraïque, nous pouvons en
douter. Et Yves Saint Laurent rêve d’un Mohamed et d’un Ali derrière la Gare du
Nord dans les gravats d’un chantier en remplacement du Jacques que Pierre
Berger lui interdit.
Le film ensuite produit un tourbillon d’images composites et d’écrans
mosaïques qui font danser ensemble des images qui n’ont que peu à voir les unes
avec les autres. Il réinvente ou même peut-être invente le cinéma polyrythmique
à l’image – c’est le cas de le dire – de la musique polyrythmique
afro-américaine qui nous submerge alors, y compris dans ses formes françaises
comme Sheila, Sylvie Vartan et Johnny Halliday. Il n’hésite devant aucune
référence pour ancrer son discours dans le monde moderne des flux croisés,
parallèles et antiparallèles, convexes et concaves, centrifuges et centripètes
de l’information Internet de nos tablettes folles et de nos téléphones
soi-disant smart et qui ne sont que maelstromiques ou maelstromés. Il cite même
Jacques Brel entre deux tranches d’Andy Warhol, entre une Valérie Saint Laurent
qui VaiSseLle et celui qu’ils épargne d’un Emile Saint Laurent fictif qui
ferait ÉSL, aisselle.
Cela permet de faire passer un discours
dominant sur Yves Saint Laurent et de le centrer sur la seule mode féminine
comme s’il avait réinventé la Vierge Marie ou Marie-Madeleine, comme s’il avait
réinventé les Rois Mages et la Passion pour être capable de produire quelques
parures qui ne sont que des peintures superficielles de la chair qu’elles
enveloppent. Yves Saint Laurent par la drogue, l’alcool, la promiscuité multi-sexuelle
et la débauche poly-sexuelle a réussi a proposer à la planète et aux femmes une
façon de s’habiller qui ne soit qu’une mise en valeur de leur chair pour le
plus grand plaisir des magazines de mode et des journaux dits féminins. La
femme est devenue un objet d’adulation non contrôlé et cette adulation non
contrôlé fétichisée dans les fringues dont elles cachent ou révèlent leur chair
n’est que la libération en l’homme de l’imaginaire machiste de la possession
pour la seule satisfaction de pulsions sexuelles chez les hommes ne laissant
aux femmes que le soin de jouer leur rôle de fétiches sexuels très richement
habillés pour être tout aussi richement déshabillés.
Le film n’est vraiment fascinant que pour ceux qui ont leur conscience
intellectuelle et culturelle légèrement en-dessous du nombril. La beauté de la
fringue pour les femmes comme pour les hommes ne sont que les fioritures qui
allument les instincts sexuels des hommes et des femmes avec des bibelots
vestimentaires qui ne font que révéler l’objet du désir tout en le dissimulant,
au moins partiellement, demi-nu contre demi-vêtu.
Par contre la scène de la mort est un prodige si on est capable de ne pas
se laisser prendre par la lascivité des images de défilés qui défilent dans la
mémoire de l’homme mourant à qui il suffira d’enlever ses lunettes pour le
rendre funérairement vraiment mort.
Un film qui a tellement de nominations pour les Césars que les Jules du
monde entier s’en réjouiront pendant quelque temps : leur business en sera
réconforté. La mode est vraiment l’opium de tous les sexes et n’a fait que
remplacer la religion qui n’était l’opium que du peuple, et Marx entendait du
petit peuple puisqu’il a toujours rejeté tout ce qui n’était pas le prolétariat
en dehors du peuple exploité et asservi, seul digne d’être cité par lui.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:48 PM