JEAN COCTEAU – JEAN MARAIS – ORPHÉE
– 1950
Voilà un petit film intrigant plus qu’autre chose.
Avec les vieux mythes grecs ou autres il semble qu’il suffise de les
reprendre et de leur donner de nouvelles couleurs, même en noir et blanc, pour
que ce soit une nouvelle sauce, une nouvelle soupe, une nouvelle potée,
auvergnate bien sûr. Comme le dira si bien Jean Cocteau lui-même et en personne
dans le Testament d’Orphée neuf ans plus tard :
« C’est Iseult. Elle est sur tous les bateaux
du monde. Elle cherche à rejoindre Tristan. »
Il a tout compris, ce Jean Cocteau. Notre amour pour la mort est l’amour de
Tristan pour Iseult. Et il ne se demande même pas « jusqu’où on peut aller
trop loin ». Cela me rappelle un certain Daniel Mesguich qui racontait qu’un
jour une étudiante du conservatoire lui posa justement cette question, et il
lui aurait répondu : « Ne t’en inquiète pas. Je te dirai quand ce
sera le cas. »
Et donc la mort apparaît tout de noir vêtue, dans une Rolls Royce noire,
mais j’ai bien peur qu’il n’y ait pas d’autre
couleur, même pas du gris anthracite. Elle récupère qui elle veut, comme ça,
par caprice et sans ordres. Cela lui coûtera cher ? Bien fait la mort.
Elle communique avec l’au-delà par des messages des morts aux morts ou des
morts aux mourants, comme si c’était la BBC et « Les Français parlent aux
Français. » Et le dialogue est fait de bouts de rien et de tête-à-queue
multiples qui tiennent du petit chien de Chopin. Il finira bien par se la
mordre la queue en un onanisme canin bien juteux.
C’est un peu dommage car les insanités que l’on peut entendre dans la rue
tous les jours comme : « Les hommes reviennent toujours, ils sont tellement
absurdes. » vous débarquent dans les oreilles à chaque réplique. On en
mourrait de sourire jaune et de rire violet.
Alors Eurydice mourra. Alors Orphée la suivra. Alors Orphée obtiendra leur
liberté à condition qu’Orphée ne regarde jamais Eurydice. Autant demander à la
pluie d’être sèche ou à un lapin de pousser des ailes.
Bien sûr qu’il suffira alors d’un regard dans un rétroviseur pour qu’Eurydice
reparte et il suffira encore d’une émeute de gamins qui cherchent un autre
gamin pour qu’un gitan à la tête de la foule tue d’un coup de feu mal placé le
pauvre Orphée qui est aussitôt récupéré par la mort et ses larbins dans la
Rolls Royce de madame.
Celle-ci, bonne enfant, fera en sorte qu’Orphée remonte le temps jusqu’à
avant sa mort et avant celle d’Eurydice et les voilà à nouveau réunis. C’est
charmant. C’est surréaliste à point, comme le bifteck que l’on mange avec des
frites et de la mayonnaise. Ou peut-être est-ce à en serrer les poings de désolation
devant une telle naïveté.
Tout cela en 1950 était peut-être le bon vieux temps d’avant la guerre. Mais
aujourd’hui c’est une époque historique révolue et que nous ne voudrions pas
revoir. Aujourd’hui on sait que tous ces délires ne sont que les conséquences
néfastes, les symptômes cruels du stress post traumatique (PTSS comme ils
disent dans les séries américaines) de la vie car la vie est un traumatisme permanent
que seule la mort peut guérir.
Il faut voir ces bouts de poésie surannée au moins une fois dans sa vie et
puis les oublier. Ma promotion d’Ecole Normale avait en 1960 Jean Cocteau comme
parrain et nous vivions sous un de ses profils grecs et une citation de Jean
Rostand.
« La science a fait de nous des dieux avant que
nous méritions d’être des hommes. »
C’était un monde aujourd’hui disparu et que je ne regrette pas. Il
était beau mais d’une beauté à la fois pauvre et traumatisante. J’en ai encore
quelques cauchemars, et ce ne sont pas des souvenirs, et il faut que je me dépêche
de les écrire pour qu’ils ne soient pas d’outre-tombe. Je les ai d’ailleurs
promis à mon assistant.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:47 PM