JEAN HAUTEPIERRE – TRISTAN ET YSEULT – PARDÈS, GREZ SUR LOING – 2013
AMAZON.FR 13 FÈVRIER 2014
Anglo-Saxon et Germanique en
terre Celte, 13 février 2014
Par
Ce commentaire fait référence à cette
édition : Tristan et Yseult (Broché)
Rien à dire sur le choix de Tristan et
Yseult et la décision d’en faire une tragédie. On remarquera cependant que la
réécriture donne une architecture très serrée.
D’abord détruire le Morholt, ce
monstre à qui il faut donner trois cents jeunes gens et trois cents jeunes
filles tous les ans pour ses besoins de bouche, à la fois cannibales et
sanguinaires. Mais ce triste monstre est l’oncle de Yseult la Blonde, princesse
irlandaise.
Puis il faudra détruire le dragon qui
décime le pays d’Irlande, lui couper la langue et ainsi gagner la fille du roi,
Yseult la Blonde, en mariage.
Enfin avec Kaherdin à la demande de
Tristan le Nain il ira tuer Estult et ses six acolytes qui détiennent
prisonnière celle que Tristan le Nain aime.
Trois missions. Trois victoires contre
trois monstres ou bandes de barbares. Remarquons que les deux premiers épisodes
sont similaires à Beowulf, saga anglo-saxonne ancienne, qui lui aussi tue un
monstre – et sa mère pour détruire le moule d’où le monstre vient – et un
dragon. C’est un thème que l’on trouve très fréquemment dans les mythologies et
les légendes médiévales ou antérieures, avec des racines profondes dans des
cultures plus anciennes comme la culture grecque et son Minotaure qui lui aussi
exige des livraisons de jeunes gens et jeunes filles – ou est-ce seulement de
jeunes filles ? Le dragon remonte très loin, à la culture sumérienne et la
culture zoroastrienne qui ont évolué vers la culture mésopotamienne et la
culture védique dans le domaine indo-européen, ainsi qu’à la culture
colchidienne dans le domaine turkique intégrée à la mythologie grecque avec
Médée.
L’originalité de cette tragédie est
que chacun de ces exploits laisse Tristan empoisonné et mourant. Il sera soigné
par Yseult la Blonde la première fois à qui il fera croire qu’il est trouvère
ou troubadour et s’appelle Tantris. Il tombe follement amoureux.
Il sera à nouveau soigné par Yseult la
Blonde la deuxième fois bien qu’elle réalise alors qu’il est Tristan, celui qui
a tué son oncle le Morholt. Notons en passant que la haine contre les Irlandais
dans les îles britanniques ne date pas d’aujourd’hui même si on peut penser que
le présent et passé relativement récent ont entrainé la réécriture de certains
mythes dans le « bon » sens de la haine « justifiée ». Mais Tristan était venu
chercher Yseult la Blonde pour son oncle Marc, Roi de Cornouailles. D’où un
conflit d’intérêts. Pour passer outre ce conflit un filtre d’amour éternel est
fourni pour Marc et Yseult la Blonde quand ils se rencontreront. Hélas la
servante d’Yseult la Blonde sert le filtre à Tristan et Yseult justement.
Toute une cabale mène Tristan et Yseult en cavale dans la forêt pendant trois
ans où ils arrivent à vivre leur amour dans la pureté physique grâce à l’épée
de Tristan qu’ils posent entre eux deux la nuit pendant qu’ils dorment.
Marc découvre le stratagème et donc
vire sa cuti de la haine à l’amour retrouvé et reprend Yseult la Blonde.
Tristan part en Bretagne et épouse la sœur de Kaherdin, Yseult la Brune qui ne
dit rien mais consent et ne fait rien jusqu’à la dernière scène. Remarquons les
doublons que sont Tristan et Tristan le Nain, Yseult le Blonde et Yseult la
Brune.
Tristan est finalement la victime d’un
empoisonnement après le dernier exploit et se meurt lentement. Il demande à
Kaherdin d’aller chercher Yseult la Blonde pour qu’elle le guérisse.
Cette répétitivité de structure est très courante dans les mythes anciens, bien
que plus le mythe est ancien, plus il est répétitif en structure. Elle est ici
cependant mise en exergue fortement par la dernière scène.
Kaherdin qui ramène Yseult la Blonde dans son bateau, malgré la tempête, hisse
comme convenu une voile blanche pour annoncer l’heureuse nouvelle. Mais Yseult
la brune informe Tristan qui n’a pas vue sur l’océan que la voile est noire,
impliquant qu’Yseult n’est pas sur le bateau. Tristan meurt instantanément et
Yseult la Blonde mourra dès son arrivée à terre.
C’est là que le sens devient
mystérieux.
L’auteur a ajouté un contre-filtre qui
aurait pu annuler le premier si Tristan et Yseult n’avait pas été amoureux
avant l’absorption du premier. Ce n’est pas le cas donc cela n’apporte rien.
C’est une espèce de truc à la Roméo et Juliette totalement superflu. Par contre
la trahison de Yseult la Brune n’est pas explicitée et ne peut s’expliquer que
par sa jalousie. Je ne suis pas sûr que cela soit suffisant. Yseult la Brune
n’est pas suffisamment développée. Elle n’est qu’un doppelgänger. Mais elle est
la gâchette de la mort finale et son mensonge en est la balle, comme à nouveau
dans Roméo et Juliette. Une fausse interprétation tue Tristan et Yseult meurt
sur son corps. On peut remarquer qu’il n’y a pas de dimension amoureuse dans
Beowulf, mais il y en a une dans Siegfried, mythe germanique d’un grand
pourfendeur de dragons.
Mais cela mène à une autre
interprétation. L’amour, cette passion de l’âme et non du corps, bien qu’il
faille garder le corps sous contrôle, émerge dans le Moyen Âge comme une
conquête de l’homme sur la bête qu’il était avant et qu’il reste en profondeur.
On pense à l’amour courtois bien sûr. Mais il s’agit d’une évolution de la
culture humaine dans la tradition européenne située au Moyen Âge.
On voit émerger ce que l’on pourrait
appeler une empathie fusionnelle mentale et donc non pulsionnelle ou endocrine.
On remarquera que cela est très près des concepts bouddhistes et orientaux.
C’est dans ce creuset que l’amour est libéré de la sexualité et que
progressivement se développe une littérature amoureuse non érotique. C’est de
ce creuset que nait aujourd’hui, six siècles plus tard, une nouvelle conception
de l’amour qui est simplement ce que je viens de l’appeler, une empathie
fusionnelle mentale qui peut donc se développer entre deux personnes quelles
qu’elles soient.
L’hyper-dramatisation de la dimension
sexuelle de l’amour aujourd’hui avec les débats sur le mariage pour tous, la
théorie du genre et tous à poils empêche totalement l’émergence de la dimension
émotionnelle, de l’amour comme passion de l’âme, comme passion entre deux êtres
– ou plus – quels qu’ils soient et sans que la dimension sexuelle éventuelle –
et non obligatoire – obnubile les sentiments et les émotions.
Tristan et Yseult meurent d’amour
alors qu’ils n’ont pas consommé cet amour charnellement. Roméo et Juliette sont
un peu courts car ils ont consommé le fruit défendu, même si après un mariage,
cependant clandestin et tenu secret.
Il reste à parler du style. Nous avons
là une tragédie en vers. Ces vers sont réguliers mais des longueurs variables
peuvent se mêler. Je ne suis pas sûr cependant que cela soit pertinent pour la
scène car la diction prend des unités de souffle, trois, quatre, cinq ou six
pieds, voire, pourquoi pas sept, mais au-delà on passe à une autre unité de
souffle. Que les vers aient douze ou seize pieds importe peu. Ce qui est
important c’est qu’ils se décomposent en groupes réguliers ou contrastants de
trois, quatre, cinq, six, voire sept pieds. Et là je n’ai pas remarqué que cela
soit frappant. La rythmique interne des vers me semble plus proche du vers
libre car la diction est davantage une diction non emphatique, du moins dans la
lecture publique du mardi 4 février à l’Auguste Théâtre, Paris. Je dois dire
que les groupes de souffle n’étant pas des plus réguliers il est difficile de
donner de l’emphase à la diction. Cela d’ailleurs fait que les deux diérèses
inattendues mais soudainement nécessaires pour équilibre d’un vers nous font plus
sursauter que trouver un plaisir tout à coup renouvelé : « ci-erges » et «
aéri-enne ».
Je ne suis pas un spécialiste de
versification médiévale française, mais dans le domaine anglo-saxon et moyen
anglais d’où cette légende vient, et que je connais fort bien, la versification
était très formelle et régulière car elle était nécessairement chantée avec un
accompagnement musical joué par le trouvère ou le troubadour lui-même. Je ne
choisis pas entre les deux noms de ce poète car dans le domaine celtique ou
anglo-saxon on n’avait ni des trouvères (tradition de langue d’oïl ou picarde)
ni des troubadours (tradition de langue d’oc). Je verrai plutôt la tradition
Minnesang. Mais pour les Celtes, voyez Astérix. Cependant une chose est commune
à tous : ils s’accompagnaient musicalement et chantaient sur leur musique ; la
poésie était alors nécessairement être régulière. Voir en cela par exemple le
trouvère Conon de Béthune.
Le choix de l’écriture est alors à
mi-chemin entre une versification stricte et une versification libre. C’est un
choix mais cela ajoute-t-il quelque chose sur la scène ? Je pose la question et
n’ait pas de réponse. Encore faudrait-il voir ce qu’un génie de la
versification sur scène comme Daniel Mesguich en ferait.
Dr Jacques COULARDEAU
JEAN HAUTEPIERRE
17 février 2014
Dans le mythe, et comme font plus que le suggérer certains passages de ma
pièce, dont la fin du sixième tableau de l’acte II, Tristan et Yseult ont
bel et bien des relations charnelles (d’où l’épisode de la substitution, lors de
la nuit de noces, de la vierge Brangien à Yseult qui ne l’est plus). Mais
ici – et on retrouve toute la thématique de la magie sexuelle, et d’ailleurs
aussi de l’amour profane lorsqu’il est vécu avec authenticité –, l’union
charnelle représente un moyen indispensable suivant une telle voie initiatique
ou simplement humaine, mais uniquement un moyen permettant d’accéder à une
union d’ordre incommensurablement plus élevé. Ce n’est pas par hasard que l’existence terrestre d’Yseult s’achève
alchimiquement (dans ma pièce, sinon dans le mythe) par L’Or de la lumière
infinie.
L’emploi des hendécasyllabes suivi d’un décasyllabe 5/5 (au début de l’acte
II, par exemple) est censé exprimer (on peut bien sûr chercher d’autres
interprétations allant au-delà des intentions de l’auteur, qu’il ne se formule
d’ailleurs pas à lui-même aussi explicitement que dans les présentes lignes),
après une suite d’interrogations exprimées au moyen de ce vers imparfait par
excellence (11, chiffre de l’initiation imparfaite : Tu ne seras pas un
véritable Djeddaï tant que tu n’auras pas terminé ta formation, disait avec
justesse Anakin Skywalker à son fils Luke dans le dernier épisode de La Guerre
des étoiles ; eût-il parlé en vers – ! –, j’ose espérer qu’il
l’eût fait en hendécasyllabes), une certitude au moyen du décasyllabe 5/5, vers
solennel et même quelque peu funèbre (cf. parmi tant d’exemples le baudelairien
Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,/Des divans profonds comme des
tombeaux), comme si Marc pressentait le Destin.
En ce qui concerne la diérèse, je me conforme le plus souvent à l’usage
courant, contrairement aux règles classiques et comme le préconisait Maurice
Grammont, l’existence d’une diérèse correspondant au contraire à un effet
sonore censé être évocateur. Pour les ci-erges, j’ai prévenu le lecteur dans
l’avant-propos et j’attire son attention par un trait d’union. Cette
diérèse me semble bien marquer la solennité du mariage royal, ou encore la
rêverie de Marc qui lui apaise l’âme entre deux accès de tristesse. Cet effet sonore disparaîtrait si l’on
intercalait un mot pour éviter cette diérèse, effectivement fautive au sens de
la diction classique.
Séparée qu'elle est de moi par les flots sombres,
Le contraste formé par ce mètre donne une image sonore de l’incohérence des
pensées successives qui investissent Marc. C’est également la raison
pour laquelle Si loin, que même en contemplant les cieux sans fond n’a pas été
conçu pour résonner comme un alexandrin, même s’il en est un. Par ailleurs (en s’éloignant un peu de la question
que vous soulevez), la coupe 7/4 est destinée à montrer la rupture de l’élan
énergique que faisait pressentir une unité rythmique de sept syllabes, prélude
éventuel à un vers de quatorze syllabes.
Et le ciel et le vent (…)
Le choix d’un vers très long, et même d’une longueur semble-t-il inédite
(le fameux dictionnaire de Charpentreau ne mentionne aucun mètre supérieur à
vingt syllabes, ai-je appris après avoir choisi un mètre de vingt-deux pour cet
unique vers), constitue essentiellement un effet visuel destiné au seul
lecteur, effet qui tente d’exprimer l’accumulation des obstacles dressés entre
Yseult et Marc (et ce dernier ne sait pas qu’il en est un plus considérable
encore que tous les gouffres du monde !). La grande unité rythmique centrale,
dont les abîmes gris et bleus ou noirs, donne cependant elle aussi une idée de
cette accumulation, indépendamment du choix métrique quelque peu étrange, j’en
conviens, d’un vers de vingt-deux syllabes.
Une parenthèse au sujet de décombre. Je ne me refuse pas la joie de
créer des mots lorsque j’en aime la sonorité (endormement, encaparaçonné, se
décombrer, que j’ai créé dans mon épopée Le Siège et qui signifie pour moi se
transformer lentement en décombres), mais en modifier le genre est plus difficile
à justifier, sinon par le fait que le féminin est plus poétique que le masculin
pour décombres. Je suis heureusement
sauvé par Martin du Gard (cela, je ne l’aurais jamais cru !) et par
Malègue (?), cités par le TLF :
Rem. Se rencontre parfois au fém. Il faut (...) qu'un cyclone, (...)
ait tout détruit, jusqu'aux dernières décombres! (MARTIN DU G., Thib., Été 14,
1936, p. 72). Poussiéreuses décombres (MALÈGUE, Augustin, t. 1, 1933, p. 156).
p. 44 : imprécation et
malédiction. La diérèse me semble bien évoquer l’imprécation d’un spectre qui
se prolonge dans la nuit, la synérèse la malédiction jetée tel un éclair. Bien sûr, rien de strictement classique
dans ces considérations, mais (je me répète) la volonté d’utiliser comme des
effets sonores la synérèse, prononciation naturelle à notre époque (et point
inélégante, ce qui permet, me semble-t-il, de l’introduire dans des œuvres
poétiques contemporaines) et surtout la diérèse (surtout, puisqu’elle n’est
plus la formule sonore considérée comme allant de soi, et vise donc à susciter
une impression particulière chez l’auditeur).
Au début de l’acte V, Nous avons peut être considéré comme une incidente, à
laquelle je n’ai pas voulu donner la forme d’un vers de trois syllabes (qui eût
nécessité une rime, l’effet spécifique lié à une rime orpheline ne me
paraissant opportun, en général, que s’il est rare et se situe en fin de vers),
qui annonce les différentes séquences de six syllabes – l’existence de deux
vers de 18 syllabes renforçant, par l’éloignement de la rime qu’elle impose de
façon mécanique, l’impression d’éloignement dans les espaces où les deux
compagnons ont longtemps poursuivi leur errance. Voilà peut-être la raison
majeure pour laquelle j’ai souvent utilisé des mètres longs dans Tristan et
Yseult.
p. 88 : aéri-enne permet de découper le second hémistiche selon un
schéma 2/4 au lieu de 3/3, ce qui suggère un mouvement d’envol, de fusion avec
l’infini : l’anapeste plutôt que le spondée. En outre, la diérèse
placée sur aéri-enne répond en écho à la diérèse d’apparition (que je n’ai pas
signalée par un trait d’union, puisqu’elle se déduit de l’emplacement de la
césure de cet alexandrin).
JACQUES COULARDEAU 17 FÈVRIER 2014
Cher Jean
Hautepierre,
Je vous remercie
de vos réactions. Je dois écrire pour Théâtres du Monde d'Avignon un article
sur le thème de l'amour. je n'ai pas encore choisi de sujet précis. Mais
Tristan et Yseult commence à m'intéresser.
Seulement je suis
boulimique et la revue n'est pas obése, ou du moins évite de l'être. Mais il
est vrai que l'intérêt de travailler sur un thème de ce genre est de remonter
bien au delà d'une seule oeuvre.
Je vous
informerai j'imagine de comment les choses bougent. Cet article ne sera écrit
qu'en été car il est du en décembre.
Bien à vous et
avec le plaisir d'une soirée dans un petit théâtre de poche qui était ma foi
passablement bien rempli. J'ai fui juste après la lecture car j'embauchais très
tôt le lendemain matin et j'étais épuisé.
Jacques
POST SCRIPT 31 DÉCEMBRE 2014
Après quelques milliers de pages lues, presque toutes les versions
anciennes et modernes déchiffrées et défrichées, reprendre cette réécriture qui
me fut un point de départ m’amène à faire quelques remarques supplémentaires.
Il y a d’abord l’effacement complet de la christianisation d’un fond
culturel celtique au point que le moine Ogrin, loin de tenir le discours
responsable qui condamne l’adultère et l’inceste (car cet adultère est
quasiment un inceste puisque Tristan est le « fils » au moins
adoptif de son oncle), appelle au repentir, à la confession, propose l’absolution
moyennant une pénitence, apporte un anti-philtre sur la table comme pour
combattre magiquement et non chrétiennement le philtre au moins magique sinon
ensorcelé et donc diabolique qui est à la source de tous les maux.
Ce philtre bien sûr ne fonctionne pas, pas plus d’ailleurs que tous les philtres
du monde (même Viagra n’a qu’un effet très limité dans le temps), mais révèle
que l’amour est antérieur à l’absorption initiale, et Ogrin d’ailleurs le dit
clairement page 73. Mais cette déchristianisation de la légende a pour
conséquence d’effacer toutes les racines celtiques que l’on aurait pu attendre,
d’autant plus que des monstres abattus, des monstres dignes de légendes
anciennes et superstitieuses, ne sont pas en bon nombre.
Le Morholt est bien là et son tribut de chair humaine vivante, le dragon
est bien là et sa ponction de chair humaine dûment tuée, l’orgueilleux est
aussi là avec ses six frères et leur captive, chair humaine vivante, mais il
manque le géant Urgan li Vilus et son tribut de chair animal vivante en vue d’une
consommation alimentaire dûment abattue. Dans ce creuset de trois qui en font quatre, trois
qui prennent un tribut et un quatrième qui prend une prisonnière, trois qui
empoisonnent Tristan et un quatrième qui meurt éborgné, amputé et fracassé,
trois monstres dont le premier est plutôt humain, et un quatrième qui est
franchement humain et démultiplié par six frères qui en font donc sept, la
christianisation tient dans ce quatre qui dépasse la trinité laquelle peut
sembler issue cependant des triades celtiques galloises par exemple : ce
quatre est celui de la crucifixion, du sacrifice chrétien par lequel Tristan se
doit de passer ainsi qu’Yseult pour être peut-être régénérés sans confession et
sans absolution, sans extrême onction et sans prêtre au moment de la mort venue
sans plus attendre. Et les six frères si proches de l’étoile de David et de la
sagesse salomonique, donc de l’ennemi juif posé par principe antisémite et par
passion anti-juive par les chrétiens du Moyen Âge sont dépassés en sept, la
semaine sainte, la crucifixion pour sûr le quatrième ou le cinquième jour, mais
aussi la résurrection le septième.
Toute cette dimension romane
de l’histoire disparaît au profit d’une simple dimension romanesque, j’entends romantique.
Mais justement à ce niveau là on ne peut guère faire mieux que Richard Wagner
et Frank Martin et leurs épures romantiques en trois actes et trois tableaux. Wagner
choisit le flagrant délit entre la potion magique sur le bateau et la mort
finale des deux amants, alors que Frank Martin choisit entre les deux mêmes
scènes initiale et finale la découverte des amants dormant dans leur caverne
par le Roi Marc, scène donc d’un pardon au moins temporaire opposée à la scène
de la condamnation sans retour possible. Wagner fait dans le drame romantique
alors que Frank Martin fait dans une possible rédemption par le pardon.
La forme classique de la tragédie à la française en cinq actes, certains
actes étant très encombrés de péripéties, empêche une telle épure et le drame
romantique se perd un peu dans les aléas et rebondissements guerriers, y
compris la réintroduction des trois félons, devenus quatre. Ce fait là n’est
pas la première fois, au point même que Philippe Walter fait mourir Audret
alors que les originaux (je ne l’ai encore trouvé qu’une seule fois) font que Tristan
simplement lui casse le bras dans le tournoi précédant l’ordalie avec le Roi
Arthur. Etrangement d’ailleurs dans cet élément médiéval et féodal des barons
qui complotent (illégalement car ils sont des vassaux du Roi nécessairement de
droit divin) et du nain sorcier et alchimiste, toute la dimension du passage d’un
monde de simple violence, rapport de force, caprice du roi, condamnation sans droit
de réponse, droit de défense et procédure régulière de mise en accusation et de
contre-interrogatoire, à un monde de justice régulée et christianisée au point
de faire appel à des jugements de Dieu que sont les ordalies, disparaît et est
effacée. On perd terriblement le drame du flagrant délit wagnérien ou de la
générosité du pardon martinien.
Si bien que la fin en est presque affaiblie comme n’étant plus qu’une
péripétie alors qu’elle est la preuve au Moyen Âge que l’on ne peut pas pêcher
sans avoir un prix à payer dans ce
monde comme dans l’autre et ce prix est la sépulture séparée, certes en terre
sacralisée par une chapelle mais sans garantie précédant la mort, donc au seul
bon vouloir de Dieu lui-même. La ronce mythique n’est que la marque d’un désir
anciennement charnel et maintenant devenu végétal ou végétatif et son miracle
est la preuve que Dieu approuve l’amour mais à condition que celui-ci reste
dans les clous des commandements et de la loi mosaïque, et donc qu’il reste
courtois, sans rapport charnel et exprimé avec des roses.
Cela aurait du mener aujourd’hui à la saisie de la dimension profondément psycho-sexuelle
du drame. Pour Tristan, orphelin de naissance, castration œdipienne s’il en
est, l’amour ne peut être que charnel mais comme compensation hétérosexuelle d’une
mise en danger homosexuelle de chaque combat singulier ou non : l’arme
phallique empoisonnée de Morholt, la langue fellatrice empoisonnée du dragon, l’arme
tout aussi phallique d’Urgan li Vilus et la castration par éborgnement et amputation
de la part de Tristan, et enfin la pieu phallique empoisonné de l’Orgueilleux. Les
trois cités dans cette version sont on ne peut plus des actes homosexuels qui
ne peuvent être soignés que par une femme, Yseut la Blonde. Notons que l’épisode
de la farine et du sang est allégé dans cette version justement de cette
dimension homosexuelle puisque dans l’original c’est une blessure de chasse
causée par un sanglier mâle phallique et ses défenses tout aussi phalliques.
On perd donc un peu de modernité en évidant ce drame de l’orientation
sexuelle d’un orphelin de naissance ayant perdu dans cette naissance ses
repères de genre. Et il en mourra. La recherche de la femme dans l’adultère
incestueux est une façon de prendre la place sexuelle de celui qui est à la
fois un concurrent avec Yseult et un père pour lui : plus encore que
désirer sa mère, il prend cette épouse de son père et par là même développe un
rapport sexuel symbolique avec ce père. On pourrait parler d’une compensation œdipienne
inversée (homosexuelle) du traumatisme de sa naissance.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 3:46 AM