MICHEL
MARC BOUCHARD – TOM À LA FERME - 2011
Autant le film est plaisamment dérangeant mais absolument peu crédible dans
l’absence (ou devrions-nous dire la modération) de cruauté qu’il révèle en
dernière analyse et la possibilité pour Tom de fuir, autant la pièce est
géniale car elle parle un français compréhensible, ce qui fait douter du bon
goût de Xavier Dolan de mettre son film en un dialecte québécois pour le moins
profond, mal sous-titré et donc sibyllin.
La pièce est géniale d’abord et avant tout parce que Tom est un être double
qui sans cesse parle un peu à son environnement mais beaucoup à son amant mort,
à lui-même et quelque part, malgré ce que dit l’auteur dans ses didascalies, à
nous-mêmes. Il est profondément schizophrénique avec une personnalité divisée
en beaucoup plus qu’en deux portions contradictoires, mais totalement non intégrables
dans le milieu rural profond où il se retrouve. Et pourtant la pièce l’intègre
de bout en bout. C’est justement là le miracle, enfin un miracle absolument
diabolique.
Mais avant de discuter cela, il faut donner quelques indications.
D’abord c’est le frère aîné lui-même qui raconte – confesse – à Tom ce
qu’il a fait à Paul, l’amant adolescent de son frère cadet. Il l’a déchiré,
entendons il lui a déchiré le visage ou la bouche d’une oreille à l’autre et
lui aurait arraché le nez. C’est donc une confession qui prend la forme d’une
menace contre Tom s’il révèle l’homosexualité du frère cadet défunt. Cet
évènement est confirmé ensuite par la lecture des cahiers intimes du frère
cadet par la mère qui en donne à entendre les trois sommaires et donc la
relation amoureuse du frère cadet pour Paul, avec la lâcheté finale de ce frère
cadet qui laissera son frère aîné, Francis, lui déchirer le visage sans rien
dire, sans protester, et puis qui partira pour Montréal pour ne jamais revenir,
le père réglant à coup d’argent la situation qui produit le total rejet de Francis
par tout le monde dans le voisinage et particulièrement les filles malgré la
ferme de très bonne qualité.

L’auteur pousse son bouchon très loin car le cercueil a un accident à la
sortie de l’église et il est révélé qu’il est vide. Même le corps mort de ce
frère cadet qui n’a apparemment pas de nom, ne reviendra pas à la ferme, au
village. Le texte révèle que Francis était tout aussi cruel avec son frère
cadet qu’il l’est avec Tom. Francis révèle, après avoir fait subir à Tom un
long supplice de la descente progressive dans la fosse aux vaches mortes que
son frère cadet n’avait pas tenu plus d’une minute. Mais cet évènement renverse
la situation entre Tom et Francis. Cela avait commencé un peu avant avec la
« leçon de rumba » où Francis s’était révélé faible face à Tom et
l’avait qualifié de « T’es fort, mon homme ! » alors même qu’il
tentait de l’étrangler pour tester sa force. Tom à ce moment-là commence à
prendre le dessus, mais par une absolue intégration à la soumission à Francis
qui va en dernière analyse lui laisser prendre la domination qu’il construit
peu à peu dans sa tête.
L’épisode d’Ellen ou Sara est plutôt rapide et insipide, sauf qu’elle
révèle à Tom que le frère cadet était un pur et simple gigolo gratuit avec tout
ce qui pouvait passer : une promenade en moto ou en voiture était le signal
de l’invitation à l’amour, ou plutôt au rapport physique sans plus de lendemain
que cet instant évanescent qui le contenait. Apparemment il n’était amoureux
que de Tom mais était un être de promiscuité absolue multi-sexuelle dont il
protégeait Tom.

L’épisode où Francis impose à Tom de dormir avec lui dans son propre lit
révèle discrètement que le rapport entre Francis et son frère cadet outre la violence
qui le caractérisait était aussi sexuel et que la violence cruelle qu’il impose
à Paul, l’amant adolescent de son frère cadet n’est en fait pas seulement pour
cacher le secret que tout le monde savait, mais par jalousie pour son
frère qui aurait du rester sa propriété exclusive. La scène du lit partagé est
bien sûr une scène qui mène directement à cette sexualité. Francis n’est pas un
pur hétérosexuel mais si pour lui l’homosexualité est incestueuse
Sara est ramenée à la gare pour prendre le bus par Francis qui frappe et
enferme Tom dans le coffre pendant qu’il profite de Sara dans la voiture. C’est
Tom qui décrit par mots isolés la dite rencontre physique entre Francis et
Sara, des mots isolés mais extrêmement descriptifs, rudes, grossiers. Enfermé
dans le coffre et oublié dans ce coffre, par quelque stratagème non révélé Tom
se libère et alors devient le maître de la situation : il tue Francis, le
jettera plus tard dans la fosse aux vaches mortes et il reprend sous son autorité
la ferme, il devient le fils et ainsi venge le fils cadet défunt du martyre que
son frère aîné lui a fait subir.
Il faut dire alors que la conclusion est d’une schizophrénie
délirante :
« Faut jamais dire la vérité. Jamais ! Jamais ! Je dirai que
Francis est parti en ville rejoindre Sara. »
On ne saura jamais si cette schizophrénie est le fait de l’homosexualité de
Tom confronté à la réalité de la ferme où om ne doit surtout pas être ce qu’il
est, et donc où il doit absolument paraître ce qu’il n’est pas, d’où son
discours en a parte qui est le discours profond caché dissimulé clandestin,
l’autre face invisible de Tom, qui selon les dires de la mère Agathe se regarde
le derrière dans le miroir. Et il pleure quand il coupe le cordon ombilical du
veau qui vient de naître et à qui la maladresse de Francis a fait subir une
chute qui lui a fracturé une patte. Des pleurs qui révèle son émotion devant ce
qu’il ne fera jamais dans le réel humain car, comme Francis le lui dit, il
gaspille stérilement son sperme.

On ne saura pas plus si cette schizophrénie est le résultat du choc entre le
dandy gay de la ville et la rugueuse réception de la ferme qui littéralement
l’avale, le déglutit et le défèque en un tour de boyau prêt à servir les vaches
qui deviennent sa vraie famille. On notera que la pièce ne fait pas dans le
facile de la voiture, pardon du char, sur calles sans roues, ni du veau mort et
transporté à bras d’homme, ou plutôt bras de Tom, jusqu’à la fosse aux vaches
mortes. Mais le film lui passe sous silence la scène essentielle de la descente
progressive dans la fosse aux vaches mortes de Tom attaché par les pieds à une
corde sur un palan, corde que Francis lentement déroule amenant Tom sans cesse
plus près de la charogne et des coyotes.
La pièce est géniale. Le film est médiocre.
Dr Jacques COULARDEAU
XAVIER DOLAN –
TOM À LA FERME – 2013
Un petit film en définitive.
D’abord par la langue si grassement québécoise qui rend le film très peu
compréhensible en dehors de cette zone linguistique que l’on appelle le Québec.
On a certes inventé les sous-titres, mais ils sont fortement loin d’être
suffisants. Le film nous laisse trop souvent les prisonniers du dépit de nos
oreilles qui n’entendent pas ce qui est dit et les sous-titres mêmes parfois
donnent une « traduction » en français standard et non un sous-titre
réel de ce qui a réellement été dit et qui est du français même si québécois.
Nous savons lire, vous savez. Mais peut-être que MK2 ne le sait pas.
Le film ne traite pas vraiment d’homosexualité qui n’est que le prétexte de
tout autre chose. Certes il y a de l’homosexualité derrière, certes il y a un
frère aînéqui était particulièrement hostile à son propre frère cadet parce que
celui-ci était gay et il pouvait être violent avec les « amants » ou
« amis » de celui-ci, et même si j’ai bien compris les allusions en
dialecte local avec celui-ci lui-même. Il semble que le brave petit frère ait
été plus que largement utilisé à des fins purement orgasmiques par son grand frère, jusqu’à en partir de la ferme
familiale pour vivre à Montréal.
Le héros principal est l’ami-amant de ce petit frère qui vient de mourir
dans un accident de voiture. Il vient pour les funérailles et il doit assumer
une fable hirsute sur une prétendue amie-amante que ce jeune frère aurait eu à
Montréal, grande fumeuse et mangeuse de pâtes. Et ce n’est toujours pas le cœur
du film.
Le cœur du film est le frère aîné resté à la ferme et qui n’arrive pas à
faire face seul, le père étant mort depuis un temps non précisé, qui ne
souhaite qu’une chose, que la mère crève pour qu’il puisse vendre la ferme et
partir. Il se saisit de ce pauvre ami-amant égaré dans le paysage pour des
funérailles qu’il eût mieux fait d’ignorer et il en fait une sorte d’esclave
pour l’aider à faire le travail de la ferme, avec de nombreuses activités où il
est mieux d’être deux, comme s’occuper des vaches et les faire vêler.

La procédure est simple : un peu de violence pour dresse rl’inconnu,
la voiture sans roue pour l’enchaîner à l’ici, et le voilà enfermé, asservi.
Mais ce frère aîné ajoute à cela une sorte de dépendance mentale : le
pauvre jeune homme gay, que le frère aîné ne semble cependant pas utiliser à
des fins orgasmiques, du moins plus fréquentes que très occasionnelles, sauf si
la pudeur de Xavier Dolan l’a empêché de dire la vérité, est peu à peu rendu dépendant
par la mère à qui il a été obligé par le frère aîné de raconter des craques
désopilantes et sinistres sur la prétendue amie, jusqu’à la faire venir à la
ferme. C’est alors qu’il découvrira que feu le frère cadet n’était en rien ni
fidèle, ni clairement gay. C’était un opportuniste sexuel qui pratiquait plus
une sorte de promiscuité péripatéticienne pluri-sexuelle : tout est bon
pourvu qu’il y ait du sexe.
L’ennui c’est que cette attitude de syndrome de stress post-traumatique
n’est en rien explorée dans le vrai détail : Que s’est-il vraiment passé
dans cette ferme ? Jusqu’à quel point le frère cadet était-il sexuellement
exploité par le frère aîné ? Quelle était l’attitude de cécité pratique de
la mère et du père ? Qui était le père ? Le père participait-il aussi
à l’exploitation du fils cadet ? Tout cela reste dans l’inconnu et donc le
drame que nous vivons à l’écran n’est en définitive qu’un mélodrame dramati-comique,
certainement pas tragi-comique.
C’est bien dommage que la pudeur de ce film ait empêché le vrai discours
sur l’asservissement sexuel des gays dans des situations de dépendance
familiale et sociale, asservissement bien plus gratifiant pour les
bénéficiaires que le rejet pur et simple, voire l’élimination.
Xavier Dolan aurait pu beaucoup mieux faire.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 4:54 AM