MARC-ANTOINE
CJHARPENTIER – UN AUTOMNE A VERSAILLES – 2004
Ce « documentaire » de ARTE et Mezzo pour le tricentenaire de la
mort de Charpentier est à la fois un bijou et avec cependant quelque peu moins
de carats que l’on aurait pu attendre. Heureusement que le commentaire fade et
pauvre en mots de Catherine Cessac est largement compensé par les commentaires
inspirés et très sensibles de Hervé Niquet, Jordi Savall et Christophe Rousset
qui ont trouvé souvent les mots justes pour évoquer une musique que nous
redécouvrons après trois siècles d’absence.
Les images de Versailles sont trop souvent fugaces et extrêmement
partielles. Elles ne donnent pas la magie du château et des jardins, ni même de
la cour d’entrée qui apparaît petite et maigrichonne. L’Opéra Royal n’était pas
encore en 2003 dans sa gloire restaurée mais la plupart des lieux sont donnés
par petits bouts et par miettes. Dommage.
L’évocation de la dictature musicale et artistique de Lully est juste même
si pas suffisamment appuyée. Ce fut un homme étroit de goût et borné de style,
un esprit chagrin à l’ouverture tellement étroite qu’il en était une impasse,
un cul de sac qui a laissé derrière lui beaucoup plus de créativité bloquée que
de réelle innovation durable. Il faudra le dépasser dès sa mort et la musique
française a pris plutôt du retard qu’une longueur d’avance avec lui.
Heureusement que Charpentier le banni a laissé derrière lui des milliers de
pages inoubliables et qui pourtant ont été oubliées car elles étaient une
avant-garde et la génération suivante sera toute à sa propre créativité plutôt
qu’à l’évocation et la célébration de l’avant-gardiste qui n’eut jamais le
soutien du roi ni la reconnaissance de Versailles.
Marc-Antoine Charpentier était un honnête homme au sens de son temps,
humble et droit comme une âme ne manquant jamais son devoir de faire le bien.
Il était un homme de compassion qui savait honorer et chanter la souffrance et
la douleur, et en premier lieu celles de l’homme de foi et de l’homme de principes.
Et en même temps il est capable d’évoquer la joie et l’intensité du feu moral
et vital de l’homme fidèle à son idéal de beauté et de bonté. C’est que sa foi
est sincère et profonde et que pour lui la mort qu’il célèbre sans cesse reste
la cible et la destination de toute vie bien remplie. Et son épitaphe résonne
dans nos oreilles comme une grande vérité : « Comme en naissant je
n’ai rien apporté, en mourant je n’ai rien emporté. »
S’il n’a rien apporté par sa naissance, par sa musique il nous a submergé
de monceaux de richesses.
Médée, qui s’ouvre avec un long prologue à la gloire du roi non mentionné
aucune part, est dans les mains d’Hervé Niquet un beau conte d’une magicienne
de la passion qui devient tragique et probablement surhumaine pour ne pas dire
divine quand elle est amenée à transformer son amour vital en un jugement
final, mortel, dernier et sans la moindre pitié pour ce Jason qui la trahit. Il
s’agit alors de châtier le parjure et surtout pas de venger l’injure. Châtier
l’homme sans parole par la souffrance du vivant qu’il est par la mort de ses
propres enfants et de l’objet de son désir abject et de son ambition
d’arriviste qui a oublié que seule l’honnêteté au sens de Racine est le garant
du succès.
Mais plus encore Jordi Savall fait de la Missa Assumpta est Maria une œuvre
majeure capable de se comparer sans pâlir aux plus grandes œuvres de Bach et de
Haendel. Je retiendrai surtout le Kyrie qui est poignant de foi et de
souffrance. Le corps torturé du Christ est ici évoqué et invoqué par la musique
et de plus enchanté et inspiré de la résurrection et du salut que seule la mort
dans la douleur peut ambitionner de conquérir.
Charpentier est dans l’avant-garde d’une synthèse entre le jansénisme plus
ou moins interdit et la religion de gloire et de lumière des Bossuet et autres
grands de l’église gallicane, tout en étant à l’avant-garde de la musique qui
va triompher en Europe et dans le monde. Il y a en lui les flammes et les
émotions qui surgissent dans la musique des Bach de son époque et de juste
après-lui, qui jaillissent avec Haendel et l’école de Mannheim, y compris bien
sûr Mozart, et qui mène tout droit à la puissance musicale d’un John Adams
trois siècles plus tard.
C’est alors que l’on peut entendre le Gloria de cette messe, un Gloria qui
s’élève si haut que le vent cosmique lui-même suspend son vol pour laisser
cette gloire établir son éternité en communion avec l’espoir d’arrêter le temps
par la mort des horloges de la vie, par l’embrassade de l’oméga de la fin qui
trouve sa force atemporelle justement dans la temporalité de l’alpha du commencement.
Et il prétend ne rien avoir apporté ? L’humilité là le trahit. Et je
ne serai pas comme Catherine Cessac « ébloui par ce génie
multiforme » parce que cette expression ne veut rien dire et pourrait
s’appliquer à des dizaines de grands créateurs et de scientifiques. Je suis
fasciné par tout ce que je viens justement d’expliquer et d’expliciter.
Heureusement que les musiciens sont capables de nous donner toutes ces
richesses en nous les faisant ressentir au plus profond sous la seule forme
digne de Charpentier, les émotions de l’âme et de l’esprit, du cœur et de la
vie.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 4:50 AM