Monday, August 18, 2014

 

Tendre comme le Départ pour Cythère, ludique comme un concert mondain

ORGUE CLICQIOT DE SOUVIGNY – JEAN-MUC PERROT – BEAUVARLET-CHARPENTIER PERE (1734-1794) ET FILS (1766-1834) – 2000

Il faudrait parle de l’église elle-même car les grandes orgues sont toujours enregistrées dans leur lieu de résidence. L’église de Souvigny est une église abbatiale clunisienne et à ce titre elle a été construite d’âge en âge et chaque âge a modifié sa structure et surtout a ajouté des tombeaux et autres mobiliers de circonstances qui font que l’église, malgré sa taille, qui n’est pas celle d’une cathédrale, a un volume restreint et encombré qui fait que sa sonorité est limitée. On n’entend pas la musique enfler dans un vaste espace, prendre de l’ampleur. Elle reste contenue et même un peu enfermée.

Le père Jacques-Marie est le morceau de choix de ce CD. La Première marche pour les processions de la Fête du Saint Sacrement est ainsi grandiloquente parce que sa puissance se perd un peu étouffée dans le volume restreint sous la voûte. Par contre les Flûtes qui suivent ont un air presque intimiste qui convient très bien à l’église. Le Cromorne qui suit, même si plus puissant, reste modérée et cela lui convient très bien. De la même façon les Hautbois en récit et les Flûtes qui suivent volettent gentiment sous la voûte, et se complaisent à ce badinage aérien. C’est le départ pour Cythère on ne peut plus mondain et gentillet dans son guindé aristocratique.


Le Carillon des morts pour le jour de la Toussaint est d’un autre genre puisqu’il est lugubre et sinistre comme il se doit puisqu’il met les morts en scène. L’impression d’enfermement qui résulte de l’espace de l’église fait qu’on se prend ‘un peu de claustrophobie et que l’on est fouetté dans le respect de la mort s’il vous plait au nom de la vie que l’on va vous retirer si vous ne faites pas votre devoir. Il y a dans ce morceau comme une impression de Danse Macabre avec un cadavre qui vous pousse et vous tire vers la porte étroite que vous arriverez bien à passer. Même quand l’orgue se fait minimaliste avec un ton un peu aigrelet et nasillard avant de retomber dans les percussions de la descente marche à marche. Les percussions sont une très bonne idée ici, et c’est le style plus populaire de ce 18ème siècle qui annonce la révolution qu’insouciant il ne voit pas venir.


Le premier des trois Noël a une sorte d’accompagnement de basse minimaliste en diable sur un flutiau qui ne peut que gazouiller gentiment sur cette rengaine sur deux notes, comme si la joie de Noël était à des lieues d’ici et les tambourins de la montée à la Messe de Minuit de l’autre côté de la vallée. Le deuxième Noël au hautbois sonne retenu et courtois, mais sans badinerie, nenni, il s’agit de la Vierge Marie, mais le ton se fait un peu plus entrainant et si on se laissait aller à une danse, un pas de deux par exemple, gai, léger et joyeux. Le troisième Noël ou Quatuor de Lucile a des moments grandiloquents et sonnant avec puissance ce qui donne à ce Noël sur fond de timbales une allure de défilé, de marche, est-ce vers le maître autel ou est-ce vers la crèche ou est-ce vers la table du réveillon ? Il semble que les trois messes basses d’un certain Alphonse Daudet ne soit pas si loin. On sent des fumets d’oie farcie entre les berges, l’âne, le bœuf, le Petit Jésus et ses parents qui n’y sont pour rien. La fin en devient ironique : enfin le Ite Missa Est pour qu’on puisse aller manger, enfin le troisième Ite Missa est. Seuls les domestiques sont sortis au premier, vous voyez pourquoi.


La Messe en Sol mineur ouvre avec un prélude pompeux. Mais les chants s’allient à l’orgue, ou plutôt alterne avec l’orgue qui a des solos propres en prélude à chaque morceau de chant, y compris une longue fugue entre le Kirie et le Christe, suivi d’un charmant et intimiste récit de flûte avant le second Christe et un Trio de grosse Tierce espiègle, fugace et impertinent. Le dernier Kirie peut alors venir avant le Grand Chœur qui conclut ce moment crucial de la Messe. On est un peu guindé maintenant. Il faut bien respecter les normes. Le chant et l’orgue de se retrouve jamais ensemble. La musique n’est plus une musique de communion entre le texte et les orgues, entre l’âme des fidèles et le Saint Esprit de la musique. La musique est devenue un divertissement que l’on glisse entre les morceaux de liturgie. On a passé un gué, comme du père Bach à ses fils : les Passions du père ont une autre grandeur que celle de Karl Philip Emmanuel. La musique est devenue un supplément d’âme et n’est plus cet Esprit Saint qui nous appelle au recueillement, à l’examen de nos consciences, au repentir de nos péchés. C’est devenu une suite de pauses gentillettes, surprenantes, amusantes parfois comme le Récit de Tierce de la plage 27. Cette taquinerie, ce « sex appeal » est presqu’obscène dans le cadre de l’église et dans le cadre d’une messe. Le récit de voix humaine de la plage 29 en devient une charade de raillerie, un pécheur qui se moque bien des conséquences, un bras d’honneur même à ce rite là en bas dans le chœur, à ces chanteurs qui ont l’air déplacé avec leurs voix qui sonnent distantes dans la voûte qui les élève et les distancie. Le Récit de flûte est rupestre. On voit les faunes danser au clair de lune. Le récit de hautbois ou de cromorne, choisisse qui peut, n’est même pas le rappel à l’ordre que nous redoutons tous. C’est comme un simple rappel que le soleil ne brille que quand il ne pleut pas. Le Grand chœur conclut ce Gloria in Excelsis et enchaine sur le Grand Chœur de l’Offertoire.


Ce grand Chœur est grandiloquent alors que l’Eucharistie se déroule en bas et que le corps de Jésus et son sang sont au rendez-vous de la foi des fidèles. On a plutôt une danse de village joyeuse et légère après l’ouverture et c’est une vraie transe de bonheur où nous nous retrouvons tous dans la grange pour ,fêter tout cela dans la paille et le foin. Le 18ème siècle après la musique très inspirée de sa première moitié devient une musique qui n’a plus en tête que le divertissement de nos oreilles, le plaisir de nos pieds et les fantasmes de notre âme grivoise par définition. Les grandes orgues font la nique à l’Offertoire.


Le Sanctus est grave, comme si un repentir était à l’ordre du jour, mais ne rêvez pas plus que nécessaire. Après le premier Sanctus, un récit nasillard de Nazard vient donner le double à la gravité première et qu’on en finisse d’un chant plus long que d’habitude. On peut alors avoir le Cromorne de l’Elévation légèrement pompeuse et solennelle mais le prélude de l’Agnus Dei revient en force avec des sonorités plus légères et des tons plus dubitatifs.


Le Poste-Communion revient au charmant, au dansant, à l’aigrelet, un Rondo-Allegro pour que nous puissions tous danser au pas de l’oie ou au pas de deux pour aller prendre notre morceau de pain ou d’hostie. Le corps de Jésus est loin de nous. On pense plutôt à la fête de l’après-midi qui va suivre et aux petites jeunes filles et aux charmants petits jeunes gens avec lesquelles et lesquels nous allons faire des ronds de jambe. Enfin l’Ite Missa Est et un Deo Gratias en petit plein jeu pour conclure ce concert, ce divertissement. La messe a bien baissé en cette période prérévolutionnaire.

Et le fils Jean-Marie, une génération plus tard et une révolution dans l’estomac, bien digérée par Napoléon qui ré-autorise le culte catholique après le concordat et à son bon vouloir. On est alors carré comme avec quatre angles droits. Le Veni Creator nous donne un Grave qui est en fait trop fort pour cette église qui ne le contient que mal, mais il n’y a plus de joie dans tout cela. C’est le temps des défilés militaires. Le Récit de voix humaine de la plage 51 n’est qu’un récit bien construit, bien sage, sans écart et sans minauderie. On vous raconte une histoire nécessairement sainte. C’est donc sérieux et carré comme une quadrature du monde, même si ici et là par deux fois il y a une tentative d’écart.


Mais rien ne vaut un peu de clairon pour nous rappeler que la Garde Républicaine, ou Impériale d’ailleurs, reste la force majeure qui donne le rythme, l’allure, le tempo et le bonheur à ce monde qui est le nôtre qui sans guerre et sans défilés militaires d’arc de triomphe en tombe de soldat inconnu ne serait plus un monde, et certainement pas une vie. Et finissons ce Veni Creator avec un Plein Jeu pour Amen. Très court s’il vous plait.

On peut alors terminer avec une 2ème sortie de Chœur, un mouvement de chasse avec orgue et timbales. Mais ce n’est pas une chasse à courre au galop des chevaux et à la course effrénée des chiens déchaînés. Non simplement un petit jeu d’après midi, un jogging plus qu’une course, une marche à peine soutenue plus qu’une randonnée.


Il faut ajouter que les voix très grégoriennes de la Chapelle de Saint Jean Baptiste de Lyon donne une dimension un peu ancienne à cette musique car la musique elle est un divertissement plus qu’un rituel. On s’étonne cependant que le chant soit aussi passéiste car il y a des styles nouveaux depuis au moins le 16ème siècle et ici on est dans le style le plus traditionnel qui soit, même si le rendu en est très bon.


Dr Jacques COULARDEAU


 

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