PETER HANDKE –
STANISLAS NORDEAY – PAR LES VILLAGES – COM2DIE DE SAINT ETIENNE – 19 FEVRIER
2014
Ils ont beau appeler cela un poème dramatique, il n’en reste pas moins que
quand on le met en scène il faut qu’il devienne un drame poétique, et je dois
dire d’emblée que ce n’est pas le cas. Il faut bien voir aussi que la première
partie et la deuxième partie n’ont pas du tout la même logique discursive. On
pourrait même croire que dans la deuxième partie on a fait attention ici et là
à être dramatique. Mais nous y reviendrons ; Parlons d’abord de la
première partie.
1- Chacun de ces personnages a beaucoup de choses à nous dire, mais ils
n’ont aucune action à nous proposer. Ils parlent chacun de son point de vue
sans se préoccuper de celui ou ceux des autres. On a donc au mieux un
entrelacement de points de vue totalement étanches et incompatibles. On apprend
plein de choses sur la famille dont on ne verra jamais les parents mais
seulement les trois enfants qui se haïssent aigrement et allègrement parce que le
frère aîné se prend la tête en croyant être un intellectuel et il part à la
ville. Le frère cadet tombe, prétendument parce que son frère aîné a causé sa
chute, du haut de l’escalier et il en reste convaincu qu’il sera ouvrier comme
son papa, en d’autres termes il est maboule. La sœur est naïve et simpliste et
elle est vendeuse dans un magasin quelconque. Le frère cadet a un fils. Voilà
la famille. La ribambelle de contes/comptes personnels qu’ils se règlent par
discours enfermés et interposés n’est qu’une espèce de patchwork de la vie,
mais n’est pas la vie, car la vie est de l’action d’abord et avant tout et non
du discours plus ou moins blafard.
2- Le retour du frère aîné cause un émoi et amène les bouches à se délier
pour NOUS raconter leurs histoires mais jamais pour mettre en place une
quelconque action, ou même confrontation. Il revient d’ailleurs pour céder sur toute la longueur et donc partir à jamais
en reniant son droit de regard sur l’héritage des parents que son frère cadet
et sa sœur vont naturellement dilapider pour satisfaire des rêves anciens
qu’ils sont de toutes façons trop vieux pour les réaliser. Pourquoi
revient-il ? On ne peut pas l’expliquer. Pourquoi va-t-il céder ? On
ne sait pas vraiment sinon qu’il a atteint l’âge de ne plus s’intéresser à son
patrimoine familial, à ses racines anciennes. Il est devenu un citadin sans
racines. Mais il n’y a en lui que très peu de réelle souffrance, regret,
nostalgie, ou qui sait quoi. Il est devenu un blasé qui vient provoquer le
frère, la sœur et la communauté de sa présence qui n’est là que pour les
ennuyer. C’est mesquin. C’est bête. C’est méchant. Mais pas d’action, surtout
pas.
3- Le frère cadet est un « goillot ». le mot n’est pas dans mon
dictionnaire autrement que comme un nom de personne. J’ai peut-être mal
entendu. Mais j’ai compris que cela voulait dire « un michel morin »
de chantier. Il ne souhaite qu’arrêter de travailler un jour et laisser la vie
partir et passer sans s’apercevoir qu’alors elle partira sans lui et lui
partira avec elle, elle passera devant lui et lui restera planté là pendant que
la vie continuera à vivre avant de l’emporter, lui, vers la fin de sa vie :
on appelle cela mourir. L’homme n’est humain que quand il crée de la valeur
ajoutée, base de toute valeur et il ne peut faire cela que par un travail, quel
qu’il soit. S’il faut tomber d’un escalier pour être un ouvrier, il est sûr
qu’il ne fera pas beaucoup d’autre chose que de travailler dans une usine pour
un patron. La sœur a été vendeuse dans un magasin toute sa vie et elle veut
être patronne d’un magasin dans le village. Un rêve si fréquent mais sans
lendemain car le dit magasin sera en concurrence avec les grandes surfaces de
la ville d’à coté à quelques minutes de voiture. Elle ne sera alors qu’un
élément du décor mais pas de la vie du village. Les typiques rêves de ceux qui
n’ont pas rêvé avant d’être vieux, qui ne se sont jamais donné les moyens de
réaliser leurs rêves et qui viennent toujours avec l’idée que les rêves ne
peuvent se réaliser que si on a de l’argent. Encore faut-il avoir des idées et
choisir les idées qui sont réalisables avec les moyens que l’on a. Le frère
aîné est prêt à leur laisser dilapider l’avoir des parents pour cela, et c’est
le plus triste. Combien de parents se saignent des quatre veines pour laisser
derrière eux un héritage que la génération suivante dilapide dès qu’ils le
peuvent. Combien les parent seraient inspirés s’ils comprenaient que le
patrimoine qu’ils accumulent est pour eux finir leur vie correctement et non
pour le transmettre, surtout qu’eux on ne leur a transmis rien du tout. Les
parents devraient veiller à transmettre à leurs enfants l’envie de faire mieux
que leurs parents par leurs propres efforts. On est loin de cela.
4- Le frère aîné a-t-il raison de laisser partir le pécule, le
pactole ? Oh que oui ! A-t-il raison de venir leur dire ce qu’il
pense de leur dilapidation mais qu’il les laissera faire ? Oh que
oui ! Cela changera-t-il le monde
et changera-t-il les frère et sœur concernés ? Oh que non ! Le frère
aîné a-t-il raison de n’en avoir rien à cirer ? Oh que oui ! Mais
n’attendez pas que je soutienne ou approuve, ne serait-ce que par un discours
sur les éternels exploités, ces frère et sœur qui n’ont rien à léguer
au monde de demain. Le discours misérabiliste de gauche de la misère des
surexploités me laisse froid et même prêt à vomir si on en rajoute un peu
beaucoup. Heureusement que dans cette première partie le spectacle est
tellement éparpillé et décousu. Cela fait fouillis mais pas harcèlement
idéologique et martellement politique. Pas de prêchi-prêcha mais simplement le
type de discours facile que l’on entend partout, surtout sur les télés
publiques et les radios publiques. Le discours langue de bois de la gauche qui
considère que les questions économiques ne l’intéressent pas. Il n’y a que le
social, et bien sûr ensuite on se lamente que l’économie ne va pas, pire, que
les patrons ont mis l’économie en faillite.
Que reste-t-il à la fin de la première partie ? Une réalité aliénée,
aliénante, où personne n’est lui-même, où tout le monde n’est qu’une illusion
utile à un monde qui se construit sans vraie finalité. Il reste alors le rêve
idéologique d’une prétendue nature qui serait ensevelie sous l’aliénation et
qu’il s’agit de rêver plus que de la retrouver.
Cette nature n’existe pas car l’homme est un construit et rien d’autre et son
aliénation est le processus de production de ce qu’il est et non le déguisement
et le fourvoiement de ce qu’il aimerait être ou aurait pu être ou serait
profondément. On ne devient que ce que l’on sait faire émerger par genèse
personnelle circonstancielle contrôlée, guidée et menée à un terme toujours
transitoire par soi-même. « Je suis tombé par terre c’est la faute à
Voltaire, le nez dans le ruisseau c’est la faute à Rousseau. » Je vous
assure que je suis tombé par terre l’autre jour et que c’est la faute au trou
qu’il y avait dans le trottoir et à l’inaptitude qui fut la mienne de le voir.
Le nez sur le goudron et l’épaule
disloquée, et ça c’est la faute à mon sac à dos lourdement chargé qui est
retombé sur l’omoplate droite car ce sac n’était pas (et il ne le peut pas)
être attaché à la ceinture. Voltaire et Rousseau n’ont rien à voir à cela, pas
plus d’ailleurs que Rothschild ou Rockefeller, le bouclier rouge ou le tombeur
de rochers.
En définitive à la fin de cette première partie le monde se coupe en deux
catégories de gens, l’un comme l’autre parfaitement illusionnées.
·
D’abord
ceux qui croient s’être découpé un morceau de ciel dans ce monde
incohérent : les égoïstes égocentriques totalement autocentrés.
·
Ensuite
ceux qui croient que la vie n’est que ce qu’ils sont et qu’ils ne sont que ce
que la vie les a forcés à être : les aveugles daltoniens, astigmates et
hypermétropes, on dirait aujourd’hui les Bipolaires ou les
Obsessifs-Compulsifs, toujours victimes d’un Post Traumatic Stress Disorder (ou
Syndrome) et de là à dire que c’est une vision d ‘esclave il n’y a besoin que d’un
marxiste pour faire le pas.
Mais il y a la deuxième partie. Oh oui, heureusement qu’il y a la première
moitié de la deuxième partie. On passera sur la vision idyllique d’une vie de
village dans le temps ancien, avant la voiture, le supermarché et l’université
pour « tous », sans parler du mariage pour tous qui est savamment
évité par une camaraderie classe ouvrière qui ne saurait être autre chose
qu’une empathie du labeur exploité.
On passera sur cette nostalgie et le rêve de faire revivre ce mythe en
passant le pont et en prenant la bonne des trois routes. Le poète américain
n’en avait que deux, la haute et la basse, la plus fréquentée et la moins
fréquentée. Mais ici on en a trois pour faire plus vraiment démocratique
j’imagine car dans les sondages on demande toujours Oui, ou NON, ou NS. Mise en
espace suprastructurel et supraculturel, donc idéologique à la sauce post
Deuxième Guerre Mondiale et postmoderne, et même post-post-moderne. C’est d’un
triste de toujours réduire les choix à nécessairement prendre une de deux ou
trois voies ! Pourquoi pas deux ou trois à la fois ? Parce qu’alors
tout devient totalitaire, n’est-il-point, n’est-ce-pas ?
Mais cela permet de construire une structure bien plus intéressante, petit
à petit. Le frère aîné est l’un de trois frères et sœur, triplette amplifiée à
quatre par le fils du frère cadet. Le frère cadet est amplifié par une
triplette d’ouvriers pour devenir quatre, tous habillés de la même façon. Enfin
la sœur est elle aussi amplifiée par une triplette de trois femmes dans la
pièce pour former encore une structure de quatre. Mais la clé de cette savante
structure vient quand le metteur en scène aligne six personnages, dans l’ordre :
Frère aîné + ouvrier + ouvrier + frère cadet + ouvrier + sœur
Et cette
structure est purement et simplement une étoile de David, symbole juif s’il en
est et alors en cascade les trinités deviennent des quarterons qui sont tous des
symboles de la crucifixion, la crucifixion du frère aîné (comme Jésus si on en
croit certains) par le quarteron des ouvriers et du frère cadet, puis par le
quarteron des femmes et de la sœur. Il en prend pour son grade. Cependant devant
les six il y a le fils du frère cadet
qui va scander la scène de la crucifixion et le prêche de la femme qui est en
arrière des six. Ces deux personnages sont le septième chrétien, pour la femme avec
un long, long, interminable prêche sur l’amour et la paix universelle, merci Paul
le prophète des gentils goyim, pour le fils une scansion répétée d’un bâton de
Moïse et d’un tronc de mendiant pour je ne sais quelle guerre ou quels aveugles,
merci Jean, le prophète de l’apocalypse.
On a là une structure signifiante à la Fritz Lang (Metropolis) Et si on ne
prend que les trois triplettes on obtient neuf et c’est le diable, la
damnation. Cette vision est puissante pour l’imaginaire, à condition d’avoir un
peu d’éducation biblique, mais elle est tuée par le prêche interminable de
cette prédicatrice qui se croit poétesse et nous assène un discours d’agit-prop
déplacé et de toute façon on ne peut plus conventionnel.
J’attend ais beaucoup mieux
de toutes ces structures de théâtre public ou de théâtre subventionné, surtout
du festival d’Avignon. Sinistre gaspillage pour un éditorial politique digne de
Libération, qui est en train d’en mourir
de n’être qu’un journal d’agit-prop de gauche très caviar sur canapé de
poireaux aspergés de scotch écossais au goût de goudron (tar whisky de ma
culture ancienne).
Et ce ne sont pas les six masques finaux pour les six personnages de l’étoile
de David qui sauvent le spectacle. Ils le ligotent dans six masques de types
africains probablement qui imposent l’anonymat et l’uniformité aux six personnages,
comme si tout ce spectacle n’était qu’une mascarade frivole et légère. J’en ai
froid dans mes collants.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:47 PM