VAUGHN BODÉ – DĂS
KÄMPF – 1963 – JEAN-PAUL GABILLIET – 2013
La première remarque à faire est que le livre est entièrement bilingue. En
français à partir de la première de couverture et en anglais à partir de la
quatrième de couverture. La postface de Jean-Paul Gabilliet est elle aussi en
deux langues et a été traduite en anglais par Alexis Pernsteiner. Je ne dirai
rien de cette traduction. Par contre je n’ai trouvé aucune part, dans les pages
de copyright par exemple où cela devrait être mentionné, l’auteur de la
traduction des légendes de la « bédé ». Je crois savoir qu’elle est
de Jean-Paul Gabilliet. Si je me trompe autant pour moi.
Cette traduction d’ailleurs est souvent plus guindé que l’original car le
ton n’est pas conservé entièrement. En effet l’utilisation par exemple de la deuxième personne qui peut être
du singulier comme du pluriel en anglais construit une référence personnelle en
fait non référentielle, j’entends ne référant pas à la personne singulière, ou
plurielle d’ailleurs, à laquelle les dessins s’adressent, le ou les lecteurs. Cette
deuxième personne en fait réfère au soldat singulier du dessin qui subit la bêtise
de la guerre, mais en lui donnant une valeur plurielle et donc a-personnelle,
impersonnelle, générique. C’est vrai pour tout soldat. L’utilisation du
singulier « tu » en français, tue, c’est le cas de le dire, cette
dimension générique. Le traducteur l’a senti d’ailleurs car dans certains cas
il préfère une troisième personnelle singulière impersonnelle et donc générique
d’où un ton plus guindé que l’original.
On pourrait pousser plus loin car parfois il fait l’inverse comme page 36 :
« WAR is being awful tired
and wanting to go home – so you do… »
qui devient en
français :
« LA GUERRE, c’est quand t’es crevé et que tu veux rentrer chez toi…
et que tu rentres chez toi… »
Je ne peux rien dire sur l’article devant GUERRE car il est de droit si j’ose
dire, bien qu’il enlève l’adresse directe, le coup de poing que le nom anglais
sans article porte en lui. Mais on perd ici la force de « awful »
adjectif employé en adverbe et que le traducteur intégre à l’adjectif en
utilisant « crevé » au lieu de « fatigué » mais cela
enlève la double rythmique trochaïque remplacée
par deux syllabes non accentuées bien sûr puisqu’on est en français. Les
trochées anglais sont une rythmique inversée de la rythmique naturelle et la
plus courante et dynamique de l’iambe. Ici ces trochées donnent une sorte d’impression
d’essoufflement, donc de grande fatigue.
Traduire « to go home » par « rentrer chez toi » pose
deux problèmes : d’une part « home » (« sweet home »
bien sûr) est effacé et j’aurais préféré « rentrer à la maison » sans
compter qu’alors j’aurais ainsi gardé la non référence personnelle, donc l’impersonnel,
alors que Jean-Paul Gabilliet cataphoriquement rajoute une référence de
deuxième personne du singulier, incité en cela par cette référence qui est
générique comme je l’ai dit dans « so you do… » Mais la dimension
générique de ce « you » anglais est perdue au profit d’une dimension
d’adresse personnelle au lecteur de la légende.
La répétition de « rentrer chez toi » enlève la dimension
automatique, non planifiée, non voulue, simplement réflexive (de l’ordre du
réflexe) de l’anglais « – so you do… » On notera le tiret remplacé
par les trois points de suspension. La valeur sémantique des deux n’est pas la
même, le tiret anglais impliquant qu’il n’y a aucune réflexion et l’automatisme
de l’ordre du réflexe non réfléchi est bien sûr fortement porté par le « so »,
reprise anaphorique de « go home ». On me dira que cela est
intraduisible. Certes mais traduire « home » par « maison »
aurait ajouté en français le subtilité de E.T.
qui pointe son doigt vers son étoile et dit « home » et la version
doublée dit « maison ». Je ne proposerai rien ici. Personnellement je
ne traduirais pas un texte de ce genre. Je ne m’appelle pas Google ou Reverso
qui ont la prétention de tout traduire.
La postface est honnête et donne les éléments factuels nécessaires pour
comprendre. Mais je n’ai pas trouvé la référence que j’attendais à Mad Magazine qui a largement fait dans
le genre caustique, antipolitique, antimilitariste, anti-establishment depuis
1952. J’attendais aussi la mention d’Art
Spiegelman et de sa « revue » RAW qui en grande partie hérite
du travail de Vaughn Bodé. Mais il y a d’autres précurseurs et d’autres
héritiers.
Que dire ce cet « humour » noir et caustique sur la guerre qui en
montre l’absurdité logique ou la logique absurde. Goya lui avait fait dans la
barbarie cruelle ou la cruauté barbare. Je regrette aussi l’absence de ces
dessins, croquis, esquisses, estampes, « bédé » avant l’heure des « Désastres
de la guertre ».
C’est un peu comme quand un colonel pendant des manœuvres (tirs à blanc)
inspecte le « front » sans avoir mis les plastrons et brassards
blancs spéciaux pour les observateurs et qui se plaint ensuite qu’un appelé (cela
se faisait encore en ce temps-là) tire que le colon « à blanc »
certes mais à portée de flamme (la poudre de la balle à blanc brûle bien sûr et
produit une flamme d’environ un mètre cinquante ou deux.
Ce serait un lieutenant dans des manœuvres qui donne l’ordre de jeter les
bombes fumigènes sur la route devant son char sans réaliser que le vent lui
souffle dans le visage, ce que l’appelé (cela existait autrefois) futé a remarqué
et jette donc avec jubilation une fumigène d’un kilo deux mètres devant le char
que le lieutenant, sorti des écoles militaires s’il vous plait, doit faire
déplacer d’urgence.
Faites les mêmes choses en, guerre réelle et non en manœuvre et vous avez
Vaughn Bodé. C’est d’ailleurs pourquoi la suppression du service militaire a
été une catastrophe humoristique pour le commun des mortels qui savait prendre ses
pieds dans bien du plaisir avec les sottises de certains jeune officiers
inexpérimentés ou de certains vieux officiers engoncés dans leurs souvenirs de
guerre réelle, comme la Guerre d’Algérie.
« GUERRE : C’est quand on met un rat affamé sous un casque lourd
sur le bas-ventre, génital bien sûr, d’un Arabe uniquement vêtu de ses poils. »
Je vois le dessin d’ici, y compris avec la tête de l’adjudant qui ne
manquait jamais l’occasion de raconter son histoire à une PFAT innocente
(Personnel Féminin de l’Armée de terre) fraîchement arrivée à la CAR N°1 de
Rueil Malmaison.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 8:56 AM