MUSÉE D’AQUITAINE
– BORDEAUX [AU XVIIIe SIÈCLE] LE COMMERCE ATLANTIQUE ET L’ESCLAVAGE
– 2010
Un très beau livre, bilingue par ailleurs, français-anglais, qui donne une
vision globale de la croissance de Bordeaux au 18ème siècle après
que Louis XIV ait définitivement pris le contrôle de la ville en neutralisant
le fort du Ha et le Château Trompette, les deux citadelles fortifiées de la
ville, et en construisant le Fort Médoc à Cussac, Médoc, et la citadelle de
Blaye de l’autre côte de la Gironde pour bloquer toute remontée de bateau non
autorisé : les bateaux anglais étaient principalement visés qui venaient
se ravitailler en « claret » le vin non Appellation d’Origine
Contrôlée, donc du vin ordinaire avant que le vignoble de qualité ne se
développe justement après cette prise de contrôle. Vauban qui vient de
construire les deux forts protecteur de la Gironde en profite pour consolider
le Fort du Hâ et le Château Trompette qui protégeaient la ville depuis la
bataille de Castillon de 1453, et donc d’en prendre le contrôle en même temps.
Le Château Trompette sera finalement détruit en 1818 pour permettre
l’aménagement de la Place des Quinconces avec la colonne des Girondins. Notons
cependant que de grands travaux avaient été réalisés tout autour (Place de la
Comédie, Grand Théâtre, Jardin Public et les Grandes avenues appelés cours, etc)
du temps des intendants comme Tourny et que la colonne des Girondins et ses
bassins et chevaux étaient supposés être dédiés à Louis XVI avant la Révolution
Française, mais l’objectif changea en cours de route. Le Fort du Hâ quant à lui
sera détruit en 1835. Il est dommage que ce
catalogue ne précise pas cela.
Les illustrations iconographiques de tous genres sont très belles et les
commentaires souvent justes mais parfois imprécis sur le contexte. La place
Ludovise n’a jamais été construite mais le plan général a été conservé. Bien
que le pourtour ait été construit plus ouvert que prévu sous Louis XVI. Il eût
été intéressant de dire que le Jardin Public a pris la place d’un vignoble
appartenant à une veuve qui l’a vendu. Il eût aussi été intéressant de signaler
que le quartier des Chartrons et autres quartiers marécageux furent aménagés
avec la construction de quais surélevés et un système de drainage évacuant les
eaux usés et de pluie vers la Garonne à l’est ou les Jalles à l’ouest et au
nord. Mais l’intérieur du quartier est en dessous du niveau des quais et j’ai
connu au moins un cas dans les années 1950 où la Garonne a inondé l’intérieur
du quartier par la remontée des eaux d’une forte pluie ayant entrainé une crue
éclair par les égouts. La Place Paul Doumer était sous les eaux. Les derniers
quartiers inondés l’hiver lors des crues des rivières furent finalement drainés
et remblayés uniquement dans les années 1960 avec la construction du quartier
de la Cité du Parc. Les ingénieurs qui asséchèrent ces quartiers étaient
Hollandais en ces temps lointains, ce qui est normal du fait de leur expertise
en polders.
La façade du Quai des Chartrons date de Louis XVI pour la partie la plus au
nord et il eut été intéressant de donner la structure d’une de ces maisons,
comme le 95 par exemple. Au rez-de-chaussée à gauche d’immense entrepôts sans
aucune lumière et une seule entrée massivement grillée. Il s’agissait d’une
maison négrière et ce rez-de-chaussée était fait pour héberger des cargaisons
d’esclaves qui faisaient éventuellement escale à Bordeaux avant de partir vers
les îles. Les négociants avaient à droite un vaste magasin ouvert sur le quai,
une arrière cours et au fond de la cour des entrepôts plus petits mais avec
portes et fenêtres. Le premier étage était l’étage des bureaux et des salons
commerciaux. Le deuxième étage étaient celui des appartements du négociant et
le troisième étage était l’étage des serviteurs. La hiérarchisation sociale se
faisait aussi par les escaliers.
Le grand escalier des bureaux, et appartements jusqu’au troisième étage et
un escalier de service de la cour à la tour en quatrième niveau qui permettait
d’accéder aux toits, bien que j’ai toujours connu cet escalier coupé entre le
deuxième et le troisième étage. Cet escalier reliait les diverses cuisines ou
salles d’eau des trois étages avec galerie de liaison entre cette cuisine et
salle d’eau du deuxième étage et les appartements du négociant en arrière de la
cour intérieure. La partie frontale en avant de la cour intérieure étaient
quatre salons de réception, comme d’ailleurs en dessous au premier étage. Il
eût surtout été intéressant de fouiller un peu plus sur ces entrepôts aveugles
et leur utilisation pour escales négrières.
La partie concernant la traite et l’esclavage est elle aussi très forte. De
même la partie sur Saint Domingue, principale colonie attachée à Bordeaux et
l’Aquitaine. Cette île était le premier producteur mondial de sucre et faisait
de Bordeaux le premier port de France. On peut imaginer l’impact négatif du
blocus anglais sur le port de Bordeaux à la fin du siècle sous la Révolution. Cela
devrait expliquer d’ailleurs, du moins en partie, la modération des Girondins
par rapport aux Montagnards.
Mais c’est là que le catalogue a de très belles et explicites photographies
mais que le corpus du texte est déphasé par rapport à la recherche mondiale et
surtout américaine, j’entends des Amériques, sur le sujet. On ne donne que
quelques images sur l’horreur de comment on fait d’un homme africain un esclave
qui n’est qu’un animal de trait que l’on place dans les testaments en-dessous
des chevaux et juste au-dessus des bœufs. On ne parle pas non plus de la durée
de l’institution et surtout de la production de bébés esclaves par reproduction
forcée d’une façon ou d’une autre. On évite aussi de parler du rôle de l’église
catholique gallicane avant la révolution et on ne fait guère que signaler le
Code Noir sans donner d’avantage de détails. Par contre on insiste sur les
phénomène de résistance et d’émancipation, dépassant alors largement le XVIIIe
siècle et remontant sans problème jusqu’à aujourd’hui.
On est alors incapable de vraiment expliquer la résistance dans toute son
ampleur et surtout les conséquences extrêmement durables sur les descendants
même un siècle et demi ou plus après l’abolition de l’esclavage, et la France
ne fut pas la première à le faire de façon permanente et ne le fit qu’en 1848.
Certes les USA suivirent et la Russie n’abolit le servage qu’après la France,
mais on reste très rempli de pudeur et peu descriptif du vrai traitement des
esclaves. On ne donne même pas les taux effroyables de mortalité pendant le
passage de l’Afrique aux îles. La période d’acclimatisation n’est pas explicitement
décrite : faire de ces esclaves après des mois de survie en mer de
vulgaires bêtes de sommes et animaux de trait.
Encore une fois cela est la seule explication à la survivance encore aujourd’hui du
Syndrome de Stress Post Traumatique de l’esclavage et du traitement que l’on
peut proposer. Ce n’est pas en proposant un lopin de terre agricole aux
descendants des esclaves dans nos dernière colonies dites départements d’outre-mer,
descendants pour la plupart urbanisés aujourd’hui, qu’on réparera des siècles
de sévices esclavagistes suivis d’un siècle et demi au moins de sévices
ségrégationnistes. La logique dans les Antilles est exactement la même qu’aux
USA pour les Noirs descendants des esclaves victimes de l’esclavages et de ses
suites de plus de quatre siècles et pour les Indiens victimes d’un génocide de plus
de cinq siècles. Sur ces questions on est cosmétique. On, me dira que c’est un
musée pour le grand public. Il n’est pas interdit d’avoir des salles pour les
adultes dûment signalées et des aires et salles pour les enfants dûment animées
et encadrées pendant que les parents visitent les salles classées moins de 18
ans.
C’est ce traitement cosmétique en définitive allant contre le sens et
contre l’histoire qui fait que certains utilisent tout leur talent et toute
leur imagination pour suivre ceux qui vont justement en rajouter, comme
l’immense auteure Toni Morrison qui vit une véritable fixation sur la période
de l’esclavage aux USA. Elle a raison sur le fond mais elle se concentre sur
des cas si extrêmes que parfois on se demande si elle ne fantasme pas, et on
sait qu’elle ne fantasme pas. Il faut bien voir que la fuite d’un esclave
déclenchait immédiatement une chasse à l’homme avec chevaux et chiens, armes à
feu et autres outils de torture qui remplaçaient avantageusement la chasse à
courre après un renard ou un sanglier.
Natif de Bordeaux et fidèle à mes origines je crois que l’on peut faire
beaucoup mieux que cela et qu’il serait temps de rattraper le retard que nous
avons accumulé en France par rapport aux historiens, psychiatres et autres
chercheur et praticiens noirs, latinos et indiens de l’entier des Amériques. Il
serait bien d’ailleurs que l’on s’oriente vers l’indépendance de nos dernières
colonies.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:47 PM