ALFRED JARRY –
UBU ROI – JUDITH MAGRE – MICHEL AUMONT – MUSIQUE ORIGINALE VINCENT BOUCHOT –
FREMEAUX ET ASSOCIES – 2008
Il y a d’abord la trame que cette pièce est, une trame politique qui sonne
si fort dans nos pays démocratiquement civilisés que l’on croirait y être,
directement englué et embourbé dans le caprice vindicatif et têtu de quelque
tirant qui ne durera que le temps d’une élection. C’est absolument le meilleur
ici : faire une parodie réaliste d’une démocratie dépeinte sous les traits
d’une monarchie d’opérette de militaires bananiers. Heureusement que c’est en
Pologne et pas en Hollande car cela eît été trop près de notre devant de porte.
Même si Ubu rentrera en douce France à la fin pour devenir maître des Phynances
à Paris.
Ainsi n’importe qui peut s’emparer du pouvoir par quelque moyen que cela
puisse être. C’est un coup d’état militaire dans ce cas mais ce pourrait être
des élections absolument irréprochables. Les gens ne votent que ce que les
futurs chefs d’état ont envie qu’ils votent. Un peu de finance, quelques jeux
et quelques clowns et le tour de passe-passe est joué et voilà le nouvel élu en-trôné
avant d’être dé-trôné par l’élection suivante. Le joker a toujours raison des
plus encornés et l’as de pique vous libère le chemin des animaux de compagnie
un peu rebelles quand affamés. S’il n’y avait pas de Pologne il n’y aurait pas
de Polonais. Ou est-ce s’il n’y avait pas de Hollandais il n’y aurait pas de
Pays Bas ?
La caricature du pouvoir est
sublime. On supprime les riches, ici nobles, de par dieu et tous ses saints,
mais qu’importe, et on s’approprie leur bien : un impôt à 100% voir même
carrément à 1000% et la farce est acquise. La caisse des finances que Jarry s’obstine
à écrire comme une pharmacie, alors que cela ne s’entend pas, est remplie et on
peut commencer à voyager de droite et de gauche, à se payer quelques vacances
en haut et en bas de l’échelle planétaire, en Tunisie ou au Mali. Puis on se
libère de la justice à grand coup d’oukases irréversibles et on supprime toutes
les garanties séculaires pour n’avoir plus que les réformes du moment qui
plaisent sans déplaire mais qui toutes font mal dans le bonheur de la douleur
approuvée. Marriez-les tous, deux par deux. S’ils ne savent pas pourquoi
aujourd’hui, demain ils le sauront. Avant le divorce.
Je suis étonné que Jarry n’ait pas supprimé les curés et les évêques en même
temps sans compter les cardinaux, et
pourquoi pas le Pape. Il aurait pu y aller de plusieurs religions autres que la
catholique et libérer la planète de tous ces prêtres sans manières civiles. Mais
Jarry résiste fort et évite ainsi les anticléricalismes et les antisémitismes
et les anti-toutes-les-autres. On ne rit pas avec la chose de la soutane, de la
calotte et du goupillon. L’encens n’est pas chose dont on se moque, pas plus
que l’oint de Yahwe ou « chrism » (Exode 30:22) en une langue
anglo-saxonne, un onguent qui contient du « roseau odoriférant » qui
dissimule ce que l’on appelle couramment du cannabis.
Par contre les militaires sont des têtes à baffe que l’on peut gentiment gratifier
de quelques gifles. La fessée martiale pour ce tête-à-poing insolite réversible
et instable comme un sable mouvant pris de la danse de Saint-guy tellurique d’un
tremblement de terre sismique et simiesque. Tout cela n’est qu’une visite au
zoo de Vincennes réaménagé et ménagerie républicaine royale et impériale. Un
petit coup de griffe au tsar russe d’à côté et l’affaire est dans le sac, et le
Roi Ubu est dans la silice. Mais la trappe par laquelle il s’enfuit le mène sur
un bateau qui devrait le livrer frais et dispos,après maints vomissements et
moult mal de mer, sinon peut-être un mal de mère maternel plus que paternel,
bien que les deux aillent de père en paire, de part en part dans cette folie
délirante.
C’est donc un plaisir, mais mitigé par le fait que l’enregistrement voit
son rythme cassé par la voix off qui annonce les scènes, mais surtout par le
saucissonnage du dialogue, phrase à phrase, sans souci réaliste de monter ces
dialogues en continu et en intonation dramatique. Cela donne à l’enregistrement
une froideur et une distance qui permet de ne pas se laisser aller à une
réincarnation directe d’une situation récente ou réelle. Alors les impôts qui
augmentent peuvent être ou ne pas être la TVA, l’impôt sur le revenu, les
charges sociales, l’impôt sur les sociétés et je ne sais encore quel autre
tarif douanier ou quel autre timbre fiscal.
Mais en 2008 on venait d’élire Sarkozy et j’ai peur que l’on ait fait cet
Ubu désincarné car il est de bon ton dans une certaine gauche dont les Frémeaux
semblent être parfois entichés de peindre les gens de droite soit comme des
gens sans émotions, glacés et frigorifiés, soit comme des monstres veules et
accaparateurs, et donc sans cœur par souci de la rime anglo-saxonne.
Dommage car cette pièce est une farandole de folie à la gloire des
défenseurs des droits de l’homme qui perdent toujours les batailles avant de
les mener car ils ne veulent surtout pas mettre les mains dans le cambouis
politique qu’ils dénoncent. Alors restons un peu distant pour éviter les
éclaboussures, les « gisclures » comme on dit dans ma langue occitane
d’origine qui aime bien pourtant tout ce qui « giscle », et je dois
dire que cet Ubu là « giscle » de tous les pores, comme un vrai porc
par souci de la rime à nouveau, mais française dans ce cas.
Je l’ai vu sur patins à roulettes au théâtre Paris Villette en face de la
Cité de la musique et en vis-à-vis de la Grande Halle, et en beaucoup plus
classique mais avec vélos à La Comédie Française au premier rang du parterre,
et dans quelques autres mises en scène diverses dont je n’ai qu’un vague
souvenir.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 6:28 AM