Tuesday, July 09, 2013

 

Ubu Roi est une génie biblique

ALFRED JARRY – UBU ROI – JUDITH MAGRE – MICHEL AUMONT – MUSIQUE ORIGINALE VINCENT BOUCHOT – FREMEAUX ET ASSOCIES – 2008

Il y a d’abord la trame que cette pièce est, une trame politique qui sonne si fort dans nos pays démocratiquement civilisés que l’on croirait y être, directement englué et embourbé dans le caprice vindicatif et têtu de quelque tirant qui ne durera que le temps d’une élection. C’est absolument le meilleur ici : faire une parodie réaliste d’une démocratie dépeinte sous les traits d’une monarchie d’opérette de militaires bananiers. Heureusement que c’est en Pologne et pas en Hollande car cela eît été trop près de notre devant de porte. Même si Ubu rentrera en douce France à la fin pour devenir maître des Phynances à Paris.

Ainsi n’importe qui peut s’emparer du pouvoir par quelque moyen que cela puisse être. C’est un coup d’état militaire dans ce cas mais ce pourrait être des élections absolument irréprochables. Les gens ne votent que ce que les futurs chefs d’état ont envie qu’ils votent. Un peu de finance, quelques jeux et quelques clowns et le tour de passe-passe est joué et voilà le nouvel élu en-trôné avant d’être dé-trôné par l’élection suivante. Le joker a toujours raison des plus encornés et l’as de pique vous libère le chemin des animaux de compagnie un peu rebelles quand affamés. S’il n’y avait pas de Pologne il n’y aurait pas de Polonais. Ou est-ce s’il n’y avait pas de Hollandais il n’y aurait pas de Pays Bas ?


La  caricature du pouvoir est sublime. On supprime les riches, ici nobles, de par dieu et tous ses saints, mais qu’importe, et on s’approprie leur bien : un impôt à 100% voir même carrément à 1000% et la farce est acquise. La caisse des finances que Jarry s’obstine à écrire comme une pharmacie, alors que cela ne s’entend pas, est remplie et on peut commencer à voyager de droite et de gauche, à se payer quelques vacances en haut et en bas de l’échelle planétaire, en Tunisie ou au Mali. Puis on se libère de la justice à grand coup d’oukases irréversibles et on supprime toutes les garanties séculaires pour n’avoir plus que les réformes du moment qui plaisent sans déplaire mais qui toutes font mal dans le bonheur de la douleur approuvée. Marriez-les tous, deux par deux. S’ils ne savent pas pourquoi aujourd’hui, demain ils le sauront. Avant le divorce.

Je suis étonné que Jarry n’ait pas supprimé les curés et les évêques en même temps sans compter les  cardinaux, et pourquoi pas le Pape. Il aurait pu y aller de plusieurs religions autres que la catholique et libérer la planète de tous ces prêtres sans manières civiles. Mais Jarry résiste fort et évite ainsi les anticléricalismes et les antisémitismes et les anti-toutes-les-autres. On ne rit pas avec la chose de la soutane, de la calotte et du goupillon. L’encens n’est pas chose dont on se moque, pas plus que l’oint de Yahwe ou « chrism » (Exode 30:22) en une langue anglo-saxonne, un onguent qui contient du « roseau odoriférant » qui dissimule ce que l’on appelle couramment du cannabis.


Par contre les militaires sont des têtes à baffe que l’on peut gentiment gratifier de quelques gifles. La fessée martiale pour ce tête-à-poing insolite réversible et instable comme un sable mouvant pris de la danse de Saint-guy tellurique d’un tremblement de terre sismique et simiesque. Tout cela n’est qu’une visite au zoo de Vincennes réaménagé et ménagerie républicaine royale et impériale. Un petit coup de griffe au tsar russe d’à côté et l’affaire est dans le sac, et le Roi Ubu est dans la silice. Mais la trappe par laquelle il s’enfuit le mène sur un bateau qui devrait le livrer frais et dispos,après maints vomissements et moult mal de mer, sinon peut-être un mal de mère maternel plus que paternel, bien que les deux aillent de père en paire, de part en part dans cette folie délirante.

C’est donc un plaisir, mais mitigé par le fait que l’enregistrement voit son rythme cassé par la voix off qui annonce les scènes, mais surtout par le saucissonnage du dialogue, phrase à phrase, sans souci réaliste de monter ces dialogues en continu et en intonation dramatique. Cela donne à l’enregistrement une froideur et une distance qui permet de ne pas se laisser aller à une réincarnation directe d’une situation récente ou réelle. Alors les impôts qui augmentent peuvent être ou ne pas être la TVA, l’impôt sur le revenu, les charges sociales, l’impôt sur les sociétés et je ne sais encore quel autre tarif douanier ou quel autre timbre fiscal.


Mais en 2008 on venait d’élire Sarkozy et j’ai peur que l’on ait fait cet Ubu désincarné car il est de bon ton dans une certaine gauche dont les Frémeaux semblent être parfois entichés de peindre les gens de droite soit comme des gens sans émotions, glacés et frigorifiés, soit comme des monstres veules et accaparateurs, et donc sans cœur par souci de la rime anglo-saxonne.

Dommage car cette pièce est une farandole de folie à la gloire des défenseurs des droits de l’homme qui perdent toujours les batailles avant de les mener car ils ne veulent surtout pas mettre les mains dans le cambouis politique qu’ils dénoncent. Alors restons un peu distant pour éviter les éclaboussures, les « gisclures » comme on dit dans ma langue occitane d’origine qui aime bien pourtant tout ce qui « giscle », et je dois dire que cet Ubu là « giscle » de tous les pores, comme un vrai porc par souci de la rime à nouveau, mais française dans ce cas.


Je l’ai vu sur patins à roulettes au théâtre Paris Villette en face de la Cité de la musique et en vis-à-vis de la Grande Halle, et en beaucoup plus classique mais avec vélos à La Comédie Française au premier rang du parterre, et dans quelques autres mises en scène diverses dont je n’ai qu’un vague souvenir.


Dr Jacques COULARDEAU



Comments:
Merci Jacques pour ce texte très riche qui me donne envie de relire Ubu Roi. Mélanger ainsi cette pièce de théâtre au présent, jouer sur les mots, les assonances et les consonances. Tout ceci est bien passionnant. Et pour terminer ce petit commentaire : à ceux qui ne se passionnent pas pour vos écrits vraiment pédagogiques, il existe une voie que répète sans cesse le roi Ubu : "A la trappe !" Sur cette boutade, j'attends avec impatience votre prochain billet et vous dis à bientôt! Au plaisir de vous lire
 
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