Ce n’est pas tant un texte qu’une mise en scène. Ce n’est pas tant un style
qu’une mise en abyme, un terme que les critiques un peu snobs des USA emploient
à toutes les sauces, même les plus abyssales, ce que les anglais qualifierait
d’« abysmal », adjectif invariable bien sûr. Je suis un peu vieille
classe, il est vrai mais j’aime beaucoup parler de la pièce dans la pièce, un
tour fort prisé de Shakespeare, par exemple.
Mais l’anglais n’est pas la tasse de thé de José Valverde.
Tous les moyens employés ont un seul objectif : impressionner le
lecteur comme s’il était un spectateur par un deus ex machina permanent et
répétitif qui vise à être efficace et risque de vous donner le tournis. Alors
asseyez-vous et reprenez calmement.
L’auteur a du savoir-faire dans ce domaine et il a le savoir nécessaire
pour rendre ce savoir-faire quasiment mortel, pour nous rendre le visage de la
mort que nous donne la culture, comme le célèbre masque funéraire de Alighieri
Dante, et toute la beauté de ce masque funéraire est non pas dans les traits de
Dante lui-même, mais dans l’immense héritage de cet homme prodigieux, dans son
Inferno et dans son Paradiso, avec un entre-deux qui tient de la purge pour
petits péchés intestinaux.
On est alors en droit de se demander ce qu’il reste de ce livre après
l’avoir tué jusqu’à la dernière page ? Un certain Dan Brown vient de centrer son dernier roman
à énigme sur le masque funéraire de Dante qu’il fait voler à Florence et migrer
à Venise. José Valverde qui nous livre ce livre mystérieux comme un
masque funéraire d’une vie bien remplie, va-t-il voir les voleurs du Mash-up
venir le piller pour en faire de la bouillie ministérielle ? Il y a de
fortes chances que oui car les ministères et les ministres, surtout ceux de la
culture, adore le mash-up idéel et idéologique qui est plus respectable que le
plagiat. Le mash-up est au plagiat ce que la crème pâtissière brûlée est à la
crème aux œufs.
Mais il nous reste après lecture quelques idées simples et de simple bon sens, donc qu’aucun ministre
d’aucune culture ne pourra comprendre, et le tout dans mon propre désordre.
1- Si la culture est liberté, elle est ingérable car imprévisible et donc
le ministère de la culture ment et gère du vent avec force moulinets des bras
comme quelque moulin à vent de Don Quichotte, ce qui est presqu’une insulte
pour Cervantès quand on connaît le Sancho Panza de cette ministre de la
culture.
2- Si la culture c’est un objet diffusé par des structures
institutionnalisées, le ministère de la culture est en fait un vendeur de
bonbons, cacahuètes, eskimos, chocolats dans les travées d’un foirail aux
bestiaux. La plus belle bête est celle qui a été nourrie aux hormones et la
culture qui gagne c’est le produit qui a été nourri au moulin à prière des
vendeurs de soupe.
3- Si la culture c’est, ou ce sont, les savoirs humains, le producteur
principal de ce savoir c’est la recherche scientifique et le ministère de la
culture est donc un coquille vide d’escargot déshydraté par l’ingestion de
quelques granules anti-limaces. Mais surtout ne construisons pas une pyramide
de Chéops en mettant en un seul conglomérat trois ministères actuels :
éducation dite nationale, universités et recherche (notez le singulier), et
culture (notez aussi le singulier. Cela ferait une belle bête à trois têtes et
dix cornes et autant de couronnes : cela serait une bonne chance de faire
revivre une certaine apocalypse et sa Babylone qui règne en maîtresse absolue
des corps et des instincts les plus bas.
4- Si la culture c’est le produit des industries culturelles, le ministère
de la culture est un charlatan de foire foraine, donc une survivance d’un mode de
pensée ancien qui ne sert à rien car on sait bien que ce n’est pas Dieu le père
qui gère les foires expositions et les comices agricoles. Notre ministre de la
culture n’est même pas bien sûr capable d’animer ou de mener le concours de
labourage. Par contre il est très fort pour le pâturage qui fait du tout petit
lait avec toutes les herbes folles qui poussent au côté et au fossé de la route
nationale dramatique qu’il désherbe à la faucheuse tous les ans à coups de
subventions, en fait de non-subventions, mais les unes et les autres ont le
même sens : gérer nos écuries d’Augias.
5- Si la culture c’est l’éthique, et comme elle me donne des démangeaison
je pense que c’est plutôt les tiques qui me font tiquer devant les tics de
langage et de comportement, n’allons pas jusqu’à parler de la pensée, de nos
ministres successifs qui traitent un langage dominant comme une rente à
perpétuité, si donc la culture c’est l’éthique, on traite de l’ordre moral et
donc de LA culture officialisée qui tient plus de la propagande mentale et
spirituelle que de la créativité humaine. La culture devient un ensemble de
mantras dignes de quelque religion himalayenne. Le ministère de la culture est
alors une officine normalisatrice, une refonte du Livre des Morts Tibétains en
une sorte de notice nécrologique de ce qui devra survivre dans l’oppression,
l’interdiction, la diabolisation aux noms de mots comme beauté, vérité,
humanism-ité, laïcité. Et quelques autres concepts du même jet, voyez le Littré
pour vous les confirmer, avant la communion solennelle.
6- Si la culture c’est un construit il est indispensable de commencer dès
la naissance et même avant pendant la grossesse. Mais alors le ministère de la
culture n’a rien de maternel. Il est impuissant, impotent et stérile car il n’a
aucune autorité sur les maternités, les sages femmes, les crèches, les écoles
maternelles et les accoucheurs à forceps. Il est la mouche d’un certain coche
qui se moque complètement de la dite mouche car ce coche est tirée par la vie
et non par la mouche mortuaire pondeuse de vers cadavériquement intéressés,
affamés, cannibales, et c’est vers là n’ont rien à voir avec des vers de poésie
ou des versets spirituels.
7- Si la culture c’est la nouvelle religion intégriste des Droits/Devoirs
de l’Homme, notez les majuscules, le ministère de la culture est le nouveau
pape d’avignon, sans majuscules mais avec chasuble d’or bien sûr, goupillon de
fonte bien sûr et sabre d’acier trempé bien sûr, et ce pape d’avignon sans
majuscules fait respecter sa lecture gallicane, parfois gauloise (vous savez
nos ancêtres) indiscutable et laïque de la pensée humaine libérée de toute
discrimination religieuse, donc de toute religion, sans dieux ni maîtres, sauf
la sienne qui consiste à dénoncer toutes les autres. Il est donc un intégriste
de la liberté dominée, contrôlée, maîtrisée, enfin en un seul mot libérée, un
ministère de l’oxymoron, de la liberté enchaînée dans un mausolée funéraire.
8- Si la culture théâtrale était une culture de la liberté elle ne
fonctionnerait pas sur la base des chiffres accablants du public qui bouffe du
fric quand il est comparé au privé qui an fait. Le public et ses 2.427.000
spectateurs en face du privé et ses 2.976.649 spectateurs. Le public et ses
50,18 euros de subventions par spectateur en face du privé et ses 2,31 euros de
subventions par spectateur, presque VINGT-DEUX FOIS MOINS. Le théâtre d’état,
le théâtre de la république, le théâtre public est pour le moins un théâtre
privé de rentabilité, un théâtre du gaspillage des fonds publics dans l’inefficacité
à amener un vrai public populaire au théâtre ou le théâtre à un vrai public
populaire (p. 101-103). Et en plus ce théâtre d’état travaille pour les morts,
non pas comme un salon funéraire mais comme le dépositaire colombaire des
cendres après la crémation. Le théâtre public joue des pièces nouvelles pour
2,71% de ses spectateurs. Alors que le théâtre privé joue essentiellement des
pièces nouvelles d’auteurs vivants.
9- Neuvième heure de la mort de Jésus. 999, trois fois neuf, ou 666, 18 et
donc deux fois neuf. Il reste dans ce paysage dévasté après cinquante ans de
politique culturelle d’état centralisée que la vie vient du ruisseau et non de
l’Elysée, vient même du par-terre et non des palais hérités des âges anciens.
C’est une vanité tyrannique que de croire que la beauté et la transfiguration du
réel en spirituel plus ou moins surnaturel mais définitivement trans-réaliste
peuvent naître et croître dans l’ordre établi étatique. Et le ruisseau comme le
par-terre ne sont jamais là où on les attend. Ils risquent fort d’être derrière
et devant les caméras qui retransmettent en streaming live des performances
hors scènes car la créativité n’a rien à faire des scènes qui tentent de
l’enclore dans un ring en forme de corral. Il n’est nul besoin d’un lit pour
faire un enfant. C’est même bien plus amusant sans lit.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 4:00 AM