CHRISTIAN PETZOLD
– BARBARA – 2012
1980, Allemagne de l’Est. Une femme chirurgien pédiatre dans un hôpital de
Berlin-Est a demandé l’autorisation de sortir du territoire, donc d’émigrer
vers l’ouest. Elle est immédiatement envoyée en province pour éviter qu’elle
fuie. C’est le premier élément qui sonne faux. Si c’est vraiment le désir d’empêcher
de fuir et de tenir sous surveillance qui est derrière le déplacement dans la
région de Rostock, c’est une fieffée erreur. Il était plus simple de surveiller
les gens à Berlin du fait du mur que dans les provinces, raison de plus Rostock
et la Baltique.
Mais passons sur ce détail. La visite de l’amant de l’ouest avec sa Mercedes
Benz et son chauffeur est elle aussi assez cocasse et surtout marquée de
clichés un peu faciles comme Mercedes Benz contre Trabant, ou bien l’hôtel pour
touristes « étrangers » dotés de devise (on n’insiste pas trop sur ce
détail) qui ne cherchent qu’à passer la nuit avec la première femme venue
contre un petit cadeau de rien du tout et la promesse de mariage et le rêve de
partir vers l’ouest, promesse et rêves tous les deux en l’air.
Heureusement que ce film va un peu plus loin que cela. Barbara est médecin
et à ce titre elle a une éthique et le film
va montrer comment cette éthique est plus forte que le désir de fuir, un
désir qu’elle sacrifiera en ce qui la concerne pour assurer à une autre qui ne
survivrait pas longtemps en camp de rééducation par le travail la chance de
sortir. C’est cela qui noue le film en un vrai drame.
C’est la révélation que dans ces pays du socialisme réel comme aimait à
dire Georges Marchais, le bonheur était dans l’acceptation d’une délégation
totale d’autorité et de décision à une élite politique servie par une élite
bureaucratique et défendue, maintenue au pouvoir par une élite policière. Cela
voulait aussi dire que chacun devait faire ce que on leur disait de faire. Plus
donc qu’une délégation de pouvoir, c’était une soumission au pouvoir de cette élite. Quand ces deux éléments étaient
acceptés il pouvait y avoir un certain bonheur, mais certainement pas un
bonheur certain.
Certes, et loin de moi de le nier, les services sociaux étaient particulièrement
efficaces : éducation, santé, mais aussi formation continue et promotion
sociale et la seule condition était d’accepter le leadership de l’élite, car
dans ce socialisme réel une véritable élite s’était constituée. J’avais la
chance d’avoir un insigne du SED, le parti communiste dominant de la RDA (un
cadeau d’un ami mineur de Borna). Je parlais et comprenais l’allemand couramment
en ce temps là. Un jour dans un tram de Dresde une vieille dame se leva et
voulut me céder sa place alors que j’avais à peine plus de vingt ans. Je refusai
bien sûr mais le « geste » montrait la puissance, ou le prestige, de
cette élite. On entendait aussi des choses étranges. J’écrivais un jour dans la
brasserie de la gare de Meissen. Deux jeunes dirent à très haute voix : « C’est
tout ce qu’ils font, ils écrivent ! »
Je pourrais multiplier les cas. Mais en 1968 ce fut la Tchécoslovaquie et
là tout changea. Walter Ulbricht prit sa retraite et fut remplacé par Erich
Honecker. Les gens attendaient vraiment un changement et c’est l’inverse qui se produit. Le régime se
raidit, se durcit et tourna au cauchemar. En 1969 je faillis être expulsé sur
demande des jeunes loups du SED et de la FDJ, la jeunesse communiste, et je fus
défendu par les plus anciens qui avaient fait la guerre. Je désapprouvais l’intervention
à Prague et la réponse fut, de la part de ces jeunes loups : « Si nos
dirigeants ont pris cette décision c’est qu’ils ont des raisons et leurs
raisons sont bonnes. » Plus casuiste que cela je veux bien mourir.
Le film montre merveilleusement comment les dés sont jetés en 1980 :
le régime a passé le pas d’une discipline démocratique à une dictature de la discipline,
d’un Saint Nicolas sévère mais bienveillant à un Père Fouettard intraitable. Le
film cependant se termine sur une situation intenable. Barbara ne pouvait pas
reprendre sa place à sa clinique après avoir fait ce qu’elle avait fait, faire
fuir une victime qui plus est incarcérée dans un camp de travail. Pour elle
cela ne pouvait être que l’arrestation, la détention après l’interrogatoire et
qui sait quoi en plus. Cette absence de même le début du commencement de cette
déchéance enlève énormément de force au sacrifice que Barbara vient de faire. Pourquoi
le réalisateur a-t-il écarté cette fin inéluctable ? Et la déclaration de
l’officier de la STASI dans son appartement vide n’est pas même une ébauche de
cette fin car à ce moment-là, même cet officier considère qu’elle a réussi à
fuir.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:45 PM