Friday, June 21, 2013

 

La puissance maximum n'est pas atteinte.!

CHRISTIAN PETZOLD – BARBARA – 2012

1980, Allemagne de l’Est. Une femme chirurgien pédiatre dans un hôpital de Berlin-Est a demandé l’autorisation de sortir du territoire, donc d’émigrer vers l’ouest. Elle est immédiatement envoyée en province pour éviter qu’elle fuie. C’est le premier élément qui sonne faux. Si c’est vraiment le désir d’empêcher de fuir et de tenir sous surveillance qui est derrière le déplacement dans la région de Rostock, c’est une fieffée erreur. Il était plus simple de surveiller les gens à Berlin du fait du mur que dans les provinces, raison de plus Rostock et la Baltique.

Mais passons sur ce détail. La visite de l’amant de l’ouest avec sa Mercedes Benz et son chauffeur est elle aussi assez cocasse et surtout marquée de clichés un peu faciles comme Mercedes Benz contre Trabant, ou bien l’hôtel pour touristes « étrangers » dotés de devise (on n’insiste pas trop sur ce détail) qui ne cherchent qu’à passer la nuit avec la première femme venue contre un petit cadeau de rien du tout et la promesse de mariage et le rêve de partir vers l’ouest, promesse et rêves tous les deux en l’air.


Heureusement que ce film va un peu plus loin que cela. Barbara est médecin et à ce titre elle a une éthique et le film  va montrer comment cette éthique est plus forte que le désir de fuir, un désir qu’elle sacrifiera en ce qui la concerne pour assurer à une autre qui ne survivrait pas longtemps en camp de rééducation par le travail la chance de sortir. C’est cela qui noue le film en un vrai drame.

C’est la révélation que dans ces pays du socialisme réel comme aimait à dire Georges Marchais, le bonheur était dans l’acceptation d’une délégation totale d’autorité et de décision à une élite politique servie par une élite bureaucratique et défendue, maintenue au pouvoir par une élite policière. Cela voulait aussi dire que chacun devait faire ce que on leur disait de faire. Plus donc qu’une délégation de pouvoir, c’était une soumission au pouvoir de  cette élite. Quand ces deux éléments étaient acceptés il pouvait y avoir un certain bonheur, mais certainement pas un bonheur certain.


Certes, et loin de moi de le nier, les services sociaux étaient particulièrement efficaces : éducation, santé, mais aussi formation continue et promotion sociale et la seule condition était d’accepter le leadership de l’élite, car dans ce socialisme réel une véritable élite s’était constituée. J’avais la chance d’avoir un insigne du SED, le parti communiste dominant de la RDA (un cadeau d’un ami mineur de Borna). Je parlais et comprenais l’allemand couramment en ce temps là. Un jour dans un tram de Dresde une vieille dame se leva et voulut me céder sa place alors que j’avais à peine plus de vingt ans. Je refusai bien sûr mais le « geste » montrait la puissance, ou le prestige, de cette élite. On entendait aussi des choses étranges. J’écrivais un jour dans la brasserie de la gare de Meissen. Deux jeunes dirent à très haute voix : « C’est tout ce qu’ils font, ils écrivent ! »

Je pourrais multiplier les cas. Mais en 1968 ce fut la Tchécoslovaquie et là tout changea. Walter Ulbricht prit sa retraite et fut remplacé par Erich Honecker. Les gens attendaient vraiment un changement et  c’est l’inverse qui se produit. Le régime se raidit, se durcit et tourna au cauchemar. En 1969 je faillis être expulsé sur demande des jeunes loups du SED et de la FDJ, la jeunesse communiste, et je fus défendu par les plus anciens qui avaient fait la guerre. Je désapprouvais l’intervention à Prague et la réponse fut, de la part de ces jeunes loups : « Si nos dirigeants ont pris cette décision c’est qu’ils ont des raisons et leurs raisons sont bonnes. » Plus casuiste que cela je veux bien mourir.


Le film montre merveilleusement comment les dés sont jetés en 1980 : le régime a passé le pas d’une discipline démocratique à une dictature de la discipline, d’un Saint Nicolas sévère mais bienveillant à un Père Fouettard intraitable. Le film cependant se termine sur une situation intenable. Barbara ne pouvait pas reprendre sa place à sa clinique après avoir fait ce qu’elle avait fait, faire fuir une victime qui plus est incarcérée dans un camp de travail. Pour elle cela ne pouvait être que l’arrestation, la détention après l’interrogatoire et qui sait quoi en plus. Cette absence de même le début du commencement de cette déchéance enlève énormément de force au sacrifice que Barbara vient de faire. Pourquoi le réalisateur a-t-il écarté cette fin inéluctable ? Et la déclaration de l’officier de la STASI dans son appartement vide n’est pas même une ébauche de cette fin car à ce moment-là, même cet officier considère qu’elle a réussi à fuir.


Dr Jacques COULARDEAU



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