LA TACHE EICHMANN À LA BANNIÈRE SIONISTE.
Il est intéressant de se tourner vers cette intellectuelle juive réfugiée à
New York dans une université américaine et qui enseigne la philosophie qu’elle
a étudiée avec Martin Heidegger, un philosophe intéressant qui n’a pas su, ni
voulu j’imagine, prendre ses distances d’avec Hitler et s’est laissé sans
résistance récupérer par le national socialisme. Hannah Arendt, juive
allemande, réfugiée en France dans les années 1930 mais raflée par les Français
en 1940, a
réussi à fuir et échapper à la déportation grâce à un visa américain arrivé
miraculeusement pour elle et son mari. Le film ne montre que peu de la jeunesse
de cette femme, quelques souvenirs d’étudiante, sa liaison avec Heidegger dans
l’entre-deux-guerres, et quelques vagues souvenirs pas toujours très clairs et
très fragmentaires sur la période nazie. Il eût été intéressant d’en montrer
plus.
Le film se concentre sur la courte période du procès d’Eichmann en Israël en
1961 qu’elle couvre pour le New Yorker, à sa propre demande. Plutôt que de
couvrir de façon factuelle ce procès, elle en fait une longue réflexion philosophique
qui l’amène à parler de choses apparues dans le procès mais qui vont soulever
une vraie campagne de haine et même de rétorsion.
Essayant de comprendre Eichmann elle réfléchit sur ce que l’on doit retenir
contre un homme qui a commis des actes criminels. Non pas le système qui le
manipule, mais sa réelle responsabilité alors qu’il n’a fait qu’obéir à des
ordres. Elle défend la thèse qu’il a perdu, en n’étant qu’un bureaucrate
obéissant, sa capacité à penser, à discriminer le bien du mal. Il s’est
interdit – mais elle va plus loin en affirmant qu’il a perdu et non abandonné –
sa qualité d’homme et donc sa responsabilité pour les actes criminels qu’il
commet sur ordre. Elle s’oppose à la peine capitale, ce qui en son temps est
courageux, mais elle semble blanchir cet homme qui a dirigé Auschwitz avec une
efficacité phénoménale. Mais puisqu’il ne faisait que suivre des ordres, ce n’était
pas lui le diable mais il n’était que le pion du diable. Comme Corneille le dit
si bien : « Que voulez-vous qu’il fît ? Qu’il mourût. »
Mais cette hypothèse est exclue pour ce fonctionnaire dans la logique de Hannah
Arendt, bien qu’il se soit arrangé à prendre la fuite avant d’être arrêté par
les alliés, ou plutôt les Russes qui ne prenaient pratiquement plus de
prisonniers à ce moment là, en 1945. Comme quoi il savait qu’il commettait des
crimes.
Mais elle révèle quelque chose qui à l’époque fit très mal : le fait
que les Juifs étaient très organisés en Europe et que les dirigeants des
communautés juives collaborèrent pour que la déportation et donc l’extermination,
se fassent dans le plus grand ordre possible et non dans le chaos anarchiste
que cela aurait été sans eux. Elle les accuse donc d’avoir collaboré à l’extermination
des Juifs. Mais le film hélas est silencieux sur les détails. C’est donc une
accusation en l’air. La réalisatrice aurait été plus pertinente, j’entends le
film aurait été plus pertinent, si elle avait dit par exemple le fait que les
trains de la déportation étaient payés par les Juifs eux-mêmes qui payaient
donc leur propre déportation. La communauté juive de Bordeaux paya pour les
trains de Papon fournis par la SNCF de l’époque. Des faits de ce genre ne
furent possibles que parce que les édiles de la communauté juive organisa cela
pour éviter le pillage et la souffrance du chaos. Treblinka avait un orchestre
juif qui jouait pour les fêtes juives et les moments festifs des « hôtes
juifs » du camp.
Cela n’efface pas les réactions scandaleusement sectaires, sinon même extrémistes
et intégristes, des universitaires Américains autour d’elle, des Juifs sionistes
d’Israël, qui passent aux menaces, au chantage, à la vendetta y compris
administrative et universitaire. Le film, d’un autre côté, montre en vis à vis de
quatre ou cinq universitaires hostiles un amphithéâtre d’étudiants très
favorables et unanimement favorables, ce qui semble excessif dans ce sens aussi :
il ne pouvait pas y avoir une telle unanimité et les étudiants hostiles ne
pouvaient pas avoir été tenus – par qui ? – à l’écart de cet amphithéâtre.
Autant ce qu’elle a dit sur les édiles juifs dans le cadre de la Shoah,
avant, pendant et après celle-ci, est justifié mais manque d’éléments concrets dans
le film, autant ce qu’elle dit sur Eichmann est pour le moins irresponsable car
le plus servile de tous les fonctionnaires qui obéit à des ordres criminels est
responsable de ses actes même commandés. La Charte Universelle des Droits de l’Homme
reconnaît le droit pour chacun de refuser l’application d’un ordre qui va à l’encontre
de ses convictions morales ou éthiques. On appelle cela l’objection de
conscience, et avant 1945 le courage voulait que l’on dise non, que l’on prenne
la fuite, que l’on passe dans la clandestinité ou la résistance, et au pire que
l’on fasse ce que sa conscience dicte : « Que voulez-vous qu’il fît ?
Qu’il mourût. » Ce serait trop facile autrement : on tue sur commande
et c’est comme si on n’avait rien fait. Toutes les guerres donnent ce droit aux
militaires mais à l’encontre d’autres militaires pas à l’encontre des civils.
Hannah Arendt errait dans une arrogance philosophique quand elle défendait
le contraire et l’arrogance de ceux qui était de l’autre – ou plutôt des autres
– bord(s) ne justifiait pas la sienne, même si cette arrogance administrative,
sioniste, universitaire et d’autres encore n’avait et n’a toujours pas la
moindre raison d’être, même si c’est un mal largement partagé par beaucoup de
bureaucrates, d’universitaires, d’intellectuels, et bien sûr d’intégristes de
quelque idéologie ou école que ce soit. Il est tellement plus simple pour un
ministre de l’intérieur confronté à un mouvement de masse hostile d’interdire
une manifestation ou de dissoudre une organisation alors qu’’il ne s’agit que d’une
manifestation ou d’un mouvement qui déclare son hostilité à une mesure d’un
gouvernement, ce qui est pour le moins le droit de chacun. Mais certains ne
pensent pas comme cela dans leur arrogance du pouvoir : on a été élu sur
un programme, donc on l’appliquera contre vent et marée, et « c’est bien à
notre tour de profiter de notre majorité ». J’ai lu cela sur un débat sur
Google+ depuis trois ou quatre jours concernant le mariage pour tous.
Le monde n’a vraiment pas tellement changé dans la tête de certains pour
qui la politique est un jeu de pouvoir et non un travail de consensus.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:55 PM