CHARLES TRENET –
JEROME SAVARY – Y’A D’LA JOIE§ … ET D’L’AMOUR
Grand spectacle pour grand poète, c’est sûr. Les chansons s’enchainent avec
brio et la mise en scène est époustouflante en jardin extraordinaire et en
rivage méditerranéen. Les provocations visuelles des acteurs multi-polyvalents
qui font les faunes autant que les diables, les travelos autant que les
transgéniques, sont ce qu’ils doivent être, enivrants. La musique est fortement
allègre et joyeuse, comme il se doit. Ce spectacle a retrouvé ce que
j’appellerai l’esprit de Charles Trénet, un esprit qui visait d’abord et avant
tout à faire plaisir, à donner confiance tant dans l’avenir que dans le
présent. Et pourtant il y a un Trénet qui n’est pas présent, un Trénet d’une
autre dimension. Il manque l’âme de l’artiste.
L’âme de l’artiste c’est son ancrage dans la réalité de son temps et dans
l’horreur et la souffrance de son temps. Le spectacle commence avec les congés
payés sans vraiment montrer ni le drame qui les a amenés, une grève générale
sans précédent, ni le drame qu’ils présagent, une guerre effroyable que le
Front Populaire qui n’avait pas les congés payés à son programme prétendait
vouloir empêcher, comme si on empêche l’orage. On n’a jamais eu l’orage et une
crevaison n’est vraiment pas le drame de Munich.
Trénet a traversé son époque qui se centre sur la deuxième guerre mondiale
puis sur la guerre froide et les guerres coloniales, et rien dans ce spectacle
ne donne à entendre les cris de douleur que l’on trouve chez Trénet, même si souvent
cachés sous le fringant et le rutilant d’un spectacle qui sonne faux tout en
chantant juste. Comme si le jardin extraordinaire n’était pas un refuge, un
cache-misère, un paradis artificiel. Et quel refuge, quel cache-misère, quel
paradis artificiel il était, ce jardin extraordinaire, au cœur même de
l’horreur sans égal.
Que Jérôme Savary ait voulu ne faire qu’un spectacle distrayant, facile,
léger, emporté, sans pourtant se laisser emporter vers l’autre face de la lune,
soit. Mais je dois dire que cela me laisse un peu froid. J’attendais plus d’un
artiste qui a bercé mon enfance et dont le goût aujourd’hui est à la fois la
joie de vivre au cœur d’une misère à pleurer. On a la joie mais pas la misère
et la joie en perd tout son goût, toute sa valeur. Ce n’est que le contraste
qui peut rendre à Trénet sa force.
Il était la force qui permettait aux hommes et aux femmes de son époque
d’affronter l’effroyable malheur qui inspirait une effroyable haine et un
besoin sans fond de travestir et de grimer cette souffrance en plaisir exquis
qui ne niait pas la mort mais la trompétait haut et clair comme le son du cor
au fond des bois annonce l’hallali qui va tuer la biche éperdue et le cerf
traqué par les chiens de la meute politique. Walt Disney, lui, nous produit
Bambi qui fait pleurer tant de la beauté de la vie que de l’horreur de la
chasse et du feu que les hommes imposent à l’adorable jeune daim ou chevreuil.
Encore aurait-il fallu que l’horreur soit au rendez-vous comme la lune
voulait y être.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:03 PM