Beckett et les
idéologies de l’absurde et de la fin du monde.
Beckett arrive à Paris
comme lecteur d’anglais à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm en octobre
1928 et sa présence sera importante sinon permanente à partir de là. Le monde
que T.S. Eliot voit comme le monde des
« Hollow Men » (les hommes creux ou vides, 1925) qui regardent
placidement arriver l’horreur qui prendra forme hitlérienne après avoir pris
forme mussolinienne et avant de prendre forme franquiste est un monde
totalement absurde et insensé. Et sur la rythmique de la vieille comptine
américaine, « Who is Afraid of th’ Big Bad Wolf » héritée de son
enfance et que Walt Disney rendra universelle avec Les Trois Petits Cochons (1932), il ironise sur la peur et
l’impuissance des hommes :
Here we go round the prickly pear
Prickly pear prickly pear
Here we go round the prickly pear
At five o’clock in the morning.
[Nous voilà qui tournons autour de la figue de barbarie, figue de barbarie, figue de barbarie, nous voilà qui tournons autour de la figue de barbarie à cinq heures du matin.]
Et pourtant tous en ce
temps-là essaient de donner un sens à l’insensé.
T.S. Eliot écrit et
monte Murder in the Cathedral (Meurtre dans la cathédrale) à Canterbury
en 1935. Au-delà du crime de quatre chevaliers zélés qui croient faire la justice
dont ils seraient investis par quelque autorité royale, séculière ou régulière,
il en appelle à la raison. Mais de quelle raison s’agit-il ? La raison
nationale qui justifie le crime au nom de ce qui est arrivé ensuite ?
Laissons faire le crime qui se prépare, nous verrons plus tard ce qu’il en est
advenu ? Ou bien la raison mentale, spirituelle, intellectuelle, éthique
représentée par Thomas Becket qui répond aux quatre tentateurs ?
Now
is my way clear, now is the meaning plain:
Temptation
shall not come in this kind again.
The
last temptation is the greatest treason:
To do
the right deed for the wrong reason.
[Maintenant ma voie est
claire, maintenant le sens est évident: La tentation ne se présentera pas à
nouveau dans nos affaires. La dernière tentation [chercher le martyre] est la
plus grande trahison : Faire la chose juste pour la mauvaise raison.]
La chose juste est de
mourir pour la liberté, mais la mauvaise raison c’est de le faire pour la
gloire du martyre. Pour Eliot il n’y a aucun doute en cela : contre Hitler
les Anglais, les Européens, les Occidentaux, bref tous les partisans des
libertés fondamentales doivent accepter de mourir pour les défendre et non de
traiter avec la tentation nazie. On sait que ce n’est pas ce qui arrivera avec
Chamberlain et Daladier.
H.G. Wells se tourne
étrangement vers Staline dont il enregistre et publie une interview intitulée
« Marxism versus Liberalism » [Marxisme contre Libéralisme,
http://www.marxists.org/reference/archive/stalin/works/1934/07/23.htm,
accédé le 6 janvier 2013] datée du 23 Juillet 1934. Et il produit son film
Things to Come, en 1936 dans lequel il
défend un monde futur entièrement blanc, gouverné par la science froide de la
raison absolue qui refuse les émotions. Dans des écrits antérieurs il était
pour l’élimination de tous les gens non utiles à la société, de tous les gens
de couleur avec l’exception des Juifs qui savent se marier en dehors de leur « race ».
Schopenhauer (1788-1860) dans l’antisémitisme va
très loin et est le soubassement de la politique hitlérienne sur le sujet.
Il suffit de consulter l’article « Judaism » du Historical Dictionary of Schopenhauer’s
Philosophy, David E. Cartwright, The Scarecrow Press Inc., Lanham, Maryland,
2005 pour s’en convaincre. Par ailleurs une citation attribuée à ce philosophe
dit : "we owe the animals not mercy but justice,
and the debt often remains unpaid in Europe, the continent that is permeated
with Foeter Judaicus...it is obviously high time in Europe that Jewish views on
nature were brought to an end...the unconscionable treatment of the animal
world must, on account of its immorality, be expelled from Europe." (Nous n’avons pas à traiter
les animaux avec pitié mais avec justice, et la dette reste souvent impayée en
Europe, le continent qui est imprégné de Foeter Judaicus (l’odeur juive)… Il
est de toute évidence grand temps en Europe que les vues juives sur la nature
soient amenées à leur fin… Le traitement non-consciencieux du monde animal
doit, du fait de son immoralité, être expulsé d’Europe.) Mark Musser, “The
Green Nazi Hell and America’s
Future?” AIM Report, Accuracy in Media, For Fairness, Balance and
Accuracy in News Reporting, July 2, 2009, Washington DC,
http://www.aim.org/aim-report/the-green-nazi-hell-and-americas-future/, consulté le 10 janvier 2013
Le plus étrange avec
H.G. Wells est qu’il republiera l’interview de Staline après la guerre en 1945
avant de mourir en 1946. Son eugénisme extrême qui est largement développé
avant Hitler et en est une des racines est défendu jusqu’au bout au nom de
l’avenir de l’humanité, et ce dès The
Time Machine (1895) et la dégénérescence humaine en deux espèces
antagoniques construites à partir de l’analyse marxiste de la société coupée en
deux classes, ainsi croisant la théorie de l’évolution de Charles Darwin et la
théorie marxiste du capitalisme.
On notera que le film de
Fritz Lang, Metropolis est construit
sur la même métaphore, deux classes antagonistes, la classe ouvrière qui vit
sous terre et la classe bourgeoise qui vit à la surface dans les parcs et les
jardins. Avec cependant le christianisme et l’éducation les deux portés par
Maria, l’institutrice, comme moyens d’émancipation.
Quel acte symbolique
permettrait de poser Beckett dans cet univers pour le moins insensé sinon
absurde avec le recul du temps. Il fait un choix similaire à celui de H.G.
Wells. Il pose sa candidature en 1934 pour entrer en apprenti dans l’école
cinématographique de Sergei M. Eisenstein à Moscou, un réalisateur de génie
pour sûr mais qui ne fait plus que des films de propagande staliniste à ce
moment-là. C’est aussi l’année de la montée forte du fascisme en France. Samuel
Beckett serait-il en train de chercher
refuge loin de cette horreur montante ? On sait ensuite qu’il s’engagera
dans la Résistance pendant la Deuxième Guerre Mondiale et côtoiera les
communistes français dans cette période.
On pourrait multiplier
les exemples et on en reviendrait toujours au même point. Avant 1939-1945 le
monde sombre dans une folie spéciale qui coupe la pensée en deux avec une zone
floue entre les deux, zone floue des défenseurs des libertés fondamentales
au-delà des idéologies et qui n’ont pas le courage de prendre partie pour ou
contre l’un ou l’autre des deux camps en même temps que l’un comme l’autre des
deux camps ne fait aucun effort, loin de là, pour s’allier avec ces défenseurs
des libertés fondamentales. Si les communistes allemands avaient accepté une
alliance avec les sociaux-démocrates allemands, et vice versa, si les sociaux
démocrates allemands avaient accepté une alliance avec les communistes
allemands, Hitler ne serait jamais monté au pouvoir. On me dira qu’on ne
refait pas l’histoire, mais la France dans laquelle vit Samuel Beckett fait
justement le choix qui n’a pas été possible en Allemagne et ainsi le fascisme
est écarté en France et des gouvernements de Front Populaire vont se succéder
même si c’est l’un d’eux, celui de Daladier, qui signe le pacte de Munich, même
si c’est ce parlement qui démettra les députés communistes et plus tard investira
Pétain et l’Etat Français.
On comprend alors le
choix de Samuel Beckett en 1934 et puis ensuite celui pendant la période
d’occupation.
Beckett, engagé jusqu’au
cou dans la résistance est forcé de fuir après dénonciation et de prendre le
maquis véritablement dans le sud de la France. Cet engagement est-il un
engagement politique donc du côté de la force principale de cette Résistance,
le parti communiste, ou n’est-ce qu’un engagement motivé par des raisons
générales et éthiques et l’acceptation de travailler avec d’autres sans se
poser de questions ? Ce n’est pas l’objet de cette recherche. Mais si on
suit la classification d’après guerre du théâtre de Samuel Beckett dans la
catégorie du théâtre de l’absurde on pose une continuité entre l’absurdité de
cette période d’avant-guerre et de la guerre d’une part et le théâtre de
Beckett d’autre part. On peut aussi voir que le retrait loin des références
idéologiques directes dans son théâtre, ce qui permet de le voir comme absurde,
est un moyen pour Beckett de jouer sur trois tableaux à la fois :
1-
La période que nous venons de vivre est absurde (raison
de plus si on ajoute les camps d’extermination des juifs, des tziganes, des
communistes, des homosexuels, des russes et bien d’autres encore) et moi,
Beckett j’en donne une métaphore parabolique ;
2-
Par cette métaphore parabolique je ne prends pas part au
débat politique et reste volontairement et résolument en dehors de la
dichotomie du monde pendant la Guerre Froide ;
3-
Par cette métaphore parabolique je permets tant au camp
de gauche pacifiste et anti-guerre froide de justifier leur combat au nom de la
raison (même si cela couvre les crimes de Staline et du goulag soviétique)
qu’au camp de droite engagé bec et ongles dans la lutte pour l’arrêt de
l’expansion communiste au nom des libertés fondamentales pour lesquelles la
Deuxième Guerre Mondiale a eu lieu (même si cela couvre les crimes de la guerre
de Corée et des guerres coloniales).
Les choses ont-elles
vraiment changé après 1945 ?
Nous traitons ici de
trois pièces de théâtre de Samuel Beckett qui forment un tout comme nous le
démontrerons plus loin. D’abord En
Attendant Godot (écrite en français en 1952, jouée en 1953 et traduite et
jouée en anglais, Waiting For Godot,
en 1955), puis Fin de Partie (écrite
et jouée en français à Londres en 1957, traduite et publiée en anglais, Endgame, en 1958), et enfin Oh ! Les beaux jours (écrite et
jouée en anglais, Happy Days, à New
York en 1961, traduite et publiée en français en 1963). Deux remarques
s’imposent : elles sont toutes trois contenues dans une période étroite
1952-1963. C’est la période la plus haute de la guerre froide qui culmine avec
les missiles soviétiques à Cuba en octobre 1962. Elles ont été écrites dans la
période la plus intense de cette guerre froide qui va de 1948, le Coup de Prague à 1962-63, la
crise de Cuba et l’assassinat de J.F. Kennedy. On notera qu’en France c’est la
période où la guerre d’Indochine bat son plein jusqu’à la défaite de Dien Bien
Phu et qui s’enchaîne aussitôt après sur la guerre d’Algérie qui finira par le
retrait et l’indépendance. Cette période est dominée par une coupure du pays en
deux camps idéologiques qui se veulent antagonistes mais en trois courants
politiques dont le courant communiste qui est exclu du fonctionnement normal
des institutions et du gouvernement depuis 1947, puis le courant socialiste et
centriste de gauche (radicaux) qui refusent toute alliance à gauche et s’allie
systématiquement avec le centre droit, et enfin le courant gaulliste et centre
droit qui participe directement ou indirectement aux gouvernements de centre
gauche et centre doit qui se succèdent. Le cas le plus notoire est celui de
Jacques Chaban-Delmas, un des lieutenants directs de de Gaulle, qui sera
ministre d’état de Guy Mollet en 1956-57 et ministre de la défense nationale et
des forces armées de Félix Gaillard en 1957-58, qui enverra le contingent en
Algérie et mettra en place les deux Centres d'Instruction à la Pacification et à la Contre-Guérilla (CIPCG) formant à la guerre
psychologique, pour beaucoup un euphémisme pour les unités d’interrogatoire
serré, en d’autres termes la torture, en Algérie avec à leur tête les généraux Salan et
Bigeard qui feront le putsch du 13 mai 1958 à Alger qui ramènera de Gaulle au
pouvoir sans élections préalables.
Plus absurde que moi tu
meurs.
La deuxième remarque est
celle de la langue. Samuel Beckett est bilingue et à ce titre fonctionne
différemment dans les deux langues. Ce fait n’est pas pris en compte ni compris
par la plupart des critiques de Beckett. Nous aurons tout loisir de montrer les
différences entre les deux versions de ces trois pièces, des différences
faibles pour la première, notoires pour la seconde et importantes pour la
troisième. Ces différences ont une valeur qui a été négligée dans tout ce que
j’ai pu lire sur Beckett, au moins minimisé. Je suis saussurien par principe et
considère que la valeur vient de la différence et pas de la ressemblance car
comparer les similarités n’est pas prouver, en fait ne prouve rien.
Mais il faut voir que la
période qui suit la Deuxième Guerre Mondiale est une période qui produit des
idéologies en continuation avec celles qui ont provoqué cette guerre. Mais plus
encore que cela j’aimerais montrer l’immense changement en train de se faire
sous les yeux des témoins mais qui ne deviendra évident qu’après la période
concernée (après 1968) et qui aujourd’hui nous oblige à sortir du carcan de
l’absurde et à considérer ce théâtre comme ayant un sens, si du moins nous
voulons bien utiliser les outils normaux de l’analyse sémiologique et en
particulier Kenneth Burke et son « pentad ». La référence à l’absurde
devient absurde en elle-même.
L’idéologie qui est en
continuité avec les années 1930-1945 et que je vais survoler rapidement est,
outre bien sûr le communisme et le militarisme en particulier colonial, la
dianétique et la scientologie. Je préfère et de loin prendre une idéologie de
ce type plutôt qu’une philosophie dont les trente années d’après la Deuxième
Guerre Mondiale ont été le nid, le creuset et même la couveuse, car la
dianétique et la scientologie se sont dotées, à la différence de la philosophie
existentialiste par exemple, dès le début d’un appareil matériel, l’Eglise de
Scientologie, qui prétend être l’outil universel visant à gagner le contrôle du
monde entier, de l’humanité pour imposer le changement que son fondateur Ronald
Lafayette Hubbard considère comme l’ultime et inévitable phase de développement
humain. On notera la continuité par rapport
aux idéologies communiste et nazie à la fois dans l’appareil de prise et de
contrôle du pouvoir et dans l’objectif universaliste. Mais notons que cette
ambition de vouloir conquérir l’humanité tout entière pour la changer est
commune à de nombreux partis politiques et à pratiquement toutes les églises ou
institutions religieuses, sauf celles qui prétendent n’être que pour un peuple
élu.
Il n’est
pas question de discuter en détail cette idéologie et une discussion beaucoup
plus détaillée est disponible dans un fichier de notes de lecture et de débats
sur la dianétique et quelques autres livre de Hubbard à l’adresse
suivante :
http://synopsispaie.academia.edu/JacquesCoulardeau,
sous le titre : RONALD LAFAYETTE HUBBARD DIANETICS AND
THE WORLD ATOTALITARIAN VISION.
L’idée principale est
que les hommes n’ont qu’un seul principe vital et c’est l’instinct de survie.
Rien d’autre n’existe pour Hubbard. Ainsi l’amour comme la sexualité sont
réduits à la reproduction sexuée et donc à une vision hétérosexuelle pro-créationnelle.
Toute autre forme de sexualité et toute autre forme de relation amoureuse est
rejetée comme d’une façon ou d’une autre perverse, et en plus toute relation
amoureuse, raison de plus sexuée, est proscrite pour les cadres et les
étudiants de l’Eglise de Scientologie et des centres de formation. Le deuxième
principe est que chaque homme a un psychisme qui peut être mesuré avec
précision et positionné sur une échelle de quatre rangs. Toute personne en
dessous de 2 est plus négative que positive et donc se met en péril tout en
mettant la communauté tout entière en péril également. La survie de cet
individu ou de cette communauté qui tolère ces individus est en jeu, c’est à
dire menacée. On a là la continuité absolue de l’eugénisme de H.G. Wells et le
principe d’élimination des individus concernés est en continuité absolue avec
les pratiques des nazis en Allemagne et les pays occupés et des staliniens en
URSS et ses pays satellites. L’anticommunisme
cependant de Hubbard est proche de l’hystérie à certains moments. Mais cette
idéologie dianétique et scientologique, dans son extrémisme même, est typique
de la période de Guerre Froide, et donc importante pour comprendre la vision de
Samuel Beckett dans sa trilogie, particulièrement en France.
L’anticommunisme
officiel en France tient aussi de l’hystérie particulièrement pendant les
guerres coloniales qui s’étalent de 1947 à 1962 sans interruption. Samuel Beckett
n’a pas pu ignorer – excusez du peu car un listing complet des faits de censure,
de répression, des refus de compter les voix communistes pour les investitures
de gouvernements au Parlement sont myriades, ou légions si vous préférez un
discours plus biblique – les événements de Charonne le 8 février 1962 où 8
personnes, toutes communistes, trouvent la mort par répression d’une
manifestation par les forces de l’ordre, tout comme il n’a pas pu ignorer le
massacre d’Algériens, en particulier le 17 octobre 1961 ou entre 80 et 200
personnes trouvent la mort dans la Seine essentiellement, sous la direction du
Préfet de police Papon.
A un autre niveau qui
nous sera essentiel plus tard on assiste à une véritable campagne de
criminalisation de tout ce qui ressemble de près ou de loin à de
l’homosexualité avec l’amendement Mirguet voté par le Parlement le 18 juillet
1960 dont la discussion n’est pas sans échos encore aujourd’hui. Là encore on
pourrait parler d’hystérie. Cependant le film de Jean Delannoy, Les Amitiés Particulières sortira en
salle en 1964 et le film de Jacques Rivette la
Religieuse d’après Denis Diderot (celui-ci concerne simplement la sexualité
chez les hommes et femmes d’église), interdit en pré-censure en 1962, autorisé
au tournage par la CNC en 1965, interdit aux moins de 18 ans par la CNC et
finalement interdit le 31 mars 1966 par Yvon Bourges ministre de l’information
de Georges Pompidou, un des tous derniers cas de censure en France, révèlent
s’il en est besoin cette hystérie qui perdure au-delà de 1963. Le dernier film
sortira finalement en juillet 1967 interdit au moins de 18 ans. Mais revenons
au débat parlementaire sur l’amendement Mirguet. Voici le compte-rendu
officiel.
Discussion du projet de
loi n° 60-733 autorisant le Gouvernement à prendre par application de l'article
38 de la Constitution les mesures nécessaires pour lutter contre certains fléaux sociaux.
M. le président. M.
Mirguet a déposé, à l'amendement n. 8 de la commission des affaires
culturelles, un sous-amendement n° 9
ainsi conçu:
« Après le quatrième alinéa du texte proposé par cet
amendement, insérer le nouvel alinéa suivant:
« 4° Toutes mesures propres à lutter contre l'homosexualité.
»
La parole est à M.
Mirguet.
M. Paul Mirguet. Je
pense qu'il est inutile d'insister longuement, car vous êtes tous conscients de
la gravité de ce fléau qu'est l'homosexualité,
fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants.
Au moment où notre
civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution
devient si vulnérable, nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son
prestige. Dans ce domaine, comme dans les autres, la France doit montrer
l'exemple. C'est pourquoi je vous demande d'adopter mon sous-amendement. Le
Parlement marquera ainsi une prise de conscience et sa volonté d'empêcher
l'extension de ce fléau par des moyens plus efficaces, à mon sens, que la
promulgation de textes répressifs.
M. le président. Quel
est l'avis de la commission ? (Rires.)
Mme Marcelle Devaud,
rapporteur. Je ne trouve pas que cela soit particulièrement drôle! Il y a là
une situation que vous connaissez et que je connais aussi. (Nouveaux rires.) Oh
! messieurs, il est trop facile de rire d'un problème moral qui devrait vous
préoccuper. Sachez que l'opinion a les yeux fixés sur le Parlement: il serait
plus digne pour lui de ne point plaisanter trop facilement. Nous ne sommes pas
ici chez les chansonniers. (Applaudissements.)
Voilà la tableau dans lequel Samuel Beckett écrit sa trilogie et si Fin de Partie est jouée en français à
Londres avant Paris, c’est bien une façon de préparer sa sortie à Paris et
d’éviter les pièges de la censure. Nous verrons pourquoi. La sortie de Happy Days en anglais à New York est
aussi le moyen de détourner la censure française sur les mêmes éléments que Fin de Partie. On notera aussi que la
version française qui suit est expurgée de certains éléments par trop
explicites.
A l’époque on classa Samuel Beckett et quelques autres dans le dossier
« théâtre de l’absurde » ce qui évitait de regarder les détails et de
chercher un sens, puisqu’a priori il n’y en avait pas. Les choses aujourd’hui ont sensiblement
changé et je suis surpris que l’on continue encore de classer Samuel Beckett
dans l’absurde sans le soumettre à une analyse sémiologique serrée. Je
montrerai pourquoi il en est ainsi plus bas.
Ce qui fait que l’on doit aujourd’hui reconsidérer cette classification,
c’est l’évolution phénoménale de la science et de la société qui a fait sauter
les tabous hystériques de la Guerre Froide, du communisme au couteau entre les
dents et surtout de la sexualité, plus précisément de l’homosexualité.
La science est parcourue par un progrès tellement exponentiel
qu’aujourd’hui des penseurs comme Ray Kurzweil peuvent poser le concept de
« singularité » qui explique que vers 2050 les machines seront plus
intelligentes que les hommes et qu’elles prendront donc sinon le pouvoir du
moins la préséance dans la gestion des affaires humaines. On a là une nouvelle
forme d’hystérie, cette fois totalement positiviste et qui nous promet non une utopie
mais une dystopie. Je ne discuterai pas sur le fond de cette idéologie qui a
peu à voir avec la science. Disons simplement que le cerveau humain se développe
au fur et à mesure que les incitations venues du monde le lui permettent ou
l’exigent. C’est ce cerveau, ou plus exactement le cerveau de la couche la plus
développée intellectuellement de la société qui produit des machines sans cesse
plus puissantes et intelligentes. Sans entrer dans les arguments de ceux comme
Jeff Hawkins qui considère que l’homme sera toujours plus intelligent que les
machines qu’il inventera, disons simplement que les machines que l’homme invente
permettent à l’homme, et en particulier aux jeunes hommes, donc les enfants y
compris en bas âge aujourd’hui, de développer de nouvelles capacités
intellectuelles. Dans cette évolution globale de l’humanité – qui ne dépend pas
tant de mutations biologiques sélectionnées par la sélection naturelle que de
la mise en activité et du développement des connexions des neurones cérébraux
dont l’immense majorité est inemployée – la couche supérieure
intellectuellement se développera de la même façon et en proportion. Ces
capacités intellectuelles ne sont que partiellement génétiques et il serait une
erreur de limiter l’accès aux machines intelligentes à une couche étroite de
gens. Les tablettes sont faites aussi pour les bébés, malgré ce que les
associations anti-progrès peuvent dire. La prudence est de rigueur, la peur ne
l’est pas.
Ce développement scientifique a bouleversé le monde
par la communication virtuelle, bientôt la nuagique généralisée, c'est-à-dire
la réalité virtuelle pour tout un chacun. Les approches de l’histoire fondée
sur la coupure du monde en deux, l’élimination de l’une ou l’autre des deux
parties, quels que soient les critères retenus, sont aujourd’hui dépassées. Si
on se contentait de maintenir Samuel Beckett dans l’absurde né de la Deuxième
Guerre Mondiale et de la Guerre Froide en continuité sur l’entre deux guerres
précédent, on pourrait l’enterrer. Or il n’a jamais été autant d’actualité
qu’aujourd’hui, comme nous allons le démontrer et ce serait ignorer le monde
réel que d’en rester aux visions éculées des années 1950, même quand elles
portent le nom de Camus qui lui aussi a besoin d’être réinterprété. Un exemple
récent (date introuvable mais qu’on peut induire de la carrière de l’auteur
comme étant de 2011) est « Camus and the Absurdity of Existence in Waiting
for Godot » d’Angela
Hotaling de la SUNY Oneonta (Oneonta, NY)
When one does not give in
to Camus’ concept of philosophical suicide, or like in “Waiting for Godot” by
Samuel Beckett, when the characters are struggling on the edge of philosophical
suicide, an extreme upset to one’s existence arises. Without God, or Godot,
life appears to be meaningless. When all science can do is “explain this world
to me with an image,” (Sisyphus P. 454) truth seems so distant from “me,” the
subject. In order to understand anything I have to “reduce it to the human.”
(Sisyphus P. 452) Reducing what is “true” to the human distances one from the
truth because of the limits to human understanding. To Camus, no clarity about
this world can be reached. Does this mean that the world is absurd and thus,
one is doomed to live an absurd and meaningless existence? Or, does it mean
that one cannot understand the world and because of this, one suffers from the
nostalgia of the desire to understand? Perhaps without this profound desire for
clarity and meaning, nostalgia and an absurd existence [are] avoidable. But, is
the desire itself avoidable? For Vlad[i]mir and Estragon the desire consumes
them. Godot is the only explanation and even that isn’t sufficient because
“he” has no reality. When it is impossible to explain the world without
“reducing it to poetry,” (Sisyphus P. 454) life is either meaningless, or
meaningful, but if this meaning is beyond one’s understanding, does that make
it meaningless?
[
http://organizations.oneonta.edu/philosc/papers09/hotaling.pdf,
consulté le 7 janvier 2013. Quand quelqu’un n’accepte pas le concept de suicide
philosophique de Camus, ou comme dans
En
attendant Godot de Samuel Beckett quand les personnages se battent au bord
du suicide philosophique, une perturbation majeure se produit dans leur
existence. Sans Dieu, ou Godot, la vie semble insensée. Quand tout ce que la
science peut faire c’est de « m’expliquer le monde avec une image » (
Le Mythe de Sisyphe, p. 454), la vérité
semble si loin de « moi », le sujet. En vue de comprendre quoi que ce
soit je dois « le réduire à de l’humain » (idem, p. 452). Réduire le
vrai à de l’humain me distancie de la vérité du fait des limites de la
compréhension humaine. Pour Camus on ne peut atteindre aucune clarté concernant
le monde. Cela veut-il dire que le monde est absurde et qu’ainsi on est
condamné à vivre une existence absurde et insensée ? Ou cela veut-il dire
que l’on ne peut pas comprendre le monde et que de ce fait on souffre de la
nostalgie du désir de comprendre ? Peut-être que sans ce profond désir de
clarté et de sens la nostalgie et une existence absurde [sont] inévitables.
Mais le désir lui-même est-il évitable ? Pour Vladimir et Estragon le désir
les consume. Godot est la seule explication et même
cela est insuffisant parce que « il » n’a aucune
réalité. Quand il est impossible d’expliquer le monde sans « le réduire à
de la poésie » (idem, p. 454) la vie est soit sensée soit insensée, mais
si ce sens est au-delà de notre entendement, cela la rend-elle insensée ?]
Tout le texte de cet article suit l’a priori que le monde de Vladimir et
Estragon est absurde, et pourtant la dernière phrase ci-dessus laisse entendre
que peut-être il a un sens, mais l’enfermement dans le Mythe de Sisyphe de Camus fait que l’on tourne en rond et n’approche
en rien un sens quelconque sinon à prétendre que Godot est dieu (God) et que sa
non venue est une absence, une mort et que cette mort et absence de dieu
signifie l’absence de sens, l’absurde. On voit alors l’a priori
idéologique : Samuel Beckett exprime ici l’absurdité d’un monde qui a
perdu ou à qui on a enlevé dieu.
Il semble qu’il faille dépasser cette lecture religieuse de la trilogie de
Samuel Beckett pour trouver le sens de ces pièces en elles-mêmes et non en
dehors.
Pour ce faire nous allons utiliser les concepts de Kenneth Burke de ce que
j’appellerai un structuralisme sémiologique postmoderne.
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 6:55 AM