Saturday, January 19, 2013

 

Beckett and politics from 1928 to 1962


Beckett et les idéologies de l’absurde et de la fin du monde.

Beckett arrive à Paris comme lecteur d’anglais à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm en octobre 1928 et sa présence sera importante sinon permanente à partir de là. Le monde que T.S. Eliot  voit comme le monde des « Hollow Men » (les hommes creux ou vides, 1925) qui regardent placidement arriver l’horreur qui prendra forme hitlérienne après avoir pris forme mussolinienne et avant de prendre forme franquiste est un monde totalement absurde et insensé. Et sur la rythmique de la vieille comptine américaine, « Who is Afraid of th’ Big Bad Wolf » héritée de son enfance et que Walt Disney rendra universelle avec Les Trois Petits Cochons (1932), il ironise sur la peur et l’impuissance des hommes :

Here we go round the prickly pear
Prickly pear prickly pear
Here we go round the prickly pear
At five o’clock in the morning.
[Nous voilà qui tournons autour de la figue de barbarie, figue de barbarie, figue de barbarie, nous voilà qui tournons autour de la figue de barbarie à cinq heures du matin.]

Et pourtant tous en ce temps-là essaient de donner un sens à l’insensé.

T.S. Eliot écrit et monte Murder in the Cathedral (Meurtre dans la cathédrale) à Canterbury en 1935. Au-delà du crime de quatre chevaliers zélés qui croient faire la justice dont ils seraient investis par quelque autorité royale, séculière ou régulière, il en appelle à la raison. Mais de quelle raison s’agit-il ? La raison nationale qui justifie le crime au nom de ce qui est arrivé ensuite ? Laissons faire le crime qui se prépare, nous verrons plus tard ce qu’il en est advenu ? Ou bien la raison mentale, spirituelle, intellectuelle, éthique représentée par Thomas Becket qui répond aux quatre tentateurs ?

Now is my way clear, now is the meaning plain:
Temptation shall not come in this kind again.
The last temptation is the greatest treason:
To do the right deed for the wrong reason.
[Maintenant ma voie est claire, maintenant le sens est évident: La tentation ne se présentera pas à nouveau dans nos affaires. La dernière tentation [chercher le martyre] est la plus grande trahison : Faire la chose juste pour la mauvaise raison.]

La chose juste est de mourir pour la liberté, mais la mauvaise raison c’est de le faire pour la gloire du martyre. Pour Eliot il n’y a aucun doute en cela : contre Hitler les Anglais, les Européens, les Occidentaux, bref tous les partisans des libertés fondamentales doivent accepter de mourir pour les défendre et non de traiter avec la tentation nazie. On sait que ce n’est pas ce qui arrivera avec Chamberlain et Daladier.

H.G. Wells se tourne étrangement vers Staline dont il enregistre et publie une interview intitulée « Marxism versus Liberalism » [Marxisme contre Libéralisme, http://www.marxists.org/reference/archive/stalin/works/1934/07/23.htm, accédé le 6 janvier 2013] datée du 23 Juillet 1934. Et il produit son film Things to Come, en 1936 dans lequel il défend un monde futur entièrement blanc, gouverné par la science froide de la raison absolue qui refuse les émotions. Dans des écrits antérieurs il était pour l’élimination de tous les gens non utiles à la société, de tous les gens de couleur avec l’exception des Juifs qui savent se marier en dehors de leur « race ».

Schopenhauer (1788-1860) dans l’antisémitisme va très loin et est le soubassement de la politique hitlérienne sur le sujet. Il suffit de consulter l’article « Judaism » du Historical Dictionary of Schopenhauer’s Philosophy, David E. Cartwright, The Scarecrow Press Inc., Lanham, Maryland, 2005 pour s’en convaincre. Par ailleurs une citation attribuée à ce philosophe dit : "we owe the animals not mercy but justice, and the debt often remains unpaid in Europe, the continent that is permeated with Foeter Judaicus...it is obviously high time in Europe that Jewish views on nature were brought to an end...the unconscionable treatment of the animal world must, on account of its immorality, be expelled from Europe." (Nous n’avons pas à traiter les animaux avec pitié mais avec justice, et la dette reste souvent impayée en Europe, le continent qui est imprégné de Foeter Judaicus (l’odeur juive)… Il est de toute évidence grand temps en Europe que les vues juives sur la nature soient amenées à leur fin… Le traitement non-consciencieux du monde animal doit, du fait de son immoralité, être expulsé d’Europe.) Mark Musser, “The Green Nazi Hell and America’s Future?” AIM Report, Accuracy in Media, For Fairness, Balance and Accuracy in News Reporting, July 2, 2009, Washington DC, http://www.aim.org/aim-report/the-green-nazi-hell-and-americas-future/, consulté le 10 janvier 2013

Le plus étrange avec H.G. Wells est qu’il republiera l’interview de Staline après la guerre en 1945 avant de mourir en 1946. Son eugénisme extrême qui est largement développé avant Hitler et en est une des racines est défendu jusqu’au bout au nom de l’avenir de l’humanité, et ce dès The Time Machine (1895) et la dégénérescence humaine en deux espèces antagoniques construites à partir de l’analyse marxiste de la société coupée en deux classes, ainsi croisant la théorie de l’évolution de Charles Darwin et la théorie marxiste du capitalisme.

On notera que le film de Fritz Lang, Metropolis est construit sur la même métaphore, deux classes antagonistes, la classe ouvrière qui vit sous terre et la classe bourgeoise qui vit à la surface dans les parcs et les jardins. Avec cependant le christianisme et l’éducation les deux portés par Maria, l’institutrice, comme moyens d’émancipation.

Quel acte symbolique permettrait de poser Beckett dans cet univers pour le moins insensé sinon absurde avec le recul du temps. Il fait un choix similaire à celui de H.G. Wells. Il pose sa candidature en 1934 pour entrer en apprenti dans l’école cinématographique de Sergei M. Eisenstein à Moscou, un réalisateur de génie pour sûr mais qui ne fait plus que des films de propagande staliniste à ce moment-là. C’est aussi l’année de la montée forte du fascisme en France. Samuel Beckett serait-il en train de  chercher refuge loin de cette horreur montante ? On sait ensuite qu’il s’engagera dans la Résistance pendant la Deuxième Guerre Mondiale et côtoiera les communistes français dans cette période.

On pourrait multiplier les exemples et on en reviendrait toujours au même point. Avant 1939-1945 le monde sombre dans une folie spéciale qui coupe la pensée en deux avec une zone floue entre les deux, zone floue des défenseurs des libertés fondamentales au-delà des idéologies et qui n’ont pas le courage de prendre partie pour ou contre l’un ou l’autre des deux camps en même temps que l’un comme l’autre des deux camps ne fait aucun effort, loin de là, pour s’allier avec ces défenseurs des libertés fondamentales. Si les communistes allemands avaient accepté une alliance avec les sociaux-démocrates allemands, et vice versa, si les sociaux démocrates allemands avaient accepté une alliance avec les communistes allemands, Hitler ne serait jamais monté au pouvoir. On me dira qu’on ne refait pas l’histoire, mais la France dans laquelle vit Samuel Beckett fait justement le choix qui n’a pas été possible en Allemagne et ainsi le fascisme est écarté en France et des gouvernements de Front Populaire vont se succéder même si c’est l’un d’eux, celui de Daladier, qui signe le pacte de Munich, même si c’est ce parlement qui démettra les députés communistes et plus tard investira Pétain et l’Etat Français.

On comprend alors le choix de Samuel Beckett en 1934 et puis ensuite celui pendant la période d’occupation.

Beckett, engagé jusqu’au cou dans la résistance est forcé de fuir après dénonciation et de prendre le maquis véritablement dans le sud de la France. Cet engagement est-il un engagement politique donc du côté de la force principale de cette Résistance, le parti communiste, ou n’est-ce qu’un engagement motivé par des raisons générales et éthiques et l’acceptation de travailler avec d’autres sans se poser de questions ? Ce n’est pas l’objet de cette recherche. Mais si on suit la classification d’après guerre du théâtre de Samuel Beckett dans la catégorie du théâtre de l’absurde on pose une continuité entre l’absurdité de cette période d’avant-guerre et de la guerre d’une part et le théâtre de Beckett d’autre part. On peut aussi voir que le retrait loin des références idéologiques directes dans son théâtre, ce qui permet de le voir comme absurde, est un moyen pour Beckett de jouer sur trois tableaux à la fois :

1-                            La période que nous venons de vivre est absurde (raison de plus si on ajoute les camps d’extermination des juifs, des tziganes, des communistes, des homosexuels, des russes et bien d’autres encore) et moi, Beckett j’en donne une métaphore parabolique ;
2-                            Par cette métaphore parabolique je ne prends pas part au débat politique et reste volontairement et résolument en dehors de la dichotomie du monde pendant la Guerre Froide ;
3-                            Par cette métaphore parabolique je permets tant au camp de gauche pacifiste et anti-guerre froide de justifier leur combat au nom de la raison (même si cela couvre les crimes de Staline et du goulag soviétique) qu’au camp de droite engagé bec et ongles dans la lutte pour l’arrêt de l’expansion communiste au nom des libertés fondamentales pour lesquelles la Deuxième Guerre Mondiale a eu lieu (même si cela couvre les crimes de la guerre de Corée et des guerres coloniales).



Les choses ont-elles vraiment changé après 1945 ?

Nous traitons ici de trois pièces de théâtre de Samuel Beckett qui forment un tout comme nous le démontrerons plus loin. D’abord En Attendant Godot (écrite en français en 1952, jouée en 1953 et traduite et jouée en anglais, Waiting For Godot, en 1955), puis Fin de Partie (écrite et jouée en français à Londres en 1957, traduite et publiée en anglais, Endgame, en 1958), et enfin Oh ! Les beaux jours (écrite et jouée en anglais, Happy Days, à New York en 1961, traduite et publiée en français en 1963). Deux remarques s’imposent : elles sont toutes trois contenues dans une période étroite 1952-1963. C’est la période la plus haute de la guerre froide qui culmine avec les missiles soviétiques à Cuba en octobre 1962. Elles ont été écrites dans la période la plus intense de cette guerre froide qui  va de 1948, le Coup de Prague à 1962-63, la crise de Cuba et l’assassinat de J.F. Kennedy. On notera qu’en France c’est la période où la guerre d’Indochine bat son plein jusqu’à la défaite de Dien Bien Phu et qui s’enchaîne aussitôt après sur la guerre d’Algérie qui finira par le retrait et l’indépendance. Cette période est dominée par une coupure du pays en deux camps idéologiques qui se veulent antagonistes mais en trois courants politiques dont le courant communiste qui est exclu du fonctionnement normal des institutions et du gouvernement depuis 1947, puis le courant socialiste et centriste de gauche (radicaux) qui refusent toute alliance à gauche et s’allie systématiquement avec le centre droit, et enfin le courant gaulliste et centre droit qui participe directement ou indirectement aux gouvernements de centre gauche et centre doit qui se succèdent. Le cas le plus notoire est celui de Jacques Chaban-Delmas, un des lieutenants directs de de Gaulle, qui sera ministre d’état de Guy Mollet en 1956-57 et ministre de la défense nationale et des forces armées de Félix Gaillard en 1957-58, qui enverra le contingent en Algérie et mettra en place les deux Centres d'Instruction à la Pacification et à la Contre-Guérilla (CIPCG) formant à la guerre psychologique, pour beaucoup un euphémisme pour les unités d’interrogatoire serré, en d’autres termes la torture, en Algérie avec à leur tête les généraux Salan et Bigeard qui feront le putsch du 13 mai 1958 à Alger qui ramènera de Gaulle au pouvoir sans élections préalables.

Plus absurde que moi tu meurs.

La deuxième remarque est celle de la langue. Samuel Beckett est bilingue et à ce titre fonctionne différemment dans les deux langues. Ce fait n’est pas pris en compte ni compris par la plupart des critiques de Beckett. Nous aurons tout loisir de montrer les différences entre les deux versions de ces trois pièces, des différences faibles pour la première, notoires pour la seconde et importantes pour la troisième. Ces différences ont une valeur qui a été négligée dans tout ce que j’ai pu lire sur Beckett, au moins minimisé. Je suis saussurien par principe et considère que la valeur vient de la différence et pas de la ressemblance car comparer les similarités n’est pas prouver, en fait ne prouve rien.

Mais il faut voir que la période qui suit la Deuxième Guerre Mondiale est une période qui produit des idéologies en continuation avec celles qui ont provoqué cette guerre. Mais plus encore que cela j’aimerais montrer l’immense changement en train de se faire sous les yeux des témoins mais qui ne deviendra évident qu’après la période concernée (après 1968) et qui aujourd’hui nous oblige à sortir du carcan de l’absurde et à considérer ce théâtre comme ayant un sens, si du moins nous voulons bien utiliser les outils normaux de l’analyse sémiologique et en particulier Kenneth Burke et son « pentad ». La référence à l’absurde devient absurde en elle-même.

L’idéologie qui est en continuité avec les années 1930-1945 et que je vais survoler rapidement est, outre bien sûr le communisme et le militarisme en particulier colonial, la dianétique et la scientologie. Je préfère et de loin prendre une idéologie de ce type plutôt qu’une philosophie dont les trente années d’après la Deuxième Guerre Mondiale ont été le nid, le creuset et même la couveuse, car la dianétique et la scientologie se sont dotées, à la différence de la philosophie existentialiste par exemple, dès le début d’un appareil matériel, l’Eglise de Scientologie, qui prétend être l’outil universel visant à gagner le contrôle du monde entier, de l’humanité pour imposer le changement que son fondateur Ronald Lafayette Hubbard considère comme l’ultime et inévitable phase de développement humain. On  notera la continuité par rapport aux idéologies communiste et nazie à la fois dans l’appareil de prise et de contrôle du pouvoir et dans l’objectif universaliste. Mais notons que cette ambition de vouloir conquérir l’humanité tout entière pour la changer est commune à de nombreux partis politiques et à pratiquement toutes les églises ou institutions religieuses, sauf celles qui prétendent n’être que pour un peuple élu.

Il n’est pas question de discuter en détail cette idéologie et une discussion beaucoup plus détaillée est disponible dans un fichier de notes de lecture et de débats sur la dianétique et quelques autres livre de Hubbard à l’adresse suivante : http://synopsispaie.academia.edu/JacquesCoulardeau, sous le titre : RONALD LAFAYETTE HUBBARD DIANETICS AND THE WORLD ATOTALITARIAN VISION.

L’idée principale est que les hommes n’ont qu’un seul principe vital et c’est l’instinct de survie. Rien d’autre n’existe pour Hubbard. Ainsi l’amour comme la sexualité sont réduits à la reproduction sexuée et donc à une vision hétérosexuelle pro-créationnelle. Toute autre forme de sexualité et toute autre forme de relation amoureuse est rejetée comme d’une façon ou d’une autre perverse, et en plus toute relation amoureuse, raison de plus sexuée, est proscrite pour les cadres et les étudiants de l’Eglise de Scientologie et des centres de formation. Le deuxième principe est que chaque homme a un psychisme qui peut être mesuré avec précision et positionné sur une échelle de quatre rangs. Toute personne en dessous de 2 est plus négative que positive et donc se met en péril tout en mettant la communauté tout entière en péril également. La survie de cet individu ou de cette communauté qui tolère ces individus est en jeu, c’est à dire menacée. On a là la continuité absolue de l’eugénisme de H.G. Wells et le principe d’élimination des individus concernés est en continuité absolue avec les pratiques des nazis en Allemagne et les pays occupés et des staliniens en URSS et ses pays satellites.  L’anticommunisme cependant de Hubbard est proche de l’hystérie à certains moments. Mais cette idéologie dianétique et scientologique, dans son extrémisme même, est typique de la période de Guerre Froide, et donc importante pour comprendre la vision de Samuel Beckett dans sa trilogie, particulièrement en France.



L’anticommunisme officiel en France tient aussi de l’hystérie particulièrement pendant les guerres coloniales qui s’étalent de 1947 à 1962 sans interruption. Samuel Beckett n’a pas pu ignorer – excusez du peu car un listing complet des faits de censure, de répression, des refus de compter les voix communistes pour les investitures de gouvernements au Parlement sont myriades, ou légions si vous préférez un discours plus biblique – les événements de Charonne le 8 février 1962 où 8 personnes, toutes communistes, trouvent la mort par répression d’une manifestation par les forces de l’ordre, tout comme il n’a pas pu ignorer le massacre d’Algériens, en particulier le 17 octobre 1961 ou entre 80 et 200 personnes trouvent la mort dans la Seine essentiellement, sous la direction du Préfet de police Papon.

A un autre niveau qui nous sera essentiel plus tard on assiste à une véritable campagne de criminalisation de tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’homosexualité avec l’amendement Mirguet voté par le Parlement le 18 juillet 1960 dont la discussion n’est pas sans échos encore aujourd’hui. Là encore on pourrait parler d’hystérie. Cependant le film de Jean Delannoy, Les Amitiés Particulières sortira en salle en 1964 et le film de Jacques Rivette la Religieuse d’après Denis Diderot (celui-ci concerne simplement la sexualité chez les hommes et femmes d’église), interdit en pré-censure en 1962, autorisé au tournage par la CNC en 1965, interdit aux moins de 18 ans par la CNC et finalement interdit le 31 mars 1966 par Yvon Bourges ministre de l’information de Georges Pompidou, un des tous derniers cas de censure en France, révèlent s’il en est besoin cette hystérie qui perdure au-delà de 1963. Le dernier film sortira finalement en juillet 1967 interdit au moins de 18 ans. Mais revenons au débat parlementaire sur l’amendement Mirguet. Voici le compte-rendu officiel.

Discussion du projet de loi n° 60-733 autorisant le Gouvernement à prendre par application de l'article 38 de la Constitution les mesures nécessaires pour lutter contre certains fléaux sociaux.
M. le président. M. Mirguet a déposé, à l'amendement n. 8 de la commission des affaires culturelles, un  sous-amendement n° 9 ainsi conçu:
« Après le quatrième alinéa du texte proposé par cet amendement, insérer le nouvel alinéa suivant:
« 4° Toutes mesures propres à lutter contre l'homosexualité. »
La parole est à M. Mirguet.
M. Paul Mirguet. Je pense qu'il est inutile d'insister longuement, car vous êtes tous conscients de la gravité de ce fléau qu'est l'homosexualité, fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants.
Au moment où notre civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution devient si vulnérable, nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige. Dans ce domaine, comme dans les autres, la France doit montrer l'exemple. C'est pourquoi je vous demande d'adopter mon sous-amendement. Le Parlement marquera ainsi une prise de conscience et sa volonté d'empêcher l'extension de ce fléau par des moyens plus efficaces, à mon sens, que la promulgation de textes répressifs.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? (Rires.)
Mme Marcelle Devaud, rapporteur. Je ne trouve pas que cela soit particulièrement drôle! Il y a là une situation que vous connaissez et que je connais aussi. (Nouveaux rires.) Oh ! messieurs, il est trop facile de rire d'un problème moral qui devrait vous préoccuper. Sachez que l'opinion a les yeux fixés sur le Parlement: il serait plus digne pour lui de ne point plaisanter trop facilement. Nous ne sommes pas ici chez les chansonniers. (Applaudissements.)
Soyez assurés que je ne suis nullement gênée de parler de ces choses puisqu'elles existent. Il est naturel qu'on en parle pour les combattre. [les mises en relief sont les miennes] [http://semgai.free.fr/contenu/archives/Assemblee_juillet_60/mirguet.html, accédé le 7 janvier 2013]

Voilà la tableau dans lequel Samuel Beckett écrit sa trilogie et si Fin de Partie est jouée en français à Londres avant Paris, c’est bien une façon de préparer sa sortie à Paris et d’éviter les pièges de la censure. Nous verrons pourquoi. La sortie de Happy Days en anglais à New York est aussi le moyen de détourner la censure française sur les mêmes éléments que Fin de Partie. On notera aussi que la version française qui suit est expurgée de certains éléments par trop explicites.

A l’époque on classa Samuel Beckett et quelques autres dans le dossier « théâtre de l’absurde » ce qui évitait de regarder les détails et de chercher un sens, puisqu’a priori il n’y en avait pas.  Les choses aujourd’hui ont sensiblement changé et je suis surpris que l’on continue encore de classer Samuel Beckett dans l’absurde sans le soumettre à une analyse sémiologique serrée. Je montrerai pourquoi il en est ainsi plus bas.

Ce qui fait que l’on doit aujourd’hui reconsidérer cette classification, c’est l’évolution phénoménale de la science et de la société qui a fait sauter les tabous hystériques de la Guerre Froide, du communisme au couteau entre les dents et surtout de la sexualité, plus précisément de l’homosexualité.

La science est parcourue par un progrès tellement exponentiel qu’aujourd’hui des penseurs comme Ray Kurzweil peuvent poser le concept de « singularité » qui explique que vers 2050 les machines seront plus intelligentes que les hommes et qu’elles prendront donc sinon le pouvoir du moins la préséance dans la gestion des affaires humaines. On a là une nouvelle forme d’hystérie, cette fois totalement positiviste et qui nous promet non une utopie mais une dystopie. Je ne discuterai pas sur le fond de cette idéologie qui a peu à voir avec la science. Disons simplement que le cerveau humain se développe au fur et à mesure que les incitations venues du monde le lui permettent ou l’exigent. C’est ce cerveau, ou plus exactement le cerveau de la couche la plus développée intellectuellement de la société qui produit des machines sans cesse plus puissantes et intelligentes. Sans entrer dans les arguments de ceux comme Jeff Hawkins qui considère que l’homme sera toujours plus intelligent que les machines qu’il inventera, disons simplement que les machines que l’homme invente permettent à l’homme, et en particulier aux jeunes hommes, donc les enfants y compris en bas âge aujourd’hui, de développer de nouvelles capacités intellectuelles. Dans cette évolution globale de l’humanité – qui ne dépend pas tant de mutations biologiques sélectionnées par la sélection naturelle que de la mise en activité et du développement des connexions des neurones cérébraux dont l’immense majorité est inemployée – la couche supérieure intellectuellement se développera de la même façon et en proportion. Ces capacités intellectuelles ne sont que partiellement génétiques et il serait une erreur de limiter l’accès aux machines intelligentes à une couche étroite de gens. Les tablettes sont faites aussi pour les bébés, malgré ce que les associations anti-progrès peuvent dire. La prudence est de rigueur, la peur ne l’est pas.

Ce développement scientifique a bouleversé le monde par la communication virtuelle, bientôt la nuagique généralisée, c'est-à-dire la réalité virtuelle pour tout un chacun. Les approches de l’histoire fondée sur la coupure du monde en deux, l’élimination de l’une ou l’autre des deux parties, quels que soient les critères retenus, sont aujourd’hui dépassées. Si on se contentait de maintenir Samuel Beckett dans l’absurde né de la Deuxième Guerre Mondiale et de la Guerre Froide en continuité sur l’entre deux guerres précédent, on pourrait l’enterrer. Or il n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui, comme nous allons le démontrer et ce serait ignorer le monde réel que d’en rester aux visions éculées des années 1950, même quand elles portent le nom de Camus qui lui aussi a besoin d’être réinterprété. Un exemple récent (date introuvable mais qu’on peut induire de la carrière de l’auteur comme étant de 2011) est « Camus and the Absurdity of Existence in Waiting for Godot » d’Angela Hotaling de la SUNY Oneonta (Oneonta, NY)

When one does not give in to Camus’ concept of philosophical suicide, or like in “Waiting for Godot” by Samuel Beckett, when the characters are struggling on the edge of philosophical suicide, an extreme upset to one’s existence arises. Without God, or Godot, life appears to be meaningless. When all science can do is “explain this world to me with an image,” (Sisyphus P. 454) truth seems so distant from “me,” the subject. In order to understand anything I have to “reduce it to the human.” (Sisyphus P. 452) Reducing what is “true” to the human distances one from the truth because of the limits to human understanding. To Camus, no clarity about this world can be reached. Does this mean that the world is absurd and thus, one is doomed to live an absurd and meaningless existence? Or, does it mean that one cannot understand the world and because of this, one suffers from the nostalgia of the desire to understand? Perhaps without this profound desire for clarity and meaning, nostalgia and an absurd existence [are] avoidable. But, is the desire itself avoidable? For Vlad[i]mir and Estragon the desire consumes them. Godot is the only explanation and even that isn’t sufficient because “he” has no reality. When it is impossible to explain the world without “reducing it to poetry,” (Sisyphus P. 454) life is either meaningless, or meaningful, but if this meaning is beyond one’s understanding, does that make it meaningless?
[http://organizations.oneonta.edu/philosc/papers09/hotaling.pdf, consulté le 7 janvier 2013. Quand quelqu’un n’accepte pas le concept de suicide philosophique de Camus, ou comme dans En attendant Godot de Samuel Beckett quand les personnages se battent au bord du suicide philosophique, une perturbation majeure se produit dans leur existence. Sans Dieu, ou Godot, la vie semble insensée. Quand tout ce que la science peut faire c’est de « m’expliquer le monde avec une image » (Le Mythe de Sisyphe, p. 454), la vérité semble si loin de « moi », le sujet. En vue de comprendre quoi que ce soit je dois « le réduire à de l’humain » (idem, p. 452). Réduire le vrai à de l’humain me distancie de la vérité du fait des limites de la compréhension humaine. Pour Camus on ne peut atteindre aucune clarté concernant le monde. Cela veut-il dire que le monde est absurde et qu’ainsi on est condamné à vivre une existence absurde et insensée ? Ou cela veut-il dire que l’on ne peut pas comprendre le monde et que de ce fait on souffre de la nostalgie du désir de comprendre ? Peut-être que sans ce profond désir de clarté et de sens la nostalgie et une existence absurde [sont] inévitables. Mais le désir lui-même est-il évitable ? Pour Vladimir et Estragon le désir les consume. Godot est la seule explication et même cela est insuffisant parce que « il » n’a aucune réalité. Quand il est impossible d’expliquer le monde sans « le réduire à de la poésie » (idem, p. 454) la vie est soit sensée soit insensée, mais si ce sens est au-delà de notre entendement, cela la rend-elle insensée ?]

Tout le texte de cet article suit l’a priori que le monde de Vladimir et Estragon est absurde, et pourtant la dernière phrase ci-dessus laisse entendre que peut-être il a un sens, mais l’enfermement dans le Mythe de Sisyphe de Camus fait que l’on tourne en rond et n’approche en rien un sens quelconque sinon à prétendre que Godot est dieu (God) et que sa non venue est une absence, une mort et que cette mort et absence de dieu signifie l’absence de sens, l’absurde. On voit alors l’a priori idéologique : Samuel Beckett exprime ici l’absurdité d’un monde qui a perdu ou à qui on a enlevé dieu.

Il semble qu’il faille dépasser cette lecture religieuse de la trilogie de Samuel Beckett pour trouver le sens de ces pièces en elles-mêmes et non en dehors.

Pour ce faire nous allons utiliser les concepts de Kenneth Burke de ce que j’appellerai un structuralisme sémiologique postmoderne.



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