Saturday, December 29, 2012

 

La migraine migratoire à fleur de peau européenne


CATHERINE CORSINI – RAPHAËL PERSONNAZ – TROIS MONDES

EUROPE SOCIALE ET MIGRATOIRE.

Voilà un film important, bien joué, bien ficelé, bien dirigé, bien beaucoup d’autres choses. Mais ce n’est pas là l’essentiel.

Il y a d’abord la stratification sociale intolérable en France mais inévitable à condition qu’elle permette un tant soit peu de mobilité sociale. Or en France elle ne permet que l’impunité pour ceux qui sont en haut et la promotion pour ceux qui n’ont pas l’estomac trop fragile pour accepter de faire l’horrible, l’ignoble, le dégueulasse en silence pour ne pas desservir et aussi pour servir ceux qui sont en haut de l’échelle. Avant de monter il faut savoir tenir l’échelle pour les autres et ces autres n’oublieront jamais un jour de vous rappeler que venez de la plèbe. Ça c’est la France. Il ne reste plus qu’à faire élire des gens représentants ces ceusses qui ont réussi à monter un échelon ou deux et alors on taxera le haut de l’échelle à 75%, et on aura même quelqu’un qui est monté un peu grâce au tennis ou au foot qui dira qu’il est prêt à payer 100% s’il le faut.

C’est une question essentielle dans le film. Le jeune homme socialement « arrivé », c'est-à-dire qui a réussi à monter quelques échelons et à voir la fille du patron lui être promise, avec deux autres complices (c’est le bon mot ici) qui n’ont pas encore monté en grade, renverse quelqu’un de nuit Avenue de Laumière à Paris, s’arrête et vérifie qu’il est mal en point, puis prend la fuite sur injonction des deux complices. Les complices lui colleront au dos pour s’assurer qu’il ne parle pas. Ils finiront par informer le patron qui a découvert les magouilles de son futur gendre pour trouver de l’argent vite fait et en liquide. Les complices deviendront alors ses diables gardiens sur ordre du futur beau-père.

Mais ce pauvre Alain, dit Al, n’en finit pas d’avoir du remord et de vouloir réparer et se faire pardonner par l’épouse de sa victime qui finit par mourir. Il sera repéré dans ses travaux d’approche par la seule femme qui a tout vu, Juliette, mais de trop loin et elle n’a pas pu donner un signalement suffisant, la marque de la voiture ou le numéro, et la police ne semble pas très diligente, on va juste voir pourquoi. Juliette servira d’intermédiaire mais aussi de lien et mènera sans le vouloir vers le coupable. Elle est enceinte de trois mois avec le professeur de philosophie de sa fac dont le cours sur la mort comme seule entreprise personnelle que l’on ne peut vraiment réussir que par soi-même est d’un morbide à faire gerber. Quand on vous le dit qu’il ne faut pas se prêter à des jeux épidermiques et sous-cutanés avec un prof quand on est son étudiant !

Et c’est là que le troisième monde intervient. La victime est moldave, marié à une Moldave et une famille moldave importante vit autour d’eux. Ils sont clandestins puisqu’ils ne sont pas dans la Communauté Européenne, surtout qu’ils n’ont pas nécessairement très bonne réputation. Le jeu alors et d’extorquer suffisamment d’argent pour ramener le corps en Moldavie et le faire enterrer avec dignité là bas. Et le pauvre Al sera confronté à l’injonction cette fois, s’il veut être pardonné, au moins symboliquement, de se dénoncer et d’accepter le châtiment qui va avec la mort d’un homme et le délit de fuite.

 Comment permettre à une personne prise dans ce tourbillon de trouver le mode expiatoire juste, étant entendu que le film semble approuver l’idée que quelqu’un qui tue par accident doit expier cette mort. Il n’y a pas de solution simple. Et c’est bien tout l’intérêt de cette exploration filmique. Les nantis, les grimpeurs sociaux et les clandestins sans papiers (européens et blancs) sont les trois côtés infernaux de la même pièce. La bombe européenne sans solution ni aisée ni facile. Un casse-tête européen qui n’a rien à envier aux célèbres casse-tête chinois.

La falaise sociale d’un côté et l’abîme migratoire de l’autre. Et entre les deux le fil du rasoir ou la corde du pendu qui vous évitera de tomber d’un côté ou de l’autre. « C’est ici qu’il faut de la finesse » (L’Apocalypse de Saint Jean, 13:17)

Dr Jacques COULARDEAU



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