Thursday, November 22, 2012

 

Une Médée presque de cauchemar people


EURIPIDE – MÉDÉE – LAURENT FRÉCHURET – THEATRE DE SARTROUVILLE

Une présentation et production inattendue, surprenante et pourtant très traditionnelle.

Les surprises sont de plusieurs ordres. D’abord l’accompagnement musical tout du long ou presque de la pièce qui en devient un drame en musique. La musique joue sur quelques instruments qui travaillent la plupart du temps en solo, sauf la batterie et les percussions qui peuvent accompagner les autres instruments ou travailler en solo. Ces instruments et leurs instrumentistes sont dans deux demi-fosses au milieu de la scène, séparées par un pont. Ces deux demi-fosses hébergent les musiciens mais aussi la plupart du temps celle qui joue le rôle du chœur et enfin les personnages en définitive plutôt secondaires qui n’interviennent que rarement, comme Créon ou le Précepteur. Notons que Créon et Egée sont tenus par le même acteur. Notons enfin que la « maison » de Médée est une structure en bois de deux étages dont on ne voit que le squelette et les escaliers qui montent de la scène au premier étage puis du prmeier au deuxième. Cette structure a de vaste rideaux qui serviront pour construire des contre-jours et des clair-obscurs. Enfin cette structure est en fond de scène au-delà des deux demi-fosses.

La deuxième surprise est l’âge des acteurs principaux. Médée devrait être âgée d’environ 25, au plus 28 ans. Elle a quitté la Colchide avant l’âge de se marier, est partie en Grèce et a donné naissance à deux enfants dont l’aîné devrait avoir environ 5 ou 6 ans. 25 ans est déjà très avancé pour tout cela. On peut jouer sur l’âge des enfants mais porter l’aîné à sept ans serait probablement excessif. Ainsi l’âge de Médée ne se justifie pas, pas plus d’ailleurs que celui de Jason qui devrait avoir le même âge. Le théâtre grec n’avait pas se problème puisqu’il jouait avec des masques ce qui permettait toutes les configurations d’âge et même de sexe. Aujourd’hui on veut un peu de vraisemblance.

La troisième surprise est la réduction du chœur à une seule femme. C’est un chœur de femmes, mais le réduire à une seule femme (je néglige les deux pou trois interventions marginales du guitariste) fait que cela devient une simple performance vocale et non plus une voix de la collectivité, de la société, de la morale, des dieux même. On peut d’ailleurs se demander à quel titre elle parle au nom des femmes en général. Qu’elle parle en femme, cela passe, mais  au nom des femmes en général cela semble excessif. La pratique du chœur dans le théâtre antique répond à des règles très strictes d’interprétation : d’interprétation-performance d’abord pour permettre ensuite la bonne interprétation-réception. On peut jouer sur le code mais cela fausse parfois le sens. Ici cela le fausse définitivement : le discours de ce chœur devient un commentaire moral, éthique, social ou politique alors qu’il devrait être la voix collective de la commiunauté. On perd le sens social de la pièce. On tombe dans un sens prétendument moral étriqué.

La quatrième surprise est l’absence d’enfants. Les scènes qui se centrent sur ces enfants sont fondamentales puiqu’ils sont l’enjeu, le vecteur et l’outil de la vengeance de Médée sur la fille de Créon, sur Créon et sur Jason. Leur présence donne toujours une dimension odieuse et donc horrifiante à l’instrumentalisation de ces enfants. Leur absence supprime cette dimension. Les discours sur les enfants en leur absence deviennent alors vides, creux, abstraits comme un jeu d’échecs, ce qu’il ne sauraient être. On oublie que Médée joue sur l’horreur des deux corps morts et de la terreur qui s’empare de Jason devant cette horreur quand il est confronté aux deux corps emportés par Médée.

La quatrième surprise est étrange dans le renversement des positionnements des acteurs, partculièrement à la fin. Médée ne saurait être en hauteur par rapport à la ville car elle est à l’extérieur des murs. Or la ville est un ensemble de blocs en bois minuscules et empilés au pied de la « maison » de Médée et Créon « réside » dans la demi-fosse de droite côté jardin. A la fin c’est Médée qui part sur un char tiré par des dragons offerts par le dieu soleil, or elle descend progressivement sur scène et dans la fosse, alors que Jason qui doit rester atterré, cloué au sol par l’horreur et la terreur monte dans la « maison » et se retrouve deux étages plus haut que Médée, au moins six mètres. Ce renversement des positionnements n’a pas de sens et il renverse de toute façon le sens qu’Euripide donne à cette fuite dans le ciel sur un char divin tiré par des dragons qui rappellent le dragon de la Colchide et de la Toison d’Or. Cette fuite dans ce char est la marque de la divinisation de Médée : une déesse vengeresse et sanguinaire mais une déesse de toute façon. Ce renversement des positionnements de Médée et Jason brouille le sens. D’une histoire mythique on passe à ce que le producteur appelle une fable. Ce n’est pas une fable.



La ciquième surprise est justement à ce niveau là. La pièce a été produite en 2010 très loin derrière les réévaluations du mythe de Médée et ces réévaluations ne sont pas intégrées. La Colchide était, et est toujours sous son nom de Géorgie, un pays de langue turkique, donc elle faisait partie du premier peuplement de l’Europe par les populations turkiques venues d’Anatolie environ et au moins 45 000 ans avant JC. Or notre ADN européen est à 80% issu de cette ancienne population, et seulement à 20% issu de la population indo-européenne qui arrive en Europe environ 40,000-35,000 ans plus tard. Les grecs sont une vague de cette immigration tardive qui pourtant va l’emporter culturellement et économiquement. Quand une minorité colonise un pays elle s’arrange à intégrer dans sa mythologie, philosophie, religion ou culture des éléments prégnants de la culture des premiers occupants mais en détournant le sens vers une certaine diabolisaiton. Ainsi Médée est divinisée par sa référence à la déesse triple sous son identité de Hécate. La déesse triple est récupérée entièrement par les Grecs avec Diane la déesse du jour et de la vie, Séléné la déesse de la nuit et de la lune et Hécate justement la déesse du monde souterrain et des morts. En même temps Médée est « diabolisée » par une lourde référence à la Colchide comme un « pays de sauvages » dont les palais sont des « palais barbares ».

La sixième surprise est le langage. La traduction nouvelle est en langue française courante, normale pour l’essentiel, une langue de tous les jours loin de la langue emberlificotée de la plupart des traductions du grec qui veulent être littérales et fidèles et qui sont incompréhensibles. Mais cette langue naturelle est coulée dans une diction systématiquement montante et donc irréelle. On ne nous parle pas comme on nous parlerait tous les jours, mais on nous parle comme jamais personne ne parle. Cette diction suspendue, retenue en l’air renforce les effets d’irréel et d’abstaction que j’ai déjà signalés. De plus en plus on nous tient un discours qui est irréel, virtuellement irréel.

Que reste-t-il du drame mythologique de la confrontation de deux cultures antagonistes dont la minoritaire est en train d’avaler la majoritaire ? Que reste-t-il de l’invasion de l’Europe par la transformation économique et politique du Néolithique : l’agriculture, l’élevage, l’organisation de la cité par délégation du pouvoir de la population vers une élite élue parfois (par les hommes libres soit au plus 10 ou 15% de la population), désignée le plus souvent par des victoires guerrières et une filiation devenant héréditaire, sans parler des groupes de pression forts que sont les religions (les temples, les dieux, les prêtres, les prêtresses, et tous les autres) et de plus en plus les philosophes qui englobent les savants qui sont tous ou presque centrés sur le ciel et les astres, l’astronomie, l’astrologie, et avant toute chose la géométrie pour déterminer les limites des propriétés rurales privées. La géométrie est la preuve de l’invention de la propriété privée de la terre. Tout cela est l’enjeu de cette pièce d’Euripide et tout cela s’efface dans cette production. Qiue reste-t-il alors ?

Il reste un drame de société, initialement un drame personnel transformé en drame de société par la dimension criminelle de l’un des participants à ce drame, ici Médée, la femme. Il est sûr que la répudiation d’une femme, la résiliation des serments du mariage sont graves quand ils sont le résultat de la seule décision du mari. Mais le divorce n’était pas une option en ce tmeps-là, et cela est dit d’ailleurs. Aujourd’hui le moins qu’on puisse dire c’est que Médée sur-réagit à la situation car nous en sommes au temps du divorce, de la séparation à l’amiable ou pas. Si toutes les mères confrontées à un divorce qu’elles ne souhaitent pas devaient tuer leurs enfants pour punir leurs ex-maris, la terre serait littéralement dépeuplée et transformée en un charnier. On ne peut plus comprendre le drame de cette femme et de cette pièce car on a réduit le tout à un fait divers sordide et en plus  nettoyé de toute illustration visuelle de cette sorditude.

Le spectacle sst intéressant par la musique et les jeux sur l’ombre, le clair-obscur et le contre-jour, mais le théâtre n’est pas qu’un jeu de lumières ou de sons mais un sens sémantique et sémiotique. Si on met en scène un drame de l’antiquité grecque on attend que l’on nous révèle les secrets de ce drame dans cette antiquité tout en les ramenant au présent pour que le public en juge aujourd’hui mais dans la perspective historique qui s’impose. On se demande si cette Médée n’est pas plus une page Facebook de quelque feuille de chou people qu’une exploration d’une mythique fondatrice de notre civilisation.

Dr Jacques COULARDEAU

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