EURIPIDE – MÉDÉE – LAURENT FRÉCHURET – THEATRE DE SARTROUVILLE
Une présentation et
production inattendue, surprenante et pourtant très traditionnelle.
Les surprises sont de
plusieurs ordres. D’abord l’accompagnement musical tout du long ou presque de
la pièce qui en devient un drame en musique. La musique joue sur quelques
instruments qui travaillent la plupart du temps en solo, sauf la batterie et
les percussions qui peuvent accompagner les autres instruments ou travailler en
solo. Ces instruments et leurs instrumentistes sont dans deux demi-fosses au
milieu de la scène, séparées par un pont. Ces deux demi-fosses hébergent les
musiciens mais aussi la plupart du temps celle qui joue le rôle du chœur et
enfin les personnages en définitive plutôt secondaires qui n’interviennent que
rarement, comme Créon ou le Précepteur. Notons que Créon et Egée sont tenus par
le même acteur. Notons enfin que la « maison » de Médée est une structure
en bois de deux étages dont on ne voit que le squelette et les escaliers qui
montent de la scène au premier étage puis du prmeier au deuxième. Cette
structure a de vaste rideaux qui serviront pour construire des contre-jours et
des clair-obscurs. Enfin cette structure est en fond de scène au-delà des deux
demi-fosses.
La deuxième surprise est
l’âge des acteurs principaux. Médée devrait être âgée d’environ 25, au plus 28
ans. Elle a quitté la Colchide avant l’âge de se marier, est partie en Grèce et
a donné naissance à deux enfants dont l’aîné devrait avoir environ 5 ou 6 ans.
25 ans est déjà très avancé pour tout cela. On peut jouer sur l’âge des enfants
mais porter l’aîné à sept ans serait probablement excessif. Ainsi l’âge de
Médée ne se justifie pas, pas plus d’ailleurs que celui de Jason qui devrait
avoir le même âge. Le théâtre grec n’avait pas se problème puisqu’il jouait
avec des masques ce qui permettait toutes les configurations d’âge et même de
sexe. Aujourd’hui on veut un peu de vraisemblance.
La troisième surprise
est la réduction du chœur à une seule femme. C’est un chœur de femmes, mais le
réduire à une seule femme (je néglige les deux pou trois interventions
marginales du guitariste) fait que cela devient une simple performance vocale et
non plus une voix de la collectivité, de la société, de la morale, des dieux
même. On peut d’ailleurs se demander à quel titre elle parle au nom des femmes
en général. Qu’elle parle en femme, cela passe, mais au nom des femmes en général cela semble excessif.
La pratique du chœur dans le théâtre antique répond à des règles très strictes
d’interprétation : d’interprétation-performance d’abord pour permettre
ensuite la bonne interprétation-réception. On peut jouer sur le code mais cela
fausse parfois le sens. Ici cela le fausse définitivement : le discours de
ce chœur devient un commentaire moral, éthique, social ou politique alors qu’il
devrait être la voix collective de la commiunauté. On perd le sens social de la
pièce. On tombe dans un sens prétendument moral étriqué.
La quatrième surprise
est l’absence d’enfants. Les scènes qui se centrent sur ces enfants sont fondamentales
puiqu’ils sont l’enjeu, le vecteur et l’outil de la vengeance de Médée sur la
fille de Créon, sur Créon et sur Jason. Leur présence donne toujours une
dimension odieuse et donc horrifiante à l’instrumentalisation de ces enfants.
Leur absence supprime cette dimension. Les discours sur les enfants en leur
absence deviennent alors vides, creux, abstraits comme un jeu d’échecs, ce
qu’il ne sauraient être. On oublie que Médée joue sur l’horreur des deux corps
morts et de la terreur qui s’empare de Jason devant cette horreur quand il est
confronté aux deux corps emportés par Médée.
La quatrième surprise
est étrange dans le renversement des positionnements des acteurs,
partculièrement à la fin. Médée ne saurait être en hauteur par rapport à la
ville car elle est à l’extérieur des murs. Or la ville est un ensemble de blocs
en bois minuscules et empilés au pied de la « maison » de Médée et Créon
« réside » dans la demi-fosse de droite côté jardin. A la fin c’est
Médée qui part sur un char tiré par des dragons offerts par le dieu soleil, or
elle descend progressivement sur scène et dans la fosse, alors que Jason qui
doit rester atterré, cloué au sol par l’horreur et la terreur monte dans la
« maison » et se retrouve deux étages plus haut que Médée, au moins
six mètres. Ce renversement des positionnements n’a pas de sens et il renverse
de toute façon le sens qu’Euripide donne à cette fuite dans le ciel sur un char
divin tiré par des dragons qui rappellent le dragon de la Colchide et de la
Toison d’Or. Cette fuite dans ce char est la marque de la divinisation de
Médée : une déesse vengeresse et sanguinaire mais une déesse de toute
façon. Ce renversement des positionnements de Médée et Jason brouille le sens.
D’une histoire mythique on passe à ce que le producteur appelle une fable. Ce
n’est pas une fable.
La ciquième surprise est
justement à ce niveau là. La pièce a été produite en 2010 très loin derrière
les réévaluations du mythe de Médée et ces réévaluations ne sont pas intégrées.
La Colchide était, et est toujours sous son nom de Géorgie, un pays de langue
turkique, donc elle faisait partie du premier peuplement de l’Europe par les
populations turkiques venues d’Anatolie environ et au moins 45 000 ans avant JC.
Or notre ADN européen est à 80% issu de cette ancienne population, et seulement
à 20% issu de la population indo-européenne qui arrive en Europe environ 40,000-35,000
ans plus tard. Les grecs sont une vague de cette immigration tardive qui
pourtant va l’emporter culturellement et économiquement. Quand une minorité
colonise un pays elle s’arrange à intégrer dans sa mythologie, philosophie,
religion ou culture des éléments prégnants de la culture des premiers occupants
mais en détournant le sens vers une certaine diabolisaiton. Ainsi Médée est divinisée
par sa référence à la déesse triple sous son identité de Hécate. La déesse
triple est récupérée entièrement par les Grecs avec Diane la déesse du jour et
de la vie, Séléné la déesse de la nuit et de la lune et Hécate justement la
déesse du monde souterrain et des morts. En même temps Médée est
« diabolisée » par une lourde référence à la Colchide comme un
« pays de sauvages » dont les palais sont des « palais
barbares ».
La sixième surprise est
le langage. La traduction nouvelle est en langue française courante, normale
pour l’essentiel, une langue de tous les jours loin de la langue emberlificotée
de la plupart des traductions du grec qui veulent être littérales et fidèles et
qui sont incompréhensibles. Mais cette langue naturelle est coulée dans une
diction systématiquement montante et donc irréelle. On ne nous parle pas comme
on nous parlerait tous les jours, mais on nous parle comme jamais personne ne
parle. Cette diction suspendue, retenue en l’air renforce les effets d’irréel
et d’abstaction que j’ai déjà signalés. De plus en plus on nous tient un
discours qui est irréel, virtuellement irréel.
Que reste-t-il du drame
mythologique de la confrontation de deux cultures antagonistes dont la
minoritaire est en train d’avaler la majoritaire ? Que reste-t-il de
l’invasion de l’Europe par la transformation économique et politique du
Néolithique : l’agriculture, l’élevage, l’organisation de la cité par
délégation du pouvoir de la population vers une élite élue parfois (par les
hommes libres soit au plus 10 ou 15% de la population), désignée le plus
souvent par des victoires guerrières et une filiation devenant héréditaire,
sans parler des groupes de pression forts que sont les religions (les temples,
les dieux, les prêtres, les prêtresses, et tous les autres) et de plus en plus
les philosophes qui englobent les savants qui sont tous ou presque centrés sur
le ciel et les astres, l’astronomie, l’astrologie, et avant toute chose la
géométrie pour déterminer les limites des propriétés rurales privées. La
géométrie est la preuve de l’invention de la propriété privée de la terre. Tout
cela est l’enjeu de cette pièce d’Euripide et tout cela s’efface dans cette
production. Qiue reste-t-il alors ?
Il reste un drame de
société, initialement un drame personnel transformé en drame de société par la
dimension criminelle de l’un des participants à ce drame, ici Médée, la femme. Il
est sûr que la répudiation d’une femme, la résiliation des serments du mariage
sont graves quand ils sont le résultat de la seule décision du mari. Mais le
divorce n’était pas une option en ce tmeps-là, et cela est dit d’ailleurs.
Aujourd’hui le moins qu’on puisse dire c’est que Médée sur-réagit à la
situation car nous en sommes au temps du divorce, de la séparation à l’amiable
ou pas. Si toutes les mères confrontées à un divorce qu’elles ne souhaitent pas
devaient tuer leurs enfants pour punir leurs ex-maris, la terre serait
littéralement dépeuplée et transformée en un charnier. On ne peut plus
comprendre le drame de cette femme et de cette pièce car on a réduit le tout à
un fait divers sordide et en plus
nettoyé de toute illustration visuelle de cette sorditude.
Le spectacle sst
intéressant par la musique et les jeux sur l’ombre, le clair-obscur et le
contre-jour, mais le théâtre n’est pas qu’un jeu de lumières ou de sons mais un
sens sémantique et sémiotique. Si on met en scène un drame de l’antiquité
grecque on attend que l’on nous révèle les secrets de ce drame dans cette
antiquité tout en les ramenant au présent pour que le public en juge
aujourd’hui mais dans la perspective historique qui s’impose. On se demande si
cette Médée n’est pas plus une page Facebook de quelque feuille de chou people
qu’une exploration d’une mythique fondatrice de notre civilisation.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:15 PM