Sunday, May 14, 2017

 

Entrez en rosaire et réveillez vos âmes



BLANCHE SELVA – AMANDA FAVIER – JACQUELINE LAURIN –LAURENT MARTIN – CHANTS DE LUMIÈRE - 2013

Voici un disque qui est le bienvenu dans une collection qui l’est tout autant, une collection sur des compositrices et ici Blanche Selva. Il s’agit bien d’un disque dédié à la lumière que Blanche Selva chante sous toutes les approches possibles.

Il y a bien d’abord et avant tout quatre « Cants de Llum », pièces instrumentales pour piano et violon. Ce qui frappe le plus dans ces quatre pièces c’est que le piano et le violon ne fonctionnent pas en êtres dialoguant leurs propres fables qu’ils échangeraient mais bien plus en aventures et recherches contradictoires et complémentaires, qui parfois se font écho, qui parfois vont au même rythme et parfois simplement se moquent un peu de l’un et de l’autre selon leur humeur et qui vont aux pas qu’ils veulent. Le piano cependant, et il doit cela à la compositrice qui lui donne des successions de notes bien séparées, bien définies et qui sont comme une rythmique au cordeau ou à la baquette et le violon fait ce qu’il entend, ce qu’il veut, ce qu’il se laisse aller à faire. On a alors une sorte de dialogue de sourds qui pourtant se parlent mais des langues étrangères l’une à l’autre que pourtant chacun comprend parfaitement. La rythmique bien mesurée par exemple contre les notes allongées, mélancoliques parfois, violentes d’autres fois, mais toujours harmonieusement mélodieuses.


Il y a dans ces pièces instrumentales comme un fond de tableau et une saynète qui se déroule sur ce fond, une saynète parfois qui prend une ampleur qui remplit le cadre. « L’embarquement pour Cythère » mesure après mesure. Watteau rencontre Fragonard dans toute leurs beautés, saynètes enchâssées dans paysage à structure rythmée.


Cette œuvre instrumentale est admirable du fait même de cette profondeur créée par les deux instruments qui travaillent sans cesse an arrière-plan porteur et enchâssant et avant-plan historié et comme envoûtant de la légende ou le récit qu’il a à faire. Piano structurant portant le violon ondoyant comme un fleuve ou une rivière aux berges du clavier. Et la quatrième pièce, la bien nommée « Humoresca » si cela veut dire en catalan ce que je veux y comprendre. Les deux instruments se prennent à partie l’un l’autre et se moquent de l’un et de l’autre avec des mimiques du piano sur le violon et du violon sur le piano. Cela devient presque un duel sans pitié. Pour chercher un point d’entente ou un moment de concorde ? Oh que non, simplement une fin en évanouissement, disparition, vaporisation sonore ou plutôt silencieuse.


A ces quatre duos piano-violon s’ajoutent trois solos piano. Le piano évoque des cloches que l’on ne peut guère dire entendre au clavier. Mais le piano est plus là pour construire une impression, une atmosphère, d’abord de cloches que l’on entend de loin dans une montagne forestière et embrumée, l’Ardèche, s’il vous plait. Le piano devient alors comme léger, envahi de la nuit de cette brume et pourtant ces cloches, ce piano ont un message à transmettre mais rien n’y fait. Quand on est emmuré dans la montagne et la forêt de châtaigniers ardéchoises on ne peut guère, la brume en plus que résonner cotonneux. Par contre les cloches d’Italie au soleil sonnent comme un vrai carillon qui n’en finit pas de conquérir et dominer l’air et les cieux et en plus se permettent d’avoir plusieurs lignes, au moins deux, de mélodie, carillon oblige. Ces cloches définitivement résonnent comme les carillons de Lille ou Douai. Mais l’Italie doit en avoir quelques-uns aussi de la même qualité.


Le dernier morceau piano solo est un paysage à la Fragonard, ou est-ce Watteau, au soleil couchant. Lent, retenu, sourd, amenui même, comme non une berceuse mais un chant nocturne qui clôt le jour et nous emmène dans le royaume des rêves, bien au-delà de quelque réalité que ce soit. Dormez oiseaux et autres écureuils, la nuit va vous renforcer la vie pour vous permettre de reprendre force demain matin. C’est l’heure du repos pour la nature et l’homme et tout doit prendre ce rythme ralenti et assourdi, comme si nos oreilles progressivement perdaient de leur acuité.


Mais ensuite nous avons les pièces chantées.

Je regretterai tout d’abord que les poètes ne soient pas présentés comme ils le devraient. Poètes catalans en catalan, cette langue cousine de l’occitan et nièce de l’espagnol. Le chant est fluide comme une rivière de petite montagne et cette voix essaie de nous fasciner, de nous mesmériser, carrément de nous hypnotiser dans une sorte de bulle musicale colorée et paisible. Les paroles sont soit des tableaux de nature qui essaient de nous mettre en scène dans une campagne calmée et comme vivant de l’intérieur dans un été plutôt sans histoire. L’autre thème est religieux, chrétien, et est contemplatif j’allais dire en diable, mais cela aurait été un peu parjure. Contemplation qui cherche l’élévation que la voix doit exprimer et que le piano ponctue de marches-pieds qui se veulent solides et réguliers. Le ciel est la destination et dieu seul sait si ce n’est pas facile de s’arracher à la lourdeur terreuse de ce sol auquel nous sommes englués.


La cinquième plage « Grill », le grillon, est très attirante. Le chant monte des trilles de grillon tandis que le piano martèle le rythme binaire de ce chant. Ce n’est certainement pas une cigale. Mais un grillon qui n’essaie pas de faire le virtuose mais qui est lourdement chargé comme de l’obligation de nous indiquer la bonne voie à suivre, notre conscience comme nous le savons tous. Cette conscience que nous entendons avec tant de plaisir dans la cheminée quand nous y allumons un feu, un plaisir de plus en plus rare il est vrai en ces temps de changement climatique.


Le mois de Marie, « Mes de Maria » est un peu étrange comme de tristesse alors que ce devrait être la joie et le bonheur d’être mère qui pourrait dominer, et c’est beaucoup plus la douleur de cette Marie au pied de la croix et devant le corps de son fils descendu de la croix, avec cependant une douleur qui se transmue en confiance dans l’issue de cette mort salvatrice. Marie sait, Marie croit, Marie ne doute en rien que sa douleur ne peut apporter que le bonheur ou du moins l’option d’un bonheur gagné par la confession, le repentir et la contrition. J’ai l’impression ici qu’on atteint cet équilibre entre la foi et la souffrance que Bach exprimait si souvent et si fort dans tant et tant de cantates ou dans ses passions. Avec cependant une dimension contemplative plus bénédictine, comme cette Vierge Noire coiffée à l’andalouse ou la catalane dans le chœur de l’Abbatiale de La Chaise Dieu. Allez communier avec elle. Seul à seule, avec votre fardeau et avec son espoir.


Les plages 9 à 12 sont dédiés à cette ferveur profonde de l’espoir chrétien que le salut peut être atteint y compris sur terre à condition de communier avec la beauté de la foi. C’est serein et pourtant triste car c’est la reconnaissance que le salut ne peut vraiment venir que dans un autre monde car la vie ne peut mener au bonheur que dans sa dimension mortelle sinon morbide. Je dois dire que le « Sonet de l’Anima immortal » a cette dimension poignante de l’immortalité qui ne peut être atteinte que dans la foi qui nous porte au-delà de la mort. L’âme seule est immortelle parce que nos corps sont mortels. C’est beau comme une éclipse de soleil ou une aurore boréale. Et le piano donne les instructions claires et même un peu nettes pour avancer dans cette voie qui doit nous laisser sans voix car seule la voix du seigneur nous guide en chemin. Laissez-vous porter par le piano.


Imaginez alors ce que la Chandeleur peut devenir quand elle pleure, en catalan comme en français « la Candelora plora ». Et pourtant c’est la promesse d’une renaissance du printemps, d’une renaissance de notre être emporté vers l’immortalité par notre âme immortelle. Il y a dans cette douleur poignante comme une teinte de joie car après l’hiver revient toujours le printemps, après la mort triomphe toujours l’immortalité. Cela est peut-être un peu naïf mais c’est très en accord avec la littérature et la poésie chrétienne du Moyen Âge quand les compositeurs, la grande compositrice Hildegarde von Bingen se’ laissent aller au feu de la foi et à la ferveur de l’attente promise car la foi ne nous promet que de satisfaire cette attente pour laquelle attendre est la chair même, la fibre incontournable de cette foi. On perdrait tout en voulant accélérer l’attente et la raccourcir de quelques années. Et le piano dans « Purissima » égrène les minutes, les heures, les jours de cette attente patiente et inspiratrice à qui sait regarder dans son cœur et dans son être pour y trouver cette âme immortelle qui saura alors nous accompagner. Suivez Laurent Martin qui comme un piano Saint Martin nous guide dans le pèlerinage que notre vie doit être.


Nous pouvons alors nous concentrer sur les Rois mages de la plage douze, la bien comptée puisque douze est le nombre sacré des évangiles et des apôtres au cœur desquels les évangélistes apportent la vérité divine qui doit être la myrrhe de nos promesses, l’or de nos certitudes et l’encens de notre patience confiante. Si vous suivez l’étoile de cette foi vous arriverez au port de Bethlehem et de la seconde venue et votre renaissance. Et gardez en mémoire qu’il vous faut atteindre l’une des douze portes de la Jérusalem messianique pour avoir enfin accès aux arbres de vie et à la rivière vitale de cette cité divine et divinement éternelle.


La dernière pièce chantée est en français. La musique a la même contemplativité et le même recueillement avec peut-être un peu plus d’hésitation, un peu moins de certitude car le rosaire est un de ces actes de foi que l’on ne commet que quand on sait que cela permet d’alléger le fardeau et de purger quelques-unes de nos peines vitales. Et comme dans tous les rosaires les perles du chapelet n’en finissent pas de passer entre nos doigts. Pensez-donc à toute la vie de Jésus et toute la foi chrétienne investies dans un rosaire. « Je suis une brebis », « Résurrection », « Ascension », « Pentecôte », « Assomption », et « Couronnement de la Sainte Vierge ». Et ce refrain « Je vous salue Marie » peut scander ce rosaire en six strophes, les six étapes de la sagesse Salomonique, de l’étoile de David, la lignée de Jésus, mais ce refrain ne revient que cinq fois, un pentacle qui ne saurait être diabolique mais qui est le déséquilibre de la mort, de la crucifixion, du départ de ce Jésus d’entre nous qui ne peut revenir que par notre rosaire et l’intercession de cette Marie, mère de Dieu.


On atteint avec ce rosaire les accents les plus intériorisés de la douleur à la fois existentielle et spirituelle de Hildegarde von Bingen. Certains diront que cela n’est que du mysticisme facile, mais je finirai avec les derniers vers de la dernière strophe avant le dernier refrain :

« Par la Vierge dont penche le front qui est ceint
Des roses des désirs que son amour atteint. »

Et c’est justement dans cette fleur à la beauté éternelle, cette rose qui est la lumière spirituelle de la nature que nous pouvons trouver l’amour de Jésus, l’amour de la Vierge pour son fils et pour nous, et simplement nos désirs de mériter cet amour et d’être élu pour l’au-delà éternel. « Je vous salue Marie. »


Dr. Jacques COULARDEAU



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