BLANCHE SELVA – AMANDA FAVIER – JACQUELINE LAURIN –LAURENT MARTIN – CHANTS
DE LUMIÈRE - 2013
Voici un disque
qui est le bienvenu dans une collection qui l’est tout autant, une collection
sur des compositrices et ici Blanche Selva. Il s’agit bien d’un disque
dédié à la lumière que Blanche Selva chante sous toutes les approches
possibles.
Il y a bien d’abord
et avant tout quatre « Cants de Llum », pièces instrumentales pour
piano et violon. Ce qui frappe le plus dans ces quatre pièces c’est que le
piano et le violon ne fonctionnent pas en êtres dialoguant leurs propres fables
qu’ils échangeraient mais bien plus en aventures et recherches contradictoires
et complémentaires, qui parfois se font écho, qui parfois vont au même
rythme et parfois simplement se moquent un peu de l’un et de l’autre selon leur
humeur et qui vont aux pas qu’ils veulent. Le piano cependant, et il doit cela
à la compositrice qui lui donne des successions de notes bien séparées, bien
définies et qui sont comme une rythmique au cordeau ou à la baquette et le
violon fait ce qu’il entend, ce qu’il veut, ce qu’il se laisse aller à faire.
On a alors une sorte de dialogue de sourds qui pourtant se parlent mais des
langues étrangères l’une à l’autre que pourtant chacun comprend parfaitement.
La rythmique bien mesurée par exemple contre les notes allongées, mélancoliques
parfois, violentes d’autres fois, mais toujours harmonieusement mélodieuses.
Il y a dans ces
pièces instrumentales comme un fond de tableau et une saynète qui se déroule
sur ce fond, une saynète parfois qui prend une ampleur qui remplit le cadre. « L’embarquement
pour Cythère » mesure après mesure. Watteau rencontre Fragonard dans toute
leurs beautés, saynètes enchâssées dans paysage à structure rythmée.
Cette œuvre instrumentale
est admirable du fait même de cette profondeur créée par les deux instruments
qui travaillent sans cesse an arrière-plan porteur et enchâssant et avant-plan
historié et comme envoûtant de la légende ou le récit qu’il a à faire. Piano
structurant portant le violon ondoyant comme un fleuve ou une rivière aux
berges du clavier. Et la quatrième pièce, la bien nommée « Humoresca »
si cela veut dire en catalan ce que je veux y comprendre. Les deux instruments
se prennent à partie l’un l’autre et se moquent de l’un et de l’autre avec des
mimiques du piano sur le violon et du violon sur le piano. Cela devient presque
un duel sans pitié. Pour chercher un point d’entente ou un moment de concorde ?
Oh que non, simplement une fin en évanouissement, disparition, vaporisation
sonore ou plutôt silencieuse.
A ces quatre duos
piano-violon s’ajoutent trois solos piano. Le piano évoque des cloches que l’on
ne peut guère dire entendre au clavier. Mais le piano est plus là pour
construire une impression, une atmosphère, d’abord de cloches que l’on entend
de loin dans une montagne forestière et embrumée, l’Ardèche, s’il vous plait. Le
piano devient alors comme léger, envahi de la nuit de cette brume et pourtant
ces cloches, ce piano ont un message à transmettre mais rien n’y fait. Quand on
est emmuré dans la montagne et la forêt de châtaigniers ardéchoises on ne peut
guère, la brume en plus que résonner cotonneux. Par contre les cloches d’Italie
au soleil sonnent comme un vrai carillon qui n’en finit pas de conquérir et
dominer l’air et les cieux et en plus se permettent d’avoir plusieurs lignes,
au moins deux, de mélodie, carillon oblige. Ces cloches définitivement
résonnent comme les carillons de Lille ou Douai. Mais l’Italie doit en avoir quelques-uns
aussi de la même qualité.
Le dernier morceau
piano solo est un paysage à la Fragonard, ou est-ce Watteau, au soleil couchant.
Lent, retenu, sourd, amenui même, comme non une berceuse mais un chant nocturne
qui clôt le jour et nous emmène dans le royaume des rêves, bien au-delà de
quelque réalité que ce soit. Dormez oiseaux et autres écureuils, la nuit va
vous renforcer la vie pour vous permettre de reprendre force demain matin. C’est
l’heure du repos pour la nature et l’homme et tout doit prendre ce rythme
ralenti et assourdi, comme si nos oreilles progressivement perdaient de leur acuité.
Mais ensuite nous
avons les pièces chantées.
Je regretterai
tout d’abord que les poètes ne soient pas présentés comme ils le devraient. Poètes
catalans en catalan, cette langue cousine de l’occitan et nièce de l’espagnol.
Le chant est fluide comme une rivière de petite montagne et cette voix essaie
de nous fasciner, de nous mesmériser, carrément de nous hypnotiser dans une
sorte de bulle musicale colorée et paisible. Les paroles sont soit des tableaux
de nature qui essaient de nous mettre en scène dans une campagne calmée et
comme vivant de l’intérieur dans un été plutôt sans histoire. L’autre thème est
religieux, chrétien, et est contemplatif j’allais dire en diable, mais cela
aurait été un peu parjure. Contemplation qui cherche l’élévation que la voix doit
exprimer et que le piano ponctue de marches-pieds qui se veulent solides et
réguliers. Le ciel est la destination et dieu seul sait si ce n’est pas facile
de s’arracher à la lourdeur terreuse de ce sol auquel nous sommes englués.
La cinquième
plage « Grill », le grillon, est très attirante. Le chant monte des trilles
de grillon tandis que le piano martèle le rythme binaire de ce chant. Ce n’est
certainement pas une cigale. Mais un grillon qui n’essaie pas de faire le
virtuose mais qui est lourdement chargé comme de l’obligation de nous indiquer
la bonne voie à suivre, notre conscience comme nous le savons tous. Cette
conscience que nous entendons avec tant de plaisir dans la cheminée quand nous
y allumons un feu, un plaisir de plus en plus rare il est vrai en ces temps de
changement climatique.
Le mois de Marie,
« Mes de Maria » est un peu étrange comme de tristesse alors que ce
devrait être la joie et le bonheur d’être mère qui pourrait dominer, et c’est
beaucoup plus la douleur de cette Marie au pied de la croix et devant le corps
de son fils descendu de la croix, avec cependant une douleur qui se transmue en
confiance dans l’issue de cette mort salvatrice. Marie sait, Marie croit, Marie
ne doute en rien que sa douleur ne peut apporter que le bonheur ou du moins l’option
d’un bonheur gagné par la confession, le repentir et la contrition. J’ai l’impression
ici qu’on atteint cet équilibre entre la foi et la souffrance que Bach
exprimait si souvent et si fort dans tant et tant de cantates ou dans ses passions.
Avec cependant une dimension contemplative plus bénédictine, comme cette Vierge
Noire coiffée à l’andalouse ou la catalane dans le chœur de l’Abbatiale de La
Chaise Dieu. Allez communier avec elle. Seul à seule, avec votre fardeau et
avec son espoir.
Les plages 9 à 12
sont dédiés à cette ferveur profonde de l’espoir chrétien que le salut peut
être atteint y compris sur terre à condition de communier avec la beauté de la
foi. C’est serein et pourtant triste car c’est la reconnaissance que le salut
ne peut vraiment venir que dans un autre monde car la vie ne peut mener au
bonheur que dans sa dimension mortelle sinon morbide. Je dois dire que le « Sonet
de l’Anima immortal » a cette dimension poignante de l’immortalité qui ne
peut être atteinte que dans la foi qui nous porte au-delà de la mort. L’âme
seule est immortelle parce que nos corps sont mortels. C’est beau comme une
éclipse de soleil ou une aurore boréale. Et le piano donne les instructions claires
et même un peu nettes pour avancer dans cette voie qui doit nous laisser sans
voix car seule la voix du seigneur nous guide en chemin. Laissez-vous porter par
le piano.
Imaginez alors ce
que la Chandeleur peut devenir quand elle pleure, en catalan comme en français « la
Candelora plora ». Et pourtant c’est la promesse d’une renaissance du printemps,
d’une renaissance de notre être emporté vers l’immortalité par notre âme
immortelle. Il y a dans cette douleur poignante comme une teinte de joie car
après l’hiver revient toujours le printemps, après la mort triomphe toujours l’immortalité.
Cela est peut-être un peu naïf mais c’est très en accord avec la littérature et
la poésie chrétienne du Moyen Âge quand les compositeurs, la grande
compositrice Hildegarde von Bingen se’ laissent aller au feu de la foi et à la
ferveur de l’attente promise car la foi ne nous promet que de satisfaire cette
attente pour laquelle attendre est la chair même, la fibre incontournable de
cette foi. On perdrait tout en voulant accélérer l’attente et la raccourcir de
quelques années. Et le piano dans « Purissima » égrène les minutes,
les heures, les jours de cette attente patiente et inspiratrice à qui sait
regarder dans son cœur et dans son être pour y trouver cette âme immortelle qui
saura alors nous accompagner. Suivez Laurent Martin qui comme un piano Saint
Martin nous guide dans le pèlerinage que notre vie doit être.
Nous pouvons
alors nous concentrer sur les Rois mages de la plage douze, la bien comptée
puisque douze est le nombre sacré des évangiles et des apôtres au cœur desquels
les évangélistes apportent la vérité divine qui doit être la myrrhe de nos
promesses, l’or de nos certitudes et l’encens de notre patience confiante. Si
vous suivez l’étoile de cette foi vous arriverez au port de Bethlehem et de la
seconde venue et votre renaissance. Et gardez en mémoire qu’il vous faut
atteindre l’une des douze portes de la Jérusalem messianique pour avoir enfin
accès aux arbres de vie et à la rivière vitale de cette cité divine et
divinement éternelle.
La dernière pièce
chantée est en français. La musique a la même contemplativité et le même recueillement
avec peut-être un peu plus d’hésitation, un peu moins de certitude car le
rosaire est un de ces actes de foi que l’on ne commet que quand on sait que
cela permet d’alléger le fardeau et de purger quelques-unes de nos peines
vitales. Et comme dans tous les rosaires les perles du chapelet n’en finissent
pas de passer entre nos doigts. Pensez-donc à toute la vie de Jésus et toute la
foi chrétienne investies dans un rosaire. « Je suis une brebis », « Résurrection »,
« Ascension », « Pentecôte », « Assomption », et « Couronnement
de la Sainte Vierge ». Et ce refrain « Je vous salue Marie »
peut scander ce rosaire en six strophes, les six étapes de la sagesse
Salomonique, de l’étoile de David, la lignée de Jésus, mais ce refrain ne
revient que cinq fois, un pentacle qui ne saurait être diabolique mais qui est
le déséquilibre de la mort, de la crucifixion, du départ de ce Jésus d’entre
nous qui ne peut revenir que par notre rosaire et l’intercession de cette
Marie, mère de Dieu.
On atteint avec
ce rosaire les accents les plus intériorisés de la douleur à la fois
existentielle et spirituelle de Hildegarde von Bingen. Certains diront que cela
n’est que du mysticisme facile, mais je finirai avec les derniers vers de la dernière
strophe avant le dernier refrain :
« Par la
Vierge dont penche le front qui est ceint
Des roses des
désirs que son amour atteint. »
Et c’est
justement dans cette fleur à la beauté éternelle, cette rose qui est la lumière
spirituelle de la nature que nous pouvons trouver l’amour de Jésus, l’amour de
la Vierge pour son fils et pour nous, et simplement nos désirs de mériter cet amour
et d’être élu pour l’au-delà éternel. « Je vous salue Marie. »
Dr. Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 8:03 AM