HENRI DE MONTHERLAND – LE CARDINAL D’ESPAGNE – COMÉDIE FRANÇAISE – INA –
1964-2010
Ceci est un chef
d’œuvre. D’abord par la captation de 1964 pour la télévision française en noir
et blanc bien sûr. Le noir et blanc rend la pièce tragique alors qu’elle n’aurait
pu être que dramatique en couleurs. On a aujourd’hui perdu le sens du noir et
blanc et voir un film ou une captation de l’époque où à la télé le noir et
blanc était la règle permet de retrouver la dimension surnaturelle que ce noir
et blanc donnait à tout ce qu’il touchait. Il y a dans ce noir et blanc le
virtuel d’une réalité qui aurait pu sembler superficielle en couleurs. C’est
exactement ce que la Reine dit : on ne s’attache qu’aux apparences. C’est
exactement ce que le Cardinal Cisneros dit : rien ne sert de considérer
les apparences car seule la réalité profonde est à prendre en compte.
Nous avons ici un
chef d’œuvre aussi du fait des acteurs et actrices principaux. La Reine est un
prodige dans sa seule scène qui dure la moitié d’un des trois actes et où elle
finit en pleine folie dansant justement comme un folle. Le cardinal est lui
aussi admirable dans sa froideur apparente, sa cruauté même plus que montrée,
exhibée, et pourtant la profonde souffrance qu’il cache, qu’il dissimule, qu’il
subit soir et matin, dormant à même la pierre, tout habillé, c’est-à-dire avec
silice et bure. Je ne vous dis pas le confort de ces accessoires d’un moine
franciscain. Les autres acteurs sont tous bien dirigés et remplissent bien leurs
rôles : ils sont les faire-valoir de ces deux acteurs principaux auquel il
faudrait ajouter Luis Cordona, le neveu du Cardinal, capitaine de la Garde
Royale. Son rôle est ingrat car il aime probablement sincèrement son oncle mais
il le trahira dans la dernière mission qu’il lui aura confiée, en fait non pas
confiée mais imposée.
On a là alors la
dernière raison qui fait de cette pièce un chef d’œuvre. Il s’agit là de
Montherland lui-même. Il réussit en trois jours, en trois actes, à peindre le
portrait détaillé d’un homme qui se fait violence pour assumer les responsabilités
de l’état et qui pourtant les assume comme s’il transférait la violence qu’il
se fait sur tous les autres : il considère tout le monde comme des ennemis
à qui on ne peut pas faire confiance et qu’on se doit sans cesse de contrôler,
de punir, de châtier, bref de courber sous des ordres, des missions, des
obligations à appliquer d’urgence et tout de suite. Et cela entre en conflit
avec son seul désir de s’étendre sur la terre, de fermer les yeux et de se
soumettre à la seule vénération de Dieu.
Tout comme la
Reine a sombré dans la folie qui la fait se retirer du monde depuis la mort de
son mari Philippe II d’Espagne, et même peut-être depuis bien avant, car elle a
peur du monde, elle a horreur du monde, elle ne veut de commerce qu’avec
elle-même. Elle veut se donner a « rien » comme elle dit et le Cardinal
dira qu’il est comme elle et qu’il veut ne se donner qu’à Dieu, et il ajoutera
ce qui est la même chose que son « rien ». C’est ce terreau d’absolutisme
aveugle, insensé et sourd au monde et aux autres qui est le terreau sur lequel
Charles Quint prend le pouvoir en Castille à 17 ans. Son premier acte sera de
renvoyer le Cardinal dans son diocèse, mais il n’aura pas le temps de le laisser
partir car le Cardinal mourra à la bonne-mauvaise nouvelle.
Une pièce de ce
genre en 1964 était à la fois un cri énorme d’alarme après la Seconde Guerre
mondiale, Hitler, Staline et le goulag (20ème congrès du PC de l’URSS
en 1956) que la dictature d’un homme seul, totalement isolé et abandonné de
tous est une possibilité toujours active dans nos sociétés. C’était en France le
temps du Général de Gaulle qui après avoir changé la constitution installa en France
un pouvoir présidentiel souvent qualifié de personnel. Mais c’est aussi un cri
de souffrance quand la violence militaire quasi génocidaire du Cardinal qui
ordonne qu’on rase un village et qu’on jette du sel sur les décombres alors que
nous sortons juste en 1964 de la plus horrible, inhumaine et absurde guerre
coloniale en Algérie où nous avons envoyé le contingent pour faire cette guerre
et où un appelé Jean Marie Le Pen fera ses classes et ses armes dans la section
d’interrogation – on a bien compris qu’il s’agit de torture – d’Alger. Nous
portons encore les marques de ce drame français, mais aussi humain. De tels
drames sont toujours possibles et pour les meilleures raisons du monde, à savoir
Dieu et la raison d’état, disons-le clairement il s’agissait d’un véritable
terrorisme d’état.
C’était un temps
où les médias de masses n’avaient pas encore dépassé la télé noir et blanc. Mais
cela a bien changé maintenant, en un temps où la démocratie devient une vraie
dictature d’arguments sans fondement et sans valeur, d’arguties sectaires,
racistes, sexistes, nationalistes et quelmques autres choses de ce genre et que
c’est celui qui se vante de prendre les femmes. . . suivez mon regard et ne
donnez pas votre langue au chat. . . qui est élu président de la première
puissance économique du monde. Dieu que la parole divine a perdu de poids et de
profondeur !
Dr. Jacques
COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:54 PM