COMÉDIE FRANÇAISE – CORNEILLE – HORACE – 1973-2009
Remarquons d’abord
l’absurdité des dates. L’enregistrement est en fait celui d’une diffusion
télévisuelle à l’époque de la création. Il n’y avait donc pas d’opposition de
qui que ce soit pour mettre cette production en vidéo et contre sa diffusion
télévisuelle. Mais cette saisie vidéo de la pièce est la propriété de l’INA. Soit
l’INA est à ce point inefficace qu’elle met 36 ans pour mettre en DVD une
production dûment diffusée sur une chaine française de télévision et donc ne
demandant qu’un investissement minimal de passage d’un support vidéo analogique
à un support vidéo numérique, ce qui est vraiment un jeu d’enfant avec une
simple machine à numériser des vidéos analogiques. Soit il y a un blocage de
droits d’auteur ou d’interprètes ou de techniciens de création. Si cette production
a été diffusée à la télévision ce n’est pas de la Comédie Française que vient l’opposition
mais seulement des équipes de saisie, montage, traitement divers télévisuels en
vue de la diffusion ou bien des techniciens de numérisation postérieure. Mais la
France a vraiment un problème quand on voit ces délais totalement
inacceptables. Si en plus une production sur support vidéo VHS a eu existé, que
ce support VHS n’ait pas été remplacé par un support DVD est un crime contre la
culture humaine.
On me dira qu’il
a fallu un projet de la Comédie Française ou de l’INA (Coffret Comédie
Française en 25 DVD en 2012) de réunir un grand nombre de pièces de cette
Comédie Française en une sorte de grande vitrine ou de panorama pour que cette
pièce ancienne soit reprise. Il n’en reste pas moins que la Comédie Française
devrait avoir dans sa boutique, si elle en a une, les DVD de toutes ses
productions au plus tard douze mois après la première représentation, sinon
même avant. On en est loin. Un exemple : j’ai vu en 2010 un Ubu Roi à la
Comédie Française. Cette production n’est pas disponible. Il y a là un manque à
gagner tout autant qu’un manque de respect de la culture française et donc d’auto-respect
de la Comédie Française. Je n’accepterai aucune excuse pour ce manque de
rayonnement.
Venons-en
maintenant à Horace, dont bien sûr je n’ai en mémoire que ce que j’en ai retenu
du lycée municipal (troisième) à savoir le vers
« Que
voulez-vous qu’il fît contre trois ? Qu’il mourût ! »
Nous avions
mémorisé ce vers avec la prononciation du 17ème siècle qui
prononçait les terminales –t des deux subjonctifs imparfaits, ce qui rendait
pour nous ce vers risible. Nous avions tort. D’un autre côté je me souviens des
imprécations de Camille que l’on me demanda de commenter en classe prépa et les
ayant prises comme je continue à penser que je devais les prendre, à savoir un
cri de colère furieuse, de rage quasiment meurtrière, si elle n’était pas
femme, de Camille contre son frère bardé de gloire barbare même si citoyenne
(on peut difficilement parler de patriotisme pour Rome et Corneille), la
professeure de l’époque me tança en disant que ces imprécations :
se devaient d’être de l’étonnement, de l’horreur exprimée par presque un
murmure guttural et non un cri agressif de bête prédatrice à la fois amoureuse
et blessée. Elle avait tort.
C’est ainsi que
je prends cette pièce et que j’écoute la langue classique de Corneille à la
musique ternaire et quaternaire à la fois de ses alexandrins qui sont aujourd’hui
bancals car on ne prononce plus les /e/ muets, comme dans le premier vers ici
cité, ce qui pour moi d’ailleurs renforce le cri de Camille qui comme s’étrangle
sur /Rome/ en deux syllabes et s’étranglera encore dans le troisième vers ici
cité de la même façon. Cette production tente parfois gauchement de retrouver
cette musique des alexandrins de quatre triades syllabiques avec même parfois
rimes ou assonances internes. J’ai souvent entendu cette musique linguistique
classique mais j’ai aussi souvent entendu cette musique mise en émotion
profonde qui permet de moduler la régularité par le ton, par le rythme, par le
tempo qui se veut non pas tempéré comme il se doit mais tempéré par le cœur, la
tripe, les humeurs et hormones profondes qui dictent les actions tant chez ceux
et celles qui restent humains que chez ceux et celles qui sont capables d’écarter
l’humain pour atteindre le « politique ».
Et c’est le
dernier acte de cette pièce qui surprend le plus puisque le roi de Rome vient
rendre la justice à Horace qui après avoir tué les trois Curiace et donné la
victoire à Rome s’est laissé emporter par sa colère citoyenne qui l’amena à
tuer sa propre sœur. La leçon politique sur un roi éclairé qui rend la justice
sans qu’on puisse le critiquer est typique d’un siècle d’absolutisme et rien
que ce fait que le roi est seul à trancher après que démocratiquement tous
aient pu perler rend les arguments de Corneille caduques et obsolètes. C’est
dommage car la justice est toujours un bon sujet, mais peut-être pas de
théâtre, certainement pas quand le juge est absolu.
Cette production
de plus choisit un décor mi-classique mi-atemporel avec des costumes qui ne
sont ni romains, ni même 17ème siècle. Ces costumes d’ailleurs
empêtrent souvent les acteurs de traines et de manteaux, de capes et de « toges »
quand ce’ n’est pas de longues séances à mettre et enlever des « cuirasses
en morceaux rapportés et assortis, des cuirasses en lego enfantins. Quand
Horace a deux valets derrière lui qui lui mettent sa cuirasse on a envie de
dire de l’acteur « Que voulez-vous qu’il fît ainsi donc ? Qu’il se
tût ! » Et c’est d’ailleurs ce qu’il fait. Il se tait et parle peu et
surtout son jeu manque absolument d’un quelconque langage corporel.
Heureusement qu’ils n’ont pas choisi des costumes romains car le guerrier est
nu sous sa cuirasse. Cela eut mis du sel dans l’assemblée de la Comédie
Française d’avoir Horace et Curiace nus, ou au plus habillé d’un pagne pudique,
à se faire revêtir d’une cuirasse et puis pour Horace à se la faire enlever.
Cela il est vrai aurait renforcé l’érotisme de cet Horace qui se raidit au
simple nom de Rome et violente quiconque ose douter de sa virilité.
J’ai donc l’impression
que cet Horace n’a pas trouvé ici l’inspiration nécessaire pour en faire une
pièce qui nous parle encore. Elle a terriblement vieillie dans cette
production. On devrait demander à Jean Marie Besset d’en faire une pièce chaude
et éructante comme il se doit car elle a un potentiel de violence visuelle et d’agressivité
corporelle et linguistique que l’on regrette que le metteur en scène ait
supprimé les bêtes sauvages de Corneille et ait transformé le Roi en
marionnette plus ou moins ridicule et le Vieil Horace en terroriste patricien
plus que paternel. Cachez-donc ce père, que je ne saurais voir ! Et
étranglez-vous sur le /e/ muet de /père/ prononcé puisqu’à la césure et non à
la rime. Restons classiques s’il vous plait. Mais on peut en occitan bordeluche
dire : Cachez-moi donc de pèr’ que je ne saurais voir. Je donnerai donc quatre
étoiles sur cinq mais uniquement pour ne pas assassiner Michel Etcheverry, sur
scène le Vieil Horace. « Cachez ce Vieil Horace en manque d'émotions. »
Dr Jacques
COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 8:01 AM