Saturday, April 08, 2017

 

Combien souvent le théâtre à la française est tuant et même parfois barbant pour rester poli.

COMÉDIE FRANÇAISE – CORNEILLE – HORACE – 1973-2009

Remarquons d’abord l’absurdité des dates. L’enregistrement est en fait celui d’une diffusion télévisuelle à l’époque de la création. Il n’y avait donc pas d’opposition de qui que ce soit pour mettre cette production en vidéo et contre sa diffusion télévisuelle. Mais cette saisie vidéo de la pièce est la propriété de l’INA. Soit l’INA est à ce point inefficace qu’elle met 36 ans pour mettre en DVD une production dûment diffusée sur une chaine française de télévision et donc ne demandant qu’un investissement minimal de passage d’un support vidéo analogique à un support vidéo numérique, ce qui est vraiment un jeu d’enfant avec une simple machine à numériser des vidéos analogiques. Soit il y a un blocage de droits d’auteur ou d’interprètes ou de techniciens de création. Si cette production a été diffusée à la télévision ce n’est pas de la Comédie Française que vient l’opposition mais seulement des équipes de saisie, montage, traitement divers télévisuels en vue de la diffusion ou bien des techniciens de numérisation postérieure. Mais la France a vraiment un problème quand on voit ces délais totalement inacceptables. Si en plus une production sur support vidéo VHS a eu existé, que ce support VHS n’ait pas été remplacé par un support DVD est un crime contre la culture humaine.

On me dira qu’il a fallu un projet de la Comédie Française ou de l’INA (Coffret Comédie Française en 25 DVD en 2012) de réunir un grand nombre de pièces de cette Comédie Française en une sorte de grande vitrine ou de panorama pour que cette pièce ancienne soit reprise. Il n’en reste pas moins que la Comédie Française devrait avoir dans sa boutique, si elle en a une, les DVD de toutes ses productions au plus tard douze mois après la première représentation, sinon même avant. On en est loin. Un exemple : j’ai vu en 2010 un Ubu Roi à la Comédie Française. Cette production n’est pas disponible. Il y a là un manque à gagner tout autant qu’un manque de respect de la culture française et donc d’auto-respect de la Comédie Française. Je n’accepterai aucune excuse pour ce manque de rayonnement.


Venons-en maintenant à Horace, dont bien sûr je n’ai en mémoire que ce que j’en ai retenu du lycée municipal (troisième) à savoir le vers

« Que voulez-vous qu’il fît contre trois ? Qu’il mourût ! »

Nous avions mémorisé ce vers avec la prononciation du 17ème siècle qui prononçait les terminales –t des deux subjonctifs imparfaits, ce qui rendait pour nous ce vers risible. Nous avions tort. D’un autre côté je me souviens des imprécations de Camille que l’on me demanda de commenter en classe prépa et les ayant prises comme je continue à penser que je devais les prendre, à savoir un cri de colère furieuse, de rage quasiment meurtrière, si elle n’était pas femme, de Camille contre son frère bardé de gloire barbare même si citoyenne (on peut difficilement parler de patriotisme pour Rome et Corneille), la professeure de l’époque me tança en disant que ces imprécations :

« Rome, l'unique objet de mon ressentiment! 
« Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant! 
« Rome qui t'a vu naître et que ton cœur adore! 
« Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore! »

se devaient d’être de l’étonnement, de l’horreur exprimée par presque un murmure guttural et non un cri agressif de bête prédatrice à la fois amoureuse et blessée. Elle avait tort.

C’est ainsi que je prends cette pièce et que j’écoute la langue classique de Corneille à la musique ternaire et quaternaire à la fois de ses alexandrins qui sont aujourd’hui bancals car on ne prononce plus les /e/ muets, comme dans le premier vers ici cité, ce qui pour moi d’ailleurs renforce le cri de Camille qui comme s’étrangle sur /Rome/ en deux syllabes et s’étranglera encore dans le troisième vers ici cité de la même façon. Cette production tente parfois gauchement de retrouver cette musique des alexandrins de quatre triades syllabiques avec même parfois rimes ou assonances internes. J’ai souvent entendu cette musique linguistique classique mais j’ai aussi souvent entendu cette musique mise en émotion profonde qui permet de moduler la régularité par le ton, par le rythme, par le tempo qui se veut non pas tempéré comme il se doit mais tempéré par le cœur, la tripe, les humeurs et hormones profondes qui dictent les actions tant chez ceux et celles qui restent humains que chez ceux et celles qui sont capables d’écarter l’humain pour atteindre le « politique ».


Et c’est le dernier acte de cette pièce qui surprend le plus puisque le roi de Rome vient rendre la justice à Horace qui après avoir tué les trois Curiace et donné la victoire à Rome s’est laissé emporter par sa colère citoyenne qui l’amena à tuer sa propre sœur. La leçon politique sur un roi éclairé qui rend la justice sans qu’on puisse le critiquer est typique d’un siècle d’absolutisme et rien que ce fait que le roi est seul à trancher après que démocratiquement tous aient pu perler rend les arguments de Corneille caduques et obsolètes. C’est dommage car la justice est toujours un bon sujet, mais peut-être pas de théâtre, certainement pas quand le juge est absolu.

Cette production de plus choisit un décor mi-classique mi-atemporel avec des costumes qui ne sont ni romains, ni même 17ème siècle. Ces costumes d’ailleurs empêtrent souvent les acteurs de traines et de manteaux, de capes et de « toges » quand ce’ n’est pas de longues séances à mettre et enlever des « cuirasses en morceaux rapportés et assortis, des cuirasses en lego enfantins. Quand Horace a deux valets derrière lui qui lui mettent sa cuirasse on a envie de dire de l’acteur « Que voulez-vous qu’il fît ainsi donc ? Qu’il se tût ! » Et c’est d’ailleurs ce qu’il fait. Il se tait et parle peu et surtout son jeu manque absolument d’un quelconque langage corporel. Heureusement qu’ils n’ont pas choisi des costumes romains car le guerrier est nu sous sa cuirasse. Cela eut mis du sel dans l’assemblée de la Comédie Française d’avoir Horace et Curiace nus, ou au plus habillé d’un pagne pudique, à se faire revêtir d’une cuirasse et puis pour Horace à se la faire enlever. Cela il est vrai aurait renforcé l’érotisme de cet Horace qui se raidit au simple nom de Rome et violente quiconque ose douter de sa virilité.


J’ai donc l’impression que cet Horace n’a pas trouvé ici l’inspiration nécessaire pour en faire une pièce qui nous parle encore. Elle a terriblement vieillie dans cette production. On devrait demander à Jean Marie Besset d’en faire une pièce chaude et éructante comme il se doit car elle a un potentiel de violence visuelle et d’agressivité corporelle et linguistique que l’on regrette que le metteur en scène ait supprimé les bêtes sauvages de Corneille et ait transformé le Roi en marionnette plus ou moins ridicule et le Vieil Horace en terroriste patricien plus que paternel. Cachez-donc ce père, que je ne saurais voir ! Et étranglez-vous sur le /e/ muet de /père/ prononcé puisqu’à la césure et non à la rime. Restons classiques s’il vous plait. Mais on peut en occitan bordeluche dire : Cachez-moi donc de pèr’ que je ne saurais voir. Je donnerai donc quatre étoiles sur cinq mais uniquement pour ne pas assassiner Michel Etcheverry, sur scène le Vieil Horace. « Cachez ce Vieil Horace en manque d'émotions. »


Dr Jacques COULARDEAU



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