ARTH/UR RIMBAUD – LÉO FERRÉ – UNE SAISON EN ENFER – 1873-1991-2000
Ce texte est magique,
ensorcelé, maudit, magnifique, pervers, exquis de délicatesse et de naïveté,
envoûtant du pêché d’innocence et du crime de simplicité d’esprit. Il est un
délire sans fin mais sans commencement non plus sur l’impossibilité dans
laquelle Rimbaud se trouvait de simplement se poser dans une des boîtes
cubiques qui sont sensées être l’habitat de chacun de nous dans une société
moderne. Et qu’aurait-il souffert s’il avait connu les boîtes cubiques de nos temps
modernes avec Internet, Netflix and Google intégrés et branchés directement sur
nos cerveaux par WIFI mental expérimental et connecté pour toujours et
irréversible ?
On me dira Rimbaud
souffrait du syndrome d’Asperger, j’imagine, il avait du mal à établir des
relations « norm-â-â-â-les » avec les autres. Mais il vit et voit
cette incapacité avec les concepts et les yeux de ceux qui exigent qu’il se
plie à ce rite initiatique. Il ne peut saisir son malheur qu’avec les concepts
de ceux qui lui ont imposé ce malheur en premier lieu, ses parents qu’ils n’évoquent
que métaphoriquement, surtout sa mère dit-on, les maîtres de ses écoles plus ou
moins jésuites mais toujours casuistes, les prêtres qui ont probablement tous
senti sa différence et une bonne proportion d’entre eux ont dû prendre avantage
de cette différence.
Et qu’il ait
réussi à garder son innocence pendant quelques temps importe peu. Il la perdit
sur les barricades de la Commune de Paris et il s’ensevelit vivant dans la
fange révolutionnaire et y trouva son plaisir, et y trouva Verlaine. Verlaine
ne cherchait pas à compenser son syndrome d’Asperger, car lui n’était en rien
autiste, simplement opportuniste et jouisseur. Il lui fallait sa brouettée de
jeunes garçons pour passer la nuit aussi souvent que possible. On dirait
aujourd’hui qu’il était pédophile et il les aimait autour de quatorze ans. Je
ne peux ici citer les poèmes érotiques du dit Verlaine. Mais alors pourquoi
donc Rimbaud fut élu pour plus d’une nuit, fut-il mis en concurrence avec l’épouse
officielle de ce rat poétique qu’était Verlaine, put-il survivre presque trois
ans dans ce ménage à trois qui avait tellement de petits et mignons lutins
mâles que même le chat de Verlaine devait en perdre son miaulement latin.
Il réussit à
survivre à cette ordalie autistique parce qu’il avait une imagination tellement
plus forte que la moyenne. Il était un visionnaire Asperger, un visionnaire que
le monde de Verlaine tentait de transformer en voyeur car en bon autiste mental
et sensuel, sentimental et luxurieux sinon lubrique, comme la vipère qui devait
l’effrayer comme une folie sybarite, aussitôt le plaisir atteint, la jouissance
engrangé, il se retire, il se renferme, il se cloître et se replie comme si les
papillons pouvaient redevenir des larves, renverser leur métamorphose en une
apocalypse rétrograde qui défait tous les réseaux, qui tuent toutes les
aventures, qui laissent la victime de son plaisir souffrir d’avoir
effectivement atteint le plaisir, ce qui semble prouver qu’il n’est bon à rien
car il a volé son propre plaisir à l’autre qui de toute façon n’en demande pas
plus et se satisfait d’une aventure sans lendemain. Mais pour Rimbaud les
lendemains de l’aventure déchantent toujours.
Alors il s’envole
tel le papillon dont je viens de parler dans la noirceur de la nuit et il
illumine un ciel sans étoiles des myriades de beauté colorée et fantastique qui
deviennent les légions de sa souffrance. Il lance ses propres forces punitives
contre lui-même et se fait le martyre de son désir d’innocence qu’il ne sait
ressentir que quand il a rencontré le pêché du désir et le crime du désir
satisfait. Cette situation est castratrice et il en devient femme par la perte
de ce qui fait de lui un homme, sa capacité à fuir. Il devient une femme
soumise, une femme que l’époux prend comme une chose qui lui est due, une femme
qui ne trouve son plaisir que dans la soumission aux caprices de l’homme. Mais
c’est justement la femme en lui qui peut le sauver, car la femme en lui rend à
l’homme qu’il est le désir de vivre libre et le désir de se libérer de la
souffrance de l’après.
Alors le voilà qu’il
hante les champs de la beauté de Jason plantant les dents du dragon, mais il
est incapable de combattre les guerriers qui en naissent. Alors il rejette la
beauté dans la ciel divin ou dans l’enfer diabolique, les deux à la fois, comme
les deux faces d’une même monnaie. Le Jésus, fils de l’homme qui est allé dans
les limbes chercher les païens méritant d’être sauvés, le petit Jésus qui n’est
autre que son outil de virilité, marche sur l’eau et se noie, tiré par les
pieds par le Satan Luciférique et cadavérique qui ne veut qu’une chose dans ce
monde : rôtir ses victimes au feu éternel de la culpabilité
incontournable. Et le désir en revient et en devient plus fort et il se mue en
ce moucheron enivré des vapeurs de la pissotière de l’hôtel, de cette tasse où
il cherche à satisfaire son envie de jouissance sans la moindre attache. Les
vespasiennes ne sont peut-être pas encore inventées mais tous les hôtels ont des
pissotières largement ouvertes à ces jeunes gens et jeunes filles qui sont
comme des distractions de voyageurs.
Mais ainsi de
désir en satisfaction et de satisfaction en culpabilité il finit par perdre le
sens du jour et de la nuit, par mourir dans son âme, perdre son âme,
devenir une conche vide même du bruit de la mer. Il faut partir, mon ami, mon
amant, se dit-il, et partir chez les fils de Cham pour y établir le commerce
succulent et juteux des femmes pour européens blancs qui ne viennent en Afrique
chercher que cela, la chair noire qu’ils peuvent ensuite rejeter comme si ce n’était
qu’une caresse d’un chien ou main amie trouvée dans la lubricité d’un singe.
Cela ne compte pas, n’est-il point ? Et son commerce d’esclaves que l’on
dit généralement femmes, en oubliant qu’il y avait probablement autant d’hommes
dans la horde concupiscente aux désirs lubriques des colonisateurs. La femme
pour un épisode nocturne. L’homme pour un épisode diurne. Pourquoi cette peur
de l’homme noir dans la nuit ? Personne ne sait répondre à cette question.
Pourquoi la femme noire pour la nuit ? Là non plus personne ne sait
répondre. Une vieille vision venue des temps les plus anciens. L’homme noir est
une bête qu’on peut exploiter tout le jour durant. La femme noire est une autre
bête qu’on peut exploiter toute la nuit durant quand on ne voit plus qu’elle
est noire. Il faut être absolument moderne dit-il.
Et ce fut bien là
son malheur. Il revint d’Ethiopie avec la maladie honteuse que l’on sait pour
mourir quasiment sur le quai de Marseille. Il abusa plus que nécessaire de ces
chairs noires pour satisfaire son désir de plaisir et ensuite oublier sa
frustration castratrice de l’après.
Etre un tel
Asperger poétique est une calamité dans le monde moderne et il n’y a pour ces
personnes que le plaisir de mourir le plus vite possible pour être enfin en
rapport avec soi-même, posséder comme il le dit dans son dernier souffle, enfin,
« la vérité dans une âme et un corps », les deux unis dans la mort
qui enfin satisfait sa soif et sa faim d’une satiété éternelle.
Alors qu’en fait
Léo Ferré ?
Il transforme ce
long poème en une plainte, un cantique, une mélopée mortuaire qui se traine
dans quelque caverne mentale où résonne le glas de cette mort régressive qu’est
la fuite d’Arthur Rimbaud au pays des enfants de Cham. Honte à toi Verlaine qui
a utilisé ce jeune poète comme s’il était un crachoir au bar de l’hôtel où tu l’as
réduit à n’être qu’un moucheron à la pissotière du dit hôtel où il disparaît
dans le premier rayon de soleil. Et le monde nous prit un des plus grands
poètes de notre temps qui ne vécut que si peu d’années qu’il n’eut guère le
temps que de passer de larve à trépas sans jamais pouvoir déployer ses ailes. C’est
dur d’être un autiste Asperger, et ils ne sont pas tous des Einstein même si
tous le mériteraient. Mais la société ne saurait autoriser ces êtres mal polis
et mal policés de s’immiscer dans les affaires sérieuses de la nation, ou de la
religion d’ailleurs, car entre la nation et la religion il n’y a qu’un pas d’enfant
de chœur. « La vie est la farce à mener par tous ! » et dès que
tous sont l’objet de quoi que ce soit cela devient une farce parfois tragique,
que ce soit un mariage pour tous ou une manif pour tous.
On voit ce qui
attirait Léo Ferré, cet anarchiste mental et poétique dans ce texte qui ne fut
enfin redécouvert que dans les deux fils d’André Breton le republièrent dans
leur revue Poésie 1, n° 4, 1969, aux
Editions de Saint Germain des Prés. Et le passage que Léo Ferré répète trois
fois fait ainsi se joindre la sagesse sixtine de Salomon, « cris,
tambours, danse, danse, danse, danse » à la sagesse évangélique de la semaine
sainte et septime de l’escrime, « Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse ! »
Dr Jacques
COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 8:50 AM