Wednesday, November 16, 2016

 

Fascinant et pourtant dérangeant

BESSORA – LE TESTAMENT DE NICOLAS – 2016

Une histoire fascinante, malgré le qualificatif de « monstre » de la quatrième de couverture. L’histoire d’un jeune homme de 16-17 ans originaire de France, dit de souche, normand d’affiliation, parisien de résidence, juif de mère, Nicolas de prénom, prénom qui se veut un souvenir un peu tordu d’un père ou d’une mère qui attache à leur nouveau-né le nom d’un personnage de BD. Imaginez un garçon, fils d’un quelconque Dupont, qui s’appellerait Haddock, pourquoi pas, Capitaine Haddock, ou mieux encore Capitan Haddock Dupont. Et ne disons rien d’une fille d’un quelconque père Dumoulin qui se nommerait Castafiore Dalida Dumoulin (sart bien sûr, cela va sans dire, surtout que « sart » veut dire ruisseau en picard). Les parents sont d’une cruauté dans la façon de nommer leurs nouveau-nés qui mériterait une loi de la République obligeant tous les parents déclarants de justifier leurs choix.

Un enfant donc qui porte ainsi la croix de ses parents qui regrettent éternellement le bon vieux temps où ils étaient des enfants eux-mêmes emplis de rêves plus ou moins, surtout moins, innocents et qui admiraient ce personnage de BD franchement et naïvement pas très fin.


Cette histoire d’héritage parental reste assez inexplorée mais elle ouvre la porte à une toute autre histoire qui devrait hypnotiser quiconque a le sens de l’humain. Un enfant qui vit une systématique psychose adolescente entre des parents qu’ils jugent ridiculement insignifiants et un système scolaire qu’il dés-estime car systématiquement aliénant de par le savoir incomplet et insuffisant qu’il dispense, cet adolescent vit sa psychose pubère sur le thème majeur de la recherche d’une spiritualité, encouragé en cela par une jeune, fille au nom prédestiné, Shéhérazade. Il vit sa crise adolescente dans mille et une nuits de fantasmes plus ou moins érotiquement désirés sinon redoutés. Cette jeune fille étant musulmane, il n’y a qu’un pas à franchir pour le devenir.

Le parcours de ce converti à l’Islam est convainquant tant qu’il conserve une dimension spirituelle chargée d’une sous-couche pubère. Les adolescents sont bien connus pour de telles excursions dans ce qui leur semble de l’ordre du spirituel alors même qu’ils y investissent massivement des désirs troubles et flous de plaisir sensuels.


L’ennui est la première personne de ce récit que le titre justifie tout en annonçant la mort du personnage. Le récit ne peut que survivre à l’expérience du personnage en Syrie dans l’enfer de Daesh ou d’une autre organisation du même genre, qu’elle soit encensée ou non par l’Occident. Si le récit est à la première personne cela ne peut être qu’un journal personnel qui a survécu à l’histoire et que le personnage Nicolas nous amène sur un plateau (vivant ou mort et dans ce deuxième cas envoyé par ses soins par la poste Internet ou non) ou que quelque archéologue journalistique a su récupérer d’une fosse commune d’un champ de ruines militaires ou guerrières. Or la fin ne nous permet pas de savoir comment ce journal intime a bien pu arriver entre les mains de l’auteure, comme si le Journal d’Anne Franck n’avait pas d’origine. En notre temps d’Internet, étrangement, nous attendons des circonstances crédibles pour les éléments les plus improbables des histoires que nous racontons.

Et cette histoire mérite attention. En effet cet adolescent, issu d’une famille française sans la moindre racine islamique mais qui pourrait simplement l’être d’un quelconque pays, se trouve pris dans une conversion à l’Islam qui vise la pureté absolue, la satisfaction totale de la visée purificatrice de l’Islam, une des religions qui visent l’universel, dans son cas par l’élimination de tous les infidèles dans la conception salafiste ou islamiste. Cela ne peut l’amener qu’à vouloir désirer entrer en jihad.


Je ne saurais juger la description de cette expérience car je n’en ai pas la moindre connaissance directe ou indirecte et disons clairement que la connaissance directe semble difficile car l’auteure serait jihadiste et donc en rupture de liberté dans notre société, et la connaissance indirecte semble tout aussi difficile car rares sont les survivants du jihad, qui plus est en liberté en France. Mais je doute personnellement que les émirs et autres hiérarques de l’Etat islamique aient à faire subir la torture qui est dite ici pour amener les acteurs d’attaques suicides à réaliser ce geste ultime.

On a ici une idéologie qui magnifie tellement la mort comme un sacrifice sacré (pléonasme radical, j’entends de racine lexicale) absolument indispensable à la transformation du monde visée que la simple conviction permet d’accomplir cet acte. On est là dans une idéologie qui fait de la mort l’acte suprême de l’héroïsme. Il semble que l’Occident emmitouflé dans son idéologie de consommation, de cpomplaisance et de confort ne soit plus capable de comprendre ce qui était pourtant parfaitement courant et normal il y a encore à peine un siècle. La Résistance française entre 1940 et 1945 posait justement la mort comme l’acte suprême de l’héroïsme du Résistant ou du Partisan. Survivre à l’attentat n’était en rien mieux que d’en mourir, même si c’était plus pragmatiquement économe puisque cela permettait de faire un second attentat avec le même risque de ne pas survivre, bien que peut-être amoindri par l’expérience acquise.


Alors même que le sujet est fascinant et que le personnage est presqu’émouvant, au bord du poignant sur la fin, l’impossible passage de la première personne à la troisième personne dans les deux dernières pages perturbe la vraisemblance et nous jette l’âme dans les gouffres profonds du doute concernant le réalisme de toute l’histoire, ce qui d’ailleurs confirme le malaise d’un journal intime en tout petits fragments de récits alors même qu’on ne nous dit pas comment ce journal intime nous est parvenu. J’ai déjà rencontré cette difficulté dans des manuscrits et l’ai fait corriger comme si on avait perdu le sens de la vraisemblance dans la pratique de l’ellipse télévisuelle surtout (séries multiples qui jonglent avec le montage « cut and paste » pour sauter d’une cloche à un chai et nous faire croire que c’est un clocher) et cinématographique. Est-ce le prix à payer en littérature de la dictature audiovisuelle qui nous assaille le mental et l’esprit critique?


Dr Jacques COULARDEAU




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