BESSORA – LE TESTAMENT
DE NICOLAS – 2016
Une histoire fascinante, malgré le qualificatif de « monstre » de
la quatrième de couverture. L’histoire d’un jeune homme de 16-17 ans originaire
de France, dit de souche, normand d’affiliation, parisien de résidence, juif de
mère, Nicolas de prénom, prénom qui se veut un souvenir un peu tordu d’un père
ou d’une mère qui attache à leur nouveau-né le nom d’un personnage de BD. Imaginez
un garçon, fils d’un quelconque Dupont, qui s’appellerait Haddock, pourquoi
pas, Capitaine Haddock, ou mieux encore Capitan Haddock Dupont. Et ne disons
rien d’une fille d’un quelconque père Dumoulin qui se nommerait Castafiore
Dalida Dumoulin (sart bien sûr, cela va sans dire, surtout que « sart »
veut dire ruisseau en picard). Les parents sont d’une cruauté dans la façon de nommer
leurs nouveau-nés qui mériterait une loi de la République obligeant tous les parents
déclarants de justifier leurs choix.
Un enfant donc qui porte ainsi la croix de ses parents qui regrettent éternellement
le bon vieux temps où ils étaient des enfants eux-mêmes emplis de rêves plus ou
moins, surtout moins, innocents et qui admiraient ce personnage de BD franchement
et naïvement pas très fin.
Cette histoire d’héritage parental reste assez inexplorée mais elle ouvre
la porte à une toute autre histoire qui devrait hypnotiser quiconque a le sens
de l’humain. Un enfant qui vit une systématique psychose adolescente entre des
parents qu’ils jugent ridiculement insignifiants et un système scolaire qu’il dés-estime
car systématiquement aliénant de par le savoir incomplet et insuffisant qu’il
dispense, cet adolescent vit sa psychose pubère sur le thème majeur de la
recherche d’une spiritualité, encouragé en cela par une jeune, fille au nom
prédestiné, Shéhérazade. Il vit sa crise adolescente dans mille et une nuits de
fantasmes plus ou moins érotiquement désirés sinon redoutés. Cette jeune fille
étant musulmane, il n’y a qu’un pas à franchir pour le devenir.
Le parcours de ce converti à l’Islam est convainquant tant qu’il conserve
une dimension spirituelle chargée d’une sous-couche pubère. Les adolescents
sont bien connus pour de telles excursions dans ce qui leur semble de l’ordre
du spirituel alors même qu’ils y investissent massivement des désirs troubles
et flous de plaisir sensuels.
L’ennui est la première personne de ce récit que le titre justifie tout en
annonçant la mort du personnage. Le récit ne peut que survivre à l’expérience du
personnage en Syrie dans l’enfer de Daesh ou d’une autre organisation du même
genre, qu’elle soit encensée ou non par l’Occident. Si le récit est à la
première personne cela ne peut être qu’un journal personnel qui a survécu à l’histoire
et que le personnage Nicolas nous amène sur un plateau (vivant ou mort et dans
ce deuxième cas envoyé par ses soins par la poste Internet ou non) ou que
quelque archéologue journalistique a su récupérer d’une fosse commune d’un champ
de ruines militaires ou guerrières. Or la fin ne nous permet pas de savoir
comment ce journal intime a bien pu arriver entre les mains de l’auteure, comme
si le Journal d’Anne Franck n’avait pas d’origine. En notre temps d’Internet,
étrangement, nous attendons des circonstances crédibles pour les éléments les plus
improbables des histoires que nous racontons.
Et cette histoire mérite attention. En effet cet adolescent, issu d’une
famille française sans la moindre racine islamique mais qui pourrait simplement
l’être d’un quelconque pays, se trouve pris dans une conversion à l’Islam qui
vise la pureté absolue, la satisfaction totale de la visée purificatrice de l’Islam,
une des religions qui visent l’universel, dans son cas par l’élimination de
tous les infidèles dans la conception salafiste ou islamiste. Cela ne peut l’amener
qu’à vouloir désirer entrer en jihad.
Je ne saurais juger la description de cette expérience car je n’en ai pas
la moindre connaissance directe ou indirecte et disons clairement que la
connaissance directe semble difficile car l’auteure serait jihadiste et donc en
rupture de liberté dans notre société, et la connaissance indirecte semble tout
aussi difficile car rares sont les survivants du jihad, qui plus est en liberté
en France. Mais je doute personnellement que les émirs et autres hiérarques de
l’Etat islamique aient à faire subir la torture qui est dite ici pour amener
les acteurs d’attaques suicides à réaliser ce geste ultime.
On a ici une idéologie qui magnifie tellement la mort comme un sacrifice
sacré (pléonasme radical, j’entends de racine lexicale) absolument
indispensable à la transformation du monde visée que la simple conviction permet
d’accomplir cet acte. On est là dans une idéologie qui fait de la mort l’acte
suprême de l’héroïsme. Il semble que l’Occident emmitouflé dans son idéologie
de consommation, de cpomplaisance et de confort ne soit plus capable de comprendre
ce qui était pourtant parfaitement courant et normal il y a encore à peine un
siècle. La Résistance française entre 1940 et 1945 posait justement la mort
comme l’acte suprême de l’héroïsme du Résistant ou du Partisan. Survivre à l’attentat
n’était en rien mieux que d’en mourir, même si c’était plus pragmatiquement
économe puisque cela permettait de faire un second attentat avec le même risque
de ne pas survivre, bien que peut-être amoindri par l’expérience acquise.
Alors même que le sujet est fascinant et que le personnage est presqu’émouvant,
au bord du poignant sur la fin, l’impossible passage de la première personne à la
troisième personne dans les deux dernières pages perturbe la vraisemblance et
nous jette l’âme dans les gouffres profonds du doute concernant le réalisme de
toute l’histoire, ce qui d’ailleurs confirme le malaise d’un journal intime en
tout petits fragments de récits alors même qu’on ne nous dit pas comment ce
journal intime nous est parvenu. J’ai déjà rencontré cette difficulté dans des
manuscrits et l’ai fait corriger comme si on avait perdu le sens de la vraisemblance
dans la pratique de l’ellipse télévisuelle surtout (séries multiples qui
jonglent avec le montage « cut and paste » pour sauter d’une cloche à
un chai et nous faire croire que c’est un clocher) et cinématographique. Est-ce
le prix à payer en littérature de la dictature audiovisuelle qui nous assaille
le mental et l’esprit critique?
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 8:13 AM