FEDOR
DOSTOIEVSKI – CRIME ET CHÄTIMENT – ROBERT HOSSEIN - 2001
L’auteur est un mythe éternel et ses romans sont comme
des évangiles d’outre-tombe des hommes et des femmes dont l’âme ne sait que souffrir
dan ce monde et doit mourir pour retrouver un peu de virginité. Nous sommes
tous des Lazare ensevelis à nos tombeaux vitaux depuis quatre jours ou quarante
ans et qui attendons la venue, la seconde venue, la venue promise de Jésus pour
qu’il nous vienne dépouiller de nos bandelettes mortuaires et funéraires. C’est
le prix à payer dans cette vie pour qu’un peu d’innocence et de pureté reviennent,
une seconde venue là aussi, dans nos cœurs. Et Lazare clôt naturellement la première
partie.
Un intellectuel étudiant probablement un peu raté survit
à Saint-Pétersbourg dans la misère crasse et les dettes. Mais ce ne sont pas
cette misère ni ces dettes qui lui font problème. C’est d’avantage de vivre
dans une société qui ne bouge pas, une société qui s’enlise dans le piétinement
et les échecs. Il n’y a pas de vie là où il n’y a pas de mouvement et de
changement. Mais le pire est que cette absence d’agitation vitale est absente
de l’esprit, de l’âme, de la conscience de l’individu. L’homme ou la femme sont
abandonnés à un vide existentiel à faire rougir le plus endurci des égoïstes. Rien
ne peut mouvoir ces sentiments morts et ces passions mourantes.
Alors il va assassiner une prêteuse sur gages et lui vole
trois babioles alors qu’elle avait 15 000 roubles sous son linge. Uniquement
pour le plaisir de la peur, la trépidation de l’angoisse, le frémissement de l’insolite
au bord de la découverte. D’abord sur le lieu du crime car on vient toquer à sa
porte. Puis devant le juge qui sait car psychologiquement un tel crime absurde
ne peut être que le fait d’un intellectuel plus que névrosé, traumatisé par l’absence
d’énergie vitale dans la vie qui n’est qu’un maelstrom immobile dans un océan
inerte. Enfin devant sa mère, sa sœur et son amante.
Et tout autour de lui ce ne sont que des échecs lamentables.
Un ivrogne qui se fait renverser par une voiture – à chevaux. La femme et la
plus jeune fille de cet ivrogne qui se noient dans le canal. La fille aînée qui
se réfugie dans la jungle divine. La sœur de notre assassin prête à épouser le
premier vieux venu pour subvenir aux besoins de leur mère. Et bien d’autres
encore. Et dans cette forêt vierge de misère, d’abandon et de souffrance, il n’y
a que la force d’un crucifix, la puissance d’un signe de croix, la soumission à
des rites religieux et le total asservissement à la morale orthodoxe pour
garder sa tête sur ses épaules.
Un Christianisme qui considère qu’il faut se soumettre à
la souffrance, à la confession publique, au châtiment le plus extrême, les
travaux forcés en Sibérie, pour retrouver l’humilité, la pitié, l’obéissance,
la rédemption et le salut dans la piété. Lazare mérite de vivre mais il faudra
qu’il meure d’abord avant de pouvoir retrouver le bénéfice de la vie. Le cercle
est ensevelissant, c’est le cas de la dire. La vie n’est qu’une vie de pêchés
et de crimes et c’est dans l’ordalie longue et continue qu’est la possible
régénérescence. A genoux dans la rue sur le sol boueux et fangeux il doit
confesser au monde entier son crime. Alors il pourra recevoir le châtiment qui lui
rendra sa dignité humaine, dans ses fantasmes pour le moins, mais pas dans son
corps ni sa vie car il ira réparer son crime dans une vie de damné dans un
enfer insupportable, jusqu’à ce que mort s’ensuive. La résurrection sera pour
après.
C’est là une religion féodale mais qui enchaîne les
intellectuels qui ne voient pas de perspective de progrès tant intellectuel que
matériel dans le marécage gelé de la vie quotidienne. On nous dira que c’est l’âme
ruse, ou l’âme slave, peut-être l’âme orthodoxe. Mais c’est pour le moins une
vision totalement ensevelie dans
le pergélisol sibérien, le permafrost polaire, le
vetchnaïa merzlota qui sert de congélateur aux dinosaures antédiluviens,
et même bien plus ancien que cela, avec quelques mammouths à jamais frigorifiés.
La question qu’on est en droit de se poser est si la
Russie d’aujourd’hui a changé depuis Dostoïevski, ou bien si ce dramatique
cauchemar fait partie à jamais de la culture et de l’âme russe ? Comme si LE
Donald Trump était le digne représentant cancanant couac couac de l’âme conquérante
américaine.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:19 PM