Tuesday, October 25, 2016

 

Les arcanes mentales chrétiennes

FEDOR DOSTOIEVSKI – CRIME ET CHÄTIMENT – ROBERT HOSSEIN - 2001

L’auteur est un mythe éternel et ses romans sont comme des évangiles d’outre-tombe des hommes et des femmes dont l’âme ne sait que souffrir dan ce monde et doit mourir pour retrouver un peu de virginité. Nous sommes tous des Lazare ensevelis à nos tombeaux vitaux depuis quatre jours ou quarante ans et qui attendons la venue, la seconde venue, la venue promise de Jésus pour qu’il nous vienne dépouiller de nos bandelettes mortuaires et funéraires. C’est le prix à payer dans cette vie pour qu’un peu d’innocence et de pureté reviennent, une seconde venue là aussi, dans nos cœurs. Et Lazare clôt naturellement la première partie.


Un intellectuel étudiant probablement un peu raté survit à Saint-Pétersbourg dans la misère crasse et les dettes. Mais ce ne sont pas cette misère ni ces dettes qui lui font problème. C’est d’avantage de vivre dans une société qui ne bouge pas, une société qui s’enlise dans le piétinement et les échecs. Il n’y a pas de vie là où il n’y a pas de mouvement et de changement. Mais le pire est que cette absence d’agitation vitale est absente de l’esprit, de l’âme, de la conscience de l’individu. L’homme ou la femme sont abandonnés à un vide existentiel à faire rougir le plus endurci des égoïstes. Rien ne peut mouvoir ces sentiments morts et ces passions mourantes.

Alors il va assassiner une prêteuse sur gages et lui vole trois babioles alors qu’elle avait 15 000 roubles sous son linge. Uniquement pour le plaisir de la peur, la trépidation de l’angoisse, le frémissement de l’insolite au bord de la découverte. D’abord sur le lieu du crime car on vient toquer à sa porte. Puis devant le juge qui sait car psychologiquement un tel crime absurde ne peut être que le fait d’un intellectuel plus que névrosé, traumatisé par l’absence d’énergie vitale dans la vie qui n’est qu’un maelstrom immobile dans un océan inerte. Enfin devant sa mère, sa sœur et son amante.


Et tout autour de lui ce ne sont que des échecs lamentables. Un ivrogne qui se fait renverser par une voiture – à chevaux. La femme et la plus jeune fille de cet ivrogne qui se noient dans le canal. La fille aînée qui se réfugie dans la jungle divine. La sœur de notre assassin prête à épouser le premier vieux venu pour subvenir aux besoins de leur mère. Et bien d’autres encore. Et dans cette forêt vierge de misère, d’abandon et de souffrance, il n’y a que la force d’un crucifix, la puissance d’un signe de croix, la soumission à des rites religieux et le total asservissement à la morale orthodoxe pour garder sa tête sur ses épaules.


Un Christianisme qui considère qu’il faut se soumettre à la souffrance, à la confession publique, au châtiment le plus extrême, les travaux forcés en Sibérie, pour retrouver l’humilité, la pitié, l’obéissance, la rédemption et le salut dans la piété. Lazare mérite de vivre mais il faudra qu’il meure d’abord avant de pouvoir retrouver le bénéfice de la vie. Le cercle est ensevelissant, c’est le cas de la dire. La vie n’est qu’une vie de pêchés et de crimes et c’est dans l’ordalie longue et continue qu’est la possible régénérescence. A genoux dans la rue sur le sol boueux et fangeux il doit confesser au monde entier son crime. Alors il pourra recevoir le châtiment qui lui rendra sa dignité humaine, dans ses fantasmes pour le moins, mais pas dans son corps ni sa vie car il ira réparer son crime dans une vie de damné dans un enfer insupportable, jusqu’à ce que mort s’ensuive. La résurrection sera pour après.


C’est là une religion féodale mais qui enchaîne les intellectuels qui ne voient pas de perspective de progrès tant intellectuel que matériel dans le marécage gelé de la vie quotidienne. On nous dira que c’est l’âme ruse, ou l’âme slave, peut-être l’âme orthodoxe. Mais c’est pour le moins une vision totalement ensevelie dans le pergélisol sibérien, le permafrost polaire, le vetchnaïa merzlota qui sert de congélateur aux dinosaures antédiluviens, et même bien plus ancien que cela, avec quelques mammouths à jamais frigorifiés.


La question qu’on est en droit de se poser est si la Russie d’aujourd’hui a changé depuis Dostoïevski, ou bien si ce dramatique cauchemar fait partie à jamais de la culture et de l’âme russe ? Comme si LE Donald Trump était le digne représentant cancanant couac couac de l’âme conquérante américaine.


Dr Jacques COULARDEAU



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