ROLAND TOPOR 1 JEAN-MICHEL RIBES – BATAILLES –
2008
Entre Deux personnes l’attirance n’est qu’un accident de parcours qui ne
peut être que conflictuel, fortement mortifère et toujours fait de soumission
absolue à la dépendance et même l’aliénation.
Deux naufragés au milieu de l’Océan Indien nécessairement transportent avec
eux dans cette situation les différences sociales qui les séparent, d’abord en
les reproduisant puis en les inversant, mais toujours en les conservant et en
les faisant activement hostiles dans une situation ou cependant le travailler
ensemble devrait l’emporter. La vie est un tel naufrage que les couples qui se
forment sont nécessairement aliénés et aliénants. SOS stop SOS stop SOS stop etc.
C’est le MayDay permanent et soyez sûr que ce n’est en rien le Mayflower ni le Maypole.
Rien à voir avec le gentil mois de mai non plus. Rien que la haine et le devoir
de dominer.
Il est venu du ciel, en fait du balcon de l’étage au-dessus et il tombait à
point car la voisine du dessous s’ennuyait, alors elle l’a rescapé. Et puis ces
rencontres qui tombent du ciel ne durent pas plus longtemps qu’une éclaircie
dans un orage, une pause dans la pluie de la mousson et la voisine du dessous
se lasse de l’homme providentiel qui alors menace de sauter par le balcon. Elle
le laisse pendre là pendant un certain nombre d’heures jusqu’à ce qu’enfin il
laisse tomber, mais déception de la voisine du dessous, il tombe sur le balcon
de la voisine d’un étage plus bas et elle le récupère avec du champagne. Rien
ne sert de courir, il faut tomber à point.
Puis voilà-t-il pas que nos deux mâles se retrouvent un peu en dessous de
trois mille mètres sur la terrasse d’un café dans la montagne. Celui qui monte
et qui vient de perdre ses guides – on les appelle d’un nom exotique dans le
massif de l’Himalaya – rencontre un homme en redingote ou en smoking qui boit
du champagne. « O rage O désespoir O vieillesse adorée, Ne voila-t-il pas
qu’en ce bar la mort se cache. » Il était donc parti avec ses sherpas et
le voila qui n’arrive qu’à la porte de la mort sans transition, sans surprise,
sans effort. Et la serveuse n’est pas mieux pourvue puisqu’elle aussi a franchi
le Styx sans même s’en apercevoir. Dieux ! que la vie est bête et combien
les hommes sont des animaux, aussi bêtes que la première chèvre venue, bien que
la chèvre sache grimper mieux que l’homme au flanc des montagnes. Sinistre
perspective que la vie ne soit que la mort en travesti, femelle ou mâle peu
importe. Un travesti peut en cacher un autre. C’est là que les passages à
niveaux existentiels sont le plus dangereux. Un travesti vital mâle nous passe
sous le nez et nous traversons sans regarder quand un travesti femelle nous
déboule sur le crâne et on est pris au piège de la mort soudaine. Arrêt du cœur,
ma chère ! Aucun espoir de rédemption avec ces gens qui ne savent pas que
vivre n’est qu’une illusion mortelle !
Puis on peut alors se laisser aller à une femme qui vit dans un cagibi et
qui a laissé entrer un homme un jour qui l’a prise littéralement en otage :
fais ceci, fais cela, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais la femme a un
instinct de survie supérieur et donc un jour joue d’un couteau effilé et de fil
du rasoir en dague acérée elle le transperce de coups qui finissent par le
faire taire. N’est-ce point étrange ? Comment les hommes finissent
toujours par se taire quand on leur met quelques remarques tranchantes dans les
gencives, et si possible sur la carotide et dans le cœur. Et c’est ainsi qu’elle
a du ensuite trancher dans le mort pour s’en débarrasser dans le vide-ordures. Bien
fait ! Tenez-vous bien, messieurs, ces dames veillent la dague au poing. Finies
les vipères. Bienvenue au sabre !
Il ne reste plus alors qu’à voir nos deux hommes à nouveau ensemble dans un
moment de retour d’Afrique pour l’un et de longue période calme pour l’autre. C’est
que le dernier a été libéré de son épouse par le premier qui ne savait pas ce
qu’il allait perdre alors que le premier savait que c’était lui le gagnant. Mais
une criminelle revient toujours sur le lieu de son crime, si possible avec le
souvenir de ses victimes. Elle va donc s’installer avec son deuxième homme de
retour d’Afrique à deux kilomètres de son premier mari qui peut dire au-revoir
et même adieu ou au diable à sa pause, sa sieste, son calme, son répit. Il en
est dépité mais à deux ils pourront peut-être mieux résister à la gorgone, sauf
si elle les manipule bien et les fait se déchirer l’un l’autre. On en est donc
revenu au début. Le naufrage est au rendez-vous et l’Océan Indien va les faire
mijoter à petit feu sur le radeau de sa méduse.
Si vous aimez le glauque réaliste à couper au couteau, n’hésitez pas et
laissez-vous tomber les bras devant cette horreur à laquelle vous survivrez
peut-être, et ne me marchez pas sur les mains. Nous sommes au 150ème
étage et je m’accroche péniblement au rebord de la terrasse. Je me mets en mode
élimination pour alléger ma misère.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 1:26 PM