Tuesday, September 20, 2016

 

Quand Jésus devient un Arabe en France de "souche"

BRUNO DUMONT – LA VIE DE JÉSUS – 1997

N’essayons pas de comprendre le titre avant de comprendre le film, mis à part que ce titre place le film dans une vaste parabole chrétienne. Nous allons ici et là voir des symboliques chrétiennes justement qui se mêlent ainsi à une réalité pour le moins opaque.

Freddy, puisque Freddy il y a, est un jeune sans travail et qui a arrêté sa vie scolaire il y a un certain temps. Il n’a pas de travail et est donc à Pôle Emploi, qui s’appelait autrement en 1997 (ANPE). Il vit avec sa mère sans père réel, sauf une brève allusion à ce père qui serait là-haut, mais est-ce Dieu le Père ou bien son père réel ? La réaction de la mère n’est pas plus claire. Sa mère tient un café à Bailleul, un de ces héritages de l’époque de l’industrialisation du Nord qui comptait alors plus de cafés que d’écoles ou d’églises. On les appelait des cabarets, souvent, mais pas toujours. C’était pour la classe ouvrière jusque dans les années 1960-70 des lieux de vie intense, particulièrement le samedi (avec des saturniques ou saturnales poétiques ou autres en arrière-salles réservées aux hommes en âge de travailler et donc excluant les enfants et les femmes, presque toutes les femmes) et le dimanche (souvent avec des marionnettes à tringle ou d’autres jeux et des sports en après-midi). Mais nous sommes en 1997 et même avec la télé dans le café il est désert plus souvent qu’autrement. C’est dire la petite vie que cette mère peut donner à son fils : une mobylette, mais pas deux, un pinson quelconque pour faire un peu de compétition de sifflet, un tambour pour être dans la fanfare de Bailleul, et c’est tout. Bien sûr en plus le conseil de chercher du travail, que le travail ne vient pas tout seul, qu’après la chômage il n’y a rien, etc. En d’autres termes, ce Freddy n’a rien, ou fort peu.


Il a une petite amie, Marie, avec laquelle il a des rapports complets apparemment sans protection comme si c’était naturel et un du. Ce n’est pas grand-chose. Elle travaille, comme caissière dans un supermarché, et lui non. Les loisirs sont plus que réduits : s’ébattre dans le lit de sa chambre, ou bien aller en mob jusque dans les champs et s’ébattre dans l’herbe entre des vaches et un champ de blé. Pas de loisirs réels autres.

Il a une maladie incurable, l’épilepsie, et il la vit comme une gêne, donc plutôt mal sans vraiment qu’on en sache plus. Il a des rendez-vous à l’hôpital pour des scanners et autres tests, mais cela ne sert pas à grand-chose. Quand on sent arriver la crise c’est trop tard pour l’arrêter. Il faut alors la laisser suivre son cours. Cela est une menace importante pour sa vie personnelle, et professionnelle, s’il en avait une. Peut-on mettre un épileptique sur une machine quelle qu’elle soit ?


Il a aussi quatre copains et forme avec eux un pentacle, figure qui est diabolique dans la symbolique chrétienne, et cette bande de cinq, à mobylette généralement ou parfois dans la voiture du seul qui a un permis et qui les laisse conduire sans vergogne, y compris Freddy, font les cent coups, enfin des petits, tout petits cent coups. Ils vont à la mer ou à Dunkerque et parfois ils plongent dans l’océan glacé, car elle est froide la Mer du Nord. Ils y vont à cinq, en garçons pudiques et qui ne pensent qu’à ça quand la situation ne s’y prête pas et jamais à ça quand la situation pourrait s’y prêter. Et ils savent puisque le frère d’un des cinq se meurt du SIDA à l’hôpital.

Alors pour dompter le monstre qu’ils ne veulent pas libérer, ils s’imposent à cinq sur une membre des majorettes de Bailleul après une répétition de la fanfare et des dites majorettes. Cela s’appelle un viol, même si il n’y a pas eu un rapport complet, du moins peut-être car le film ne précise pas. La pudeur cache la profondeur du crime.


Un Arabe, Kader, tourne autour de Marie. Freddy est jaloux. Marie a un rendez-vous avec Kader après l’histoire du viol. Freddy ne digère pas. Les cinq petites frappes alors prennent la voiture, Freddy conduisant, coincent Kader en mobylette sur une route déserte. Freddy s’acharne sur lui quand il est à terre. Inconscient il est attaché sur le capot arrière de la voiture et Freddy part avec ses acolytes pour le déposer qui sait où. Il mourra dans la nuit.

Les flics arrêtent le Freddy, le soumette à un interrogatoire léger et le laisse fuir. Absurde.

Quand on regarde tout cela et plus encore, on peut se demander pourquoi le titre provocateur ?


Et hélas ce n’est guère qu’une provocation. C’est l’Arabe qui est tué à coups de pied par les bons Français locaux, qu’on dira de souche, et qui de la souche ont la qualité première d’une souche, d’être un arbre mort, abattu. Ils sont désœuvrés, sans vrais loisirs, sans éducation plus loin qu’un CAP ou peut-être moins, sans milieu familial digne de ce nom et d’être mentionné. Ce sont des pauvres à tous les sens possible du terme et ils tuent par jalousie, par racisme, par rejet de l’autre qui n’est pas comme eux. Et il est vrai que cela sonne comme Jésus, ce Juif cultivé qui a été tué par les Romains légionnaires pour la plupart illettrés et esclaves – oh, pardon engagés – avec le soutien du peuple juif de Jérusalem et à l’instigation des prêtres et grand prêtre du Temple de Jérusalem, le Temple de Salomon. Jésus était le vilain canard en son temps tout comme Kader est le vilain canard en notre temps-ci.


Le film devient alors une parabole qui dénonce le racisme ordinaire qui n’est que le rejet de la différence et un passe-temps de jeunes qui s’ennuient. Hélas on a largement dépassé ce stade et aujourd’hui le racisme est une attitude de rejet réfléchi et motivé, même si avec des motivations absurdes. Pour les racistes c’est logique et rationnel. Le racisme est la solution finale d’une frustration aliénante de la vie ordinaire. Et cela peut devenir un jeu de cirque, enfin un jeu de la rue qui fait oublier qu’on n’a guère que du pain sec et de l’eau à la maison.

Ce film est-il visionnaire ou seulement empathique ? A vous de trancher. Pour moi il est triste et morose, glauque et opaque comme une âme en peine de survie.


Dr Jacques COULARDEAU



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