BRUNO
DUMONT – HORS SATAN – 2011
Le titre est intriguant, mais sans plus. Passons sur lui
et voyons un peu ce qui se passe dans ce film qui revient au Nord Pas de
Calais, en fait le Boulonnais, la côte dite d’Opale, un haut lieu où dans les
villages vivent, survivent et parfois prospèrent des croyances et superstitions
concernant le diable qui serait parmi nous, des sorciers plus que des
sorcières, des sorciers que l’on nomme rebouteux. Ces guérisseurs sont de deux
sortes. Des sédentaires connus de tous et respectés d’une part, et des
itinérants tout aussi connus de tous ou au moins reconnus et qui vont comme des
chemineaux d’un village à un autre d’autre part. Ils vivent en marge du village
mais tout le monde sait où ils sont et qui ils sont.
Bruno Dumont choisit un tel sorcier itinérant. En homme
marginal il attire l’attention de nombreuses jeunes filles, ou femmes. Dans
notre cas ici ce sont les jeunes filles qui semblent l’intéresser et
s’intéresser à lui. Il refuse tout contact physique et surtout charnel. Il semble
même penser que le mal pour ces jeunes filles est dans cette carnalité qu’elles
rencontrent et désirent parfois. Il faut donc les en purger, les en soigner,
les en libérer.
Ce qui est étrange est que notre sorcier emploie des
méthodes qui n’ont rien de la sorcellerie. La première jeune fille est – si je
comprends bien entre les lignes et entre les virgules – la victime de son
beau-père, ni vu ni connu de la mère qui est aussi l’épouse de ce beau-père, et
est naturellement aveugle au manège de son époux. Une banalité exécrable mais
tellement banale dans certaines campagnes. Je ne vous dirai pas les extrêmes
que j’ai rencontrés il y a encore vingt ans dans ma montagne. En fait ce type
de rapport est une forme plutôt rare car dans ces villages on ne divorce pas et
dans ces villages on n’a donc de beau-père que quand la mère devient veuve.
Notre rebouteux anti-satanique prend son fusil et le remède est radical.
La deuxième jeune fille fait dans la transe végétative
puis dans la transe scatologique, dans les deux cas tétanisée. Notre rebouteux
anti-satanique va simplement réveiller par un contact difficile, face à face,
visage sur le visage, bouche contre bouche, elle criant et lui marmonnant
quelques litanies probablement pas quelconques, mais peu importe. Il a saisi
que c’est chez cette jeune fille une anxiété frisant le traumatisme de sa
sexualité non assumée ni comprise depuis probablement ses premières règles que
sa mère n’a probablement pas expliquées correctement. Confronté au rapport
corporel, mais non charnel, son traumatisme qui lui tuait sa corporalité
s’efface et elle reprend le contrôle de son corps. Peut-être un peu simpliste
mais en même temps les moyens les plus simples sont souvent les plus efficaces.
Elle était au-delà de toute parole.
La troisième est une routarde pédestre qui le suit sur la
route un jour qu’il rentre de la gendarmerie dans la ville proche ou le gros
village. Elle s’offre à lui et il la prend, peut-on penser ai vu des mimiques
pourtant bien que peu réalistes. Elle se prend à jouir de façon bruyante. Peu
importe dans la campagne. Elle commence à écumer de la bouche. Cela devient
alors dangereux. La rage ou bien simplement possédée d’un démon.
Qu’importe ! Il l’embrasse dans l’écume et l’étrangle gentiment. En fait
il l’asphyxie jusqu’au point où elle devient inconsciente. Pendant qu’il se
lave un peu dans la rivière à côté, elle revient à elle et plonge dans l’eau.
Elle a retrouvé la vie. Mais qu’en sera-t-il dans deux jours ?
C’est là que le bât blesse. On voit peu la suite. Il se
livre à des rituels de prières à genoux et les mains paumes en l’air, l’une sur
l’autre comme pour recevoir une grâce quelconque, un pouvoir céleste. Mais dans
la durée quel est ce pouvoir, quels sont les effets de ce pouvoir ?
La première jeune fille fait l’objet d’avances un peu
osée d’un jeune homme non vraiment établi dans le village, du moins pour nous.
Elle le dit à son rebouteux favori. Il le tuera avec un bâton dans la forêt.
Les gendarmes l’interrogent mais cela ne mène à rien.
Mais la fin devient insolite. La première jeune fille un
matin lui rend visite dans les dunes où il « campe ». Elle met
un peu de bois sur son feu et puis s’éloigne. Le long du chemin elle
entend du bruit dans un trou dans le
sous-bois épais (une situation surexploitée par Bruno Dumont qui a du être un
admirateur d’Alice et de son célèbre lapin) et la minette ne résiste pas à la
curiosité. Elle sera violée et simplement tuée.
Notre chemineau anti-satanique subrepticement emporte le
corps de la maison de sa mère et dépose ce corps près d’un trou d’eau qu’il
affectionne particulièrement pour ses rituels et il la pose au bord, la
retourne face contre terre et la laisse là. Un chien qu’on sait être d’un gros
homme isolé du village vient le réveiller au petit matin et l’emmène au village
où les gendarmes arrêtent le maître du chien comme étant l’assassin.
Notre rebouteux part. Le chien le suit. Et pendant ce
temps la jeune fille se « réveille » et rentre chez sa mère comme
notre chemineau reprend son sac à dos et part sur la route avec le chien en
laisse, jusqu’au prochain village. Cette fin est plus que surprenante.
C’est alors qu’on peut mieux comprendre le titre. Ces
jeunes filles sont possédées de Satan, d’une façon ou d’une autre : viol
répété par un beau-père, traumatisée et tétanisée par sa sexualité qu’elle ne
comprend pas, se donnant à qui le veut sans la moindre précaution, finalement
violée et assassinée. Ces jeunes filles ont besoin d’un soigneur, rebouteux, sorcier,
messager du bien qui les libère de leurs aliénations en les libérant de leur
possession qu’on dira satanique. Mais il n’est certes pas un ange gardien car
un ange gardien ne tuerait pas. Or il tue deux fois et il utilise des méthodes
plutôt violentes deux autres fois. Le miracle final a été durement et lourdement
payé.
Il y a dans ce film un réalisme fort mais un traitement
plutôt désinvolte. C’est ce traitement qui rend le film glauque et plutôt
triste. Si dans ces superstitions anciennes qui écrasent et aliènent les jeunes
filles il faut tuer pour les libérer, c’est peut-être se faire gendarme, juge,
jury et bourreau tout à la fois. On évite le fantastique mais alors le miracle
final devient un rêve, peut-être même un cauchemar : imaginez la mère
devant sa fille ressuscitée : c’est la scène finale. Imaginez le coupable
de son assassinat quand il faudra lui dire que la jeune fille n’est pas morte. Imaginez
la tête du docteur légiste devant cette erreur de diagnostic mortel. Cela me
laisse sur ma faim avec un sentiment de tristesse et surtout un questionnement
de comment de telles communautés peuvent-elles exister encore sans que personne
n’ait fait le nécessaire pour y remettre de l’ordre ? Les jeunes filles ne
vont-elles pas à l’école et n’y rencontrent-elles pas des infirmières ou des
docteurs capables de leur expliquer les règles et la sexualité ?
De la part de Bruno Dumont cela ressemble fort à un cri
de rage froide mais qui nous laisse désemparés devant l’ampleur du malheur et
l’absence de solutions. Un film ne sert à rien si un fort travail n’est pas
fait pour ouvrir ces communautés moyenâgeuses à la civilisation humaine
moderne.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:00 PM