Wednesday, September 21, 2016

 

Jacques Brel était un enfant de choeur, qui avait aussi du coeur

BRUNO DUMONT – L’HUMANITÉ - 19990

Ah ! Que oui! Les canards se pendent dans ce plat pays-là. Ils se pendent d’abord et s’égorgent ensuite.  Si le Nord c’est ça, je me fais spectre tout de suite. Quant à savoir pourquoi Bruno Dumont appelle son lieutenant de police Pharaon de Winter, peut-être en hommage à Pharaon-Abdon-Léon de Winter, allez savoir. Et en plus il le fait vivre dans la rue Pharaon de Winter de Bailleul. Une vraie fixation, avec en plus ses trois prénoms en « -on », et je ne vous dis pas le nombre de groupes de trois personnages, en commençant par le ménage à trois de Pharaon, Joseph et Domino. Les groupes de trois personnes sont aussi nombreux que les étoiles dans le ciel. La sainte trinité n’est pas loin puisque tout se passe à l’ombre de l’église principale de Bailleul. Il ne manque plus que Jésus et nous pourrions avoir la fuite en Egypte.


Dès la page titre on sait que rien n’avance, rien ne bouge, rien n’arrive dans ce plat pays sauf l’Eurostar que l’on appelle le TGV. Rien ne change non plus, pas même les saisons vraiment, ni le temps. Toujours trop chaud et toujours morose et gris. Les routes sont vides, les rues tout autant et sans voitures. Il n’y a pratiquement pas de passants. En bref, rien, rien et encore rien, trois rien en quelque sorte. Mon dieu que tout cela est triste, sinistre, sans couleurs, sans beauté, sans quoi que ce soit. Et pourtant il doit bien y avoir un peu de vie quelque part.


C’est qu’en plus on commence par une nature morte dans un champ, le cadavre violé et nu d’une fillette dont on ne verra jamais que les jambes et le ventre dument ensanglantés, bien que pas trop. Nature morte d’un crime odieux dans un pays où rien n’arrive. Impensable, innommable, incroyable. Et pourtant c’est bien vrai. Vous voyez bien qu’il y a de la vie – enfin de la mort – dans ce plat pays aux mille canards pendus.

Et puis on plonge dans la vie interlope de ce lieutenant de police Pharaon de Winter. Sa vie en solitaire avec sa mère, une épineuse ennuyeuse qui n’a rien à dire que des critiques. Elle révèlera tard dans le film que Pharaon est marié et a un enfant, mais quant à savoir pourquoi il vit seul avec maman, cette maman cactus justement ne dira rien, notons qu’il n’y a aucun père, aucun homme dans le voisinage de cette maman. Sa voisine trois portes plus loin est Domino, vous savez domino-mino-domino-minette qui reçoit son amant, un ami de Pharaon, Joseph, chez elle, qui semble être aussi la maison de sa maman qu’on ne verra jamais et qu’on entendra une fois (si ce n’est sa mère eh bien ce sera son père), et chaque fois, c’est-à-dire souvent, elle finit nue et engagée dans quelques ébats charnels, rien de plus, car ce n’est pas beaucoup plus que du désir et de la fureur sans trop de bruit, de la luxure sensuelle sans vraiment d’âme, à cause des voisins bien sûr, et des ragots, dans ces maisonnettes de corons ou presque.


Et la tristesse se déroule jour après jour, minute après minute, séquence après séquence à la poursuite d’un loisir qui soit actif, et il n’y en a aucun, que ce soit la mer du Nord, la brasserie, le restaurant ou quoi que ce soit d’autre. Et personne ne rit dans ce film, sinon une bande d’étudiants qui font la beuverie dans un restaurant et qui se font remettre à leur place par Joseph si lourdement qu’une crêpe n’en serait pas plus écrasée.


Avec les bouts d’enquête et donc la souvenir rappelé que l’on cherche un meurtrier, vue l’atmosphère glauque que crée le réalisateur on sait que le criminel va devoir être le seul qui rendra absolument mortifère ce plat pays où pire que les canards, les fourmis elles-mêmes se pendent aux branches basses de quelque nuage bas. C’est qu’en définitive Pharaon, malgré ce qu’en dit sa mère, n’est pas tant attiré par les femmes. Il y a chez lui, répétitivement des regards bas, des envies sourdes mais reconnues, des désirs sombres et cachés pour des hommes, et en premier lieu Joseph qu’il finira par embrasser à la française sur la bouche, mais aussi un ancien moniteur de je ne sais quel sport, et que Pharaon reconnaît sept ans plus tard sur une plage quelconque, Berck ou Gravelines, qu’importe, surtout par un regard plongeant et prolongé sur l’anatomie basse abdominale du surveillant de baignade que ce moniteur est pendant l’été.


Et c’est en se centrant sur Pharaon que l’on a cette vision morte, vidée de sens, excavée de tout désir réel et assouvi, évidée de toute dimension culturelle ou même distractive et que l’on comprend le sens de ce film sans musique, sauf pour le générique de fin, sans presque de dialogue, si ce n’est des bribes de morceaux de paroles qui ne se répondent pas ni ne s’entrecoupent. Pharaon, malgré son nom, ou du fait de son nom, vit dans un monde qui ressemble à la chambre mortuaire de quelque pyramide égyptienne.  Silence et solitude, isolement et abandon.


Et le coupable du meurtre touchera au cœur notre Pharaon, au cœur comme rien ne saurait le faire. Et pour pallier ce vide total Pharaon joue l’empathie avec le monde et s’émeut en silence et sans le moindre geste ni la moindre émotion sur l’horreur du monde et il embrasse ou plutôt prend dans ses bars et enlace la première personne venue, souvent la seule d’ailleurs. Il tombe dans les bras d’un infirmier ou aide-soignant psychiatrique au vu de quatre malades mentaux à Armentières dans un hôpital tellement prison que pour aller de la porte d’entrée du pavillon, fermée à clé, ai premier étage il faut ouvrir au moins cinq portes fermées à clé et les refermer derrière soi, avec quelques volatiles mentaux ici et là –auxquels on a dûment taillé les ailes – devant un poste de télé qui explique comment les paysans font pour prendre des vacances.


Et il embrasse de ses bras et de ses mains un malfrat vendeur de shit. Et il embrasse Domino quand elle s’effondre à la fin mais sans le moindre désir, tout comme quand elle s’était offerte à lui au trois quart nue et qu’il était passé à côté sans la moindre tentative de toucher ou même de vraiment regarder. Plus gay que lui tu meurs.


Alors dans ce nord, on cultive son petit jardinet et on ramasse ses petits dahlias multicolores qu’on c&aresse et malaxe comme de la pâte à modeler. On boit son café au lait – et à la chicorée, tradition oblige – dans un grand bol le matin pour le petit déjeuner. On dort nu mais on met son pantalon de pyjama pour déjeuner dans la cuisine. On fait grève quarante-huit heures pour se dire quelque part qu’on n’est pas barjot, bien que vraiment on le soit encore plus qu’on ne pourrait l’imaginer. C’est un film si vide qu’il en est admirable et le personnage principal, Pharaon de Winter, est un prodige d’émotion non exprimée, de non mouvement et de non expressivité, de froide empathie qui vous ferait pleurer si ce n’était pas éblouissant de vérité, la vérité d’un monde où tout est faux car rien n’est vraiment quoi que ce soit.


Même Candide y perdrait son latin, s’il en avait, et il en avait au temps de Voltaire, lui qui cultive son jardin mais justement comme pour effacer l’existence du monde. Ici c’est juste l’inverse. Le monde est si tellement peu existant que cultiver son jardin devient un miracle de vie, la vie d’une nature encadrée qui pousse de saison en saison sans jamais s’arrêter. Quand on vous le dit que la vie est mortelle mais que la mort est sempiternellement un recommencement de la même chose qui vous ennuie.


C’est probablement un bon film qui restera comme la marque d’un vingtième siècle dans le Nord qui n’arrive pas à mourir pour laisser la place au siècle suivant, au point que si l’on n’était pas en 2016 on douterait qu’il pût y avoir un siècle suivant.


Dr Jacques COULARDEAU



Comments: Post a Comment



<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?