LUIGI CHERUBINI –
THÉÂTRE IMPÉRIAL DE COMPÏÈGNE – PIERRE JOURDAN – 1996
La première chose à dire est que ce DVD n’a pas de sous-titres. Dans le
domaine de l’opéra il est absolument standard aujourd’hui d’avoir l’option
sous-titres dans la langue chantée, voire d’autres. Ainsi ce DVD se condamne
naturellement à n’avoir qu’un auditoire francophone, et encore pour les parties
chantées un auditoire très accoutumé à la diction opératique de la langue
française qui est difficile.
La deuxième chose est que le respect de l’œuvre de Cherubini force la
distribution à être double car de longues parties dramatiques alternent avec
les parties chantées. Chacun des grands rôles donc doit avoir une actrice ou
acteur et une chanteuse ou chanteur. Cela complique un peu le jeu de scène,
mais sans difficulté insurmontable.
La troisième chose est que cette production a légèrement raccourci les
parties dramatiques, voire même les parties musicales, du moins si je compare
avec un libretto de l’opéra disponible bien sûr sur l’Internet. Dans les parties
chantées des modifications sont introduites et on ne voit pas toujours
pourquoi. Par exemple à la fin du deuxième acte le vers « Le Tartare
applaudit à tes chants d’allégresse » qui est un alexandrin est remplacé
par le vers « Les enfers applaudissent à tes chants d’allégresse. »
qui est bancal car il a treize pieds ce qui est gênant en musique. Mais aucun
problème pour le directeur artistique apparemment qui en plus évite l’horreur de
la liaison posant une lourde répétition de dentales : il fait une fausse
liaison comme si on avait « Les enfers applaudiss’ à tes chants
d’allégresse. » Cela est hautement inacceptable pour Corneille, Pierre
comme Thomas, et pour Cherubini. Pourquoi supprimer la mention du Tartare, qui
est fausse bien sûr, mis à part qu’elle fait référence à un peuple qui parle
une langue agglutinante comme les Colchidiens, et donc Médée. Pour les Grecs ce
sont tous des barbares puisqu’ils ne parlent pas grec. Mais ils n’ont rien à
voir avec les enfers.
Ceci étant dit l’histoire bien sûr reste la même et elle n’a pas de secret
pour qui que ce soit. Les parties dramatiques permettent de donner du poids aux
questions psychologiques de Médée et de Jason et d’insister ainsi sur la
personnalité maléfique de Médée, ce qui efface un peu sa position de rejetée
étrangère et d’épouse bafouée. Le texte lui-même ne faisant intervenir les
enfants qu’au dernier acte limite l’impact des enfants sur le drame. Ils sont
absolument marginaux. Cela rend les hésitations de Médée plutôt superficielles
car elle change de position sans qu’on y soit préparé et plusieurs fois, au
moins trois, en l’espace de vingt minutes.
Sa position finale est justifiée par le texte dramatique comme le triomphe
de la Médée maléfique qui tue pour le simple plaisir de tuer, pour des
motivations totalement inhumaines de l’ordre de la tactique politique ou
personnelle. Il n’y a ni haine ni amour dans tout cela mais simplement une
nature qui ne suit pas la nature maternelle des choses, mais une nature
perverse qui nie la nature. Cette version de l’opéra avec ses portions
dramatiques, y compris parfois raccourcies et modifiées donne de Médée une
image très diabolique, d’où peut-être les enfers de tout à l’heure. Elle est le
mal incarné et Jason s’en tire alors comme la victime de ce mal incarné au lieu
qu’il apparaisse comme un horrible bonhomme qui n’a suivi et ne suit que ses
désirs du moment et ses ambitions personnelles. Il n’aime pas, il désire, et
même parfois on peut se demander si son amour ou plutôt la satisfaction de son
désir n’est pas simplement une activité gymnique de maintien en forme et de
drainage kinésithérapeutique.
Il est dans ce texte et dans cette production absolument misogyne et sans
le moindre sentiment vrai. Pour lui c’est des mots et des gestes.
Créon est vraiment insignifiant dans cette production malgré la place qu’il
devrait tenir. Cela tient au fait qu’en tant qu’acteur Créon est plutôt sans
nuances. Cette remarque pourrait s’appliquer aussi à Jason mais Médée elle a de
l’expressivité dramatique. Pourtant elle se laisse trop souvent aller à de la
grandiloquence vocale. On ne sent pas sa souffrance interne mais on ressent et
subit sa colère externe.
Néris en esclave noire ne pose pas de problème surtout qu’elle est la seule
à vraiment cultiver une dimension humaine. Il n’y a rien à dire sur les enfants
qui sont deux pions que l’on bouge dans le troisième acte.
Enfin cette production travaillant particulièrement sur l’ombre et
l’obscurité, elle n’est pas des plus faciles à mettre en écran. L’écran, qui
plus est en relative basse définition de 1996, ne permet pas vraiment
d’apprécier la finesse des éclairages et des costumes. Cela est dommage. En ce
temps-là pour mettre en DVD un spectacle il fallait nécessairement faire un
enregistrement spécifique qui impliquait le changement des éclairages. Or on a
ici un enregistrement live avec en plus les applaudissements irritants du
public à la fin d’un aria coupant ainsi une scène en tranche.
Les deux mimes gris du début sont un bon mobilier vivant pour une longue
ouverture. Je ne suis pas sûr qu’ils apportent quelque chose à l’opéra
lui-même.
Si j’en crois le copyright du DVD ce fut une opération littéralement
pionnière dans ce domaine où l’opéra commençait tout juste à se mettre en vidéo
ou DVD pour atteindre un public qu’il ne peut pas atteindre en live puisqu’il
ne rayonne que sur une cinquantaine de kilomètres. Certes ce fut un
enregistrement live pour TF1, ceci expliquant cela, puisqu’il n’entraina pas de
surcoût pour la compagnie. Là aussi c’était un peu pionnier bien que moins car
on avait déjà plusieurs opéras qui avaient été enregistrés de cette façon,
parfois filmés spécifiquement pour une diffusion filmique ou télévisuelle, sur
le modèle du théâtre qui faisait cela un peu plus souvent. Aujourd’hui il est
indispensable de suivre le public dans ce domaine et d’améliorer notoirement la
qualité des produits et surtout viser à l’international car avec les
téléchargements une œuvre peut atteindre un public à l’autre bout de la planète
en quelques minutes. D’où un jeu vaste de sous-titres et surtout les
sous-titres en la langue chantée.
Le problème qui se pose alors est celui de la protection des droits de
l’auteur, du compositeur, et des autres artistes du spectacle, mais ne rien
faire encourage au piratage. Il est urgent de faire mieux et plus.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 12:09 PM