Tuesday, September 01, 2015

 

Un enregistrement pionnier mais qui a bien sûr beaucoup vieilli

LUIGI CHERUBINI – THÉÂTRE IMPÉRIAL DE COMPÏÈGNE – PIERRE JOURDAN – 1996

La première chose à dire est que ce DVD n’a pas de sous-titres. Dans le domaine de l’opéra il est absolument standard aujourd’hui d’avoir l’option sous-titres dans la langue chantée, voire d’autres. Ainsi ce DVD se condamne naturellement à n’avoir qu’un auditoire francophone, et encore pour les parties chantées un auditoire très accoutumé à la diction opératique de la langue française qui est difficile.

La deuxième chose est que le respect de l’œuvre de Cherubini force la distribution à être double car de longues parties dramatiques alternent avec les parties chantées. Chacun des grands rôles donc doit avoir une actrice ou acteur et une chanteuse ou chanteur. Cela complique un peu le jeu de scène, mais sans difficulté insurmontable.


La troisième chose est que cette production a légèrement raccourci les parties dramatiques, voire même les parties musicales, du moins si je compare avec un libretto de l’opéra disponible bien sûr sur l’Internet. Dans les parties chantées des modifications sont introduites et on ne voit pas toujours pourquoi. Par exemple à la fin du deuxième acte le vers « Le Tartare applaudit à tes chants d’allégresse » qui est un alexandrin est remplacé par le vers « Les enfers applaudissent à tes chants d’allégresse. » qui est bancal car il a treize pieds ce qui est gênant en musique. Mais aucun problème pour le directeur artistique apparemment qui en plus évite l’horreur de la liaison posant une lourde répétition de dentales : il fait une fausse liaison comme si on avait « Les enfers applaudiss’ à tes chants d’allégresse. » Cela est hautement inacceptable pour Corneille, Pierre comme Thomas, et pour Cherubini. Pourquoi supprimer la mention du Tartare, qui est fausse bien sûr, mis à part qu’elle fait référence à un peuple qui parle une langue agglutinante comme les Colchidiens, et donc Médée. Pour les Grecs ce sont tous des barbares puisqu’ils ne parlent pas grec. Mais ils n’ont rien à voir avec les enfers.

Ceci étant dit l’histoire bien sûr reste la même et elle n’a pas de secret pour qui que ce soit. Les parties dramatiques permettent de donner du poids aux questions psychologiques de Médée et de Jason et d’insister ainsi sur la personnalité maléfique de Médée, ce qui efface un peu sa position de rejetée étrangère et d’épouse bafouée. Le texte lui-même ne faisant intervenir les enfants qu’au dernier acte limite l’impact des enfants sur le drame. Ils sont absolument marginaux. Cela rend les hésitations de Médée plutôt superficielles car elle change de position sans qu’on y soit préparé et plusieurs fois, au moins trois, en l’espace de vingt minutes.


Sa position finale est justifiée par le texte dramatique comme le triomphe de la Médée maléfique qui tue pour le simple plaisir de tuer, pour des motivations totalement inhumaines de l’ordre de la tactique politique ou personnelle. Il n’y a ni haine ni amour dans tout cela mais simplement une nature qui ne suit pas la nature maternelle des choses, mais une nature perverse qui nie la nature. Cette version de l’opéra avec ses portions dramatiques, y compris parfois raccourcies et modifiées donne de Médée une image très diabolique, d’où peut-être les enfers de tout à l’heure. Elle est le mal incarné et Jason s’en tire alors comme la victime de ce mal incarné au lieu qu’il apparaisse comme un horrible bonhomme qui n’a suivi et ne suit que ses désirs du moment et ses ambitions personnelles. Il n’aime pas, il désire, et même parfois on peut se demander si son amour ou plutôt la satisfaction de son désir n’est pas simplement une activité gymnique de maintien en forme et de drainage kinésithérapeutique.

Il est dans ce texte et dans cette production absolument misogyne et sans le moindre sentiment vrai. Pour lui c’est des mots et des gestes.


Créon est vraiment insignifiant dans cette production malgré la place qu’il devrait tenir. Cela tient au fait qu’en tant qu’acteur Créon est plutôt sans nuances. Cette remarque pourrait s’appliquer aussi à Jason mais Médée elle a de l’expressivité dramatique. Pourtant elle se laisse trop souvent aller à de la grandiloquence vocale. On ne sent pas sa souffrance interne mais on ressent et subit sa colère externe.

Néris en esclave noire ne pose pas de problème surtout qu’elle est la seule à vraiment cultiver une dimension humaine. Il n’y a rien à dire sur les enfants qui sont deux pions que l’on bouge dans le troisième acte.


Enfin cette production travaillant particulièrement sur l’ombre et l’obscurité, elle n’est pas des plus faciles à mettre en écran. L’écran, qui plus est en relative basse définition de 1996, ne permet pas vraiment d’apprécier la finesse des éclairages et des costumes. Cela est dommage. En ce temps-là pour mettre en DVD un spectacle il fallait nécessairement faire un enregistrement spécifique qui impliquait le changement des éclairages. Or on a ici un enregistrement live avec en plus les applaudissements irritants du public à la fin d’un aria coupant ainsi une scène en tranche.

Les deux mimes gris du début sont un bon mobilier vivant pour une longue ouverture. Je ne suis pas sûr qu’ils apportent quelque chose à l’opéra lui-même.


Si j’en crois le copyright du DVD ce fut une opération littéralement pionnière dans ce domaine où l’opéra commençait tout juste à se mettre en vidéo ou DVD pour atteindre un public qu’il ne peut pas atteindre en live puisqu’il ne rayonne que sur une cinquantaine de kilomètres. Certes ce fut un enregistrement live pour TF1, ceci expliquant cela, puisqu’il n’entraina pas de surcoût pour la compagnie. Là aussi c’était un peu pionnier bien que moins car on avait déjà plusieurs opéras qui avaient été enregistrés de cette façon, parfois filmés spécifiquement pour une diffusion filmique ou télévisuelle, sur le modèle du théâtre qui faisait cela un peu plus souvent. Aujourd’hui il est indispensable de suivre le public dans ce domaine et d’améliorer notoirement la qualité des produits et surtout viser à l’international car avec les téléchargements une œuvre peut atteindre un public à l’autre bout de la planète en quelques minutes. D’où un jeu vaste de sous-titres et surtout les sous-titres en la langue chantée.

Le problème qui se pose alors est celui de la protection des droits de l’auteur, du compositeur, et des autres artistes du spectacle, mais ne rien faire encourage au piratage. Il est urgent de faire mieux et plus.


Dr Jacques COULARDEAU 



Comments: Post a Comment



<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?