Tuesday, September 08, 2015

 

Admirable music though out of its dramatic context

JEAN-BAPTISTE POQUELIN DIT MOLIÈRE – MARC-ANTOINE CHARPENTIER – LE MALADE IMAGINAIRE – LES ARTS FLORISSANTS – WILLIAM CHRISTIE – 1990

Voilà un enregistrement déjà un peu ancien. Mais la production originale de Molière (qui mourra sur scène) était du temps où l’opéra était en train de prendre les scènes d’assaut sous Louis XIV avec un certain Jean-Baptiste Lully qui tenait la baguette, si ce n’est pas d’ailleurs plutôt un bâton, et le théâtre avait un peu de mal à tenir la scène trois heures et surtout rien qu’avec du texte. Molière alors reprend les pratiques anciennes du masque si populaire en Angleterre depuis l’époque élisabéthaine et que Purcell va remettre en selle après la purge en forme de pénurie et de censure signifiant totale privation sensorielle, sensuelle et sans la moindre illusion des puritains, avec le semi-opéra. Une comédie comme « Le Malade Imaginaire » était entrecoupée de musique, de ballets et de scènes purement burlesques avec parfois peu de relation avec la pièce principale mais dont le but essentiel était d’allonger la sauce du spectacle et de rendre  cette longue performance la plus distractive possible. C’était un temps où ils n’avaient pas encore inventé la télévision en continu 24 heures 24 et 7 jours sur 7.


Cette musique de Charpentier a été au moins réécrite trois fois avant la performance, officiellement sur demande de Louis XIV lui-même, mais le message étant transmis par Lully, on peut penser que Lully voyait d’un mauvais œil la concurrence et modifiait en cours de route le message royal. Mais regardons de plus près cette œuvre que je regrette coupée de sa pièce. On n’a pas le vrai sentiment de complétude que cette musique ne peut avoir qu’avec le théâtre dans lequel elle se glisse.


Le prologue est léger comme un défilé d’elfes pris dune envie soudaine de marche de cavalerie altière et d’infanterie fanfaronne. Est-on dans la parodie de la parade ou dans le plagiat d’une musique de cour transformée en musique de foire foraine au pied d’un arc de triomphe ? C’est lourd et pesant. Mais la pièce suivante est bien pire. On nous lance certes dans une charmante bergerie bocagère ou bien bergeronnette quasi bohémienne de jeunes gens qui ne parlent qu’amour et ne pensent qu’à la bagatelle à laquelle cet amour est réduit, bref aux plaisirs multiples et pourtant toujours les mêmes de quelque sauterie printanière dans quelque bosquet feuillu et ombré. Mais l’objectif n’est pas de chanter ces jeux de jambes, mais de chanter les louanges du roi Louis XIV en un cocktail – qui comme dirait l’autre du coq n’a rien que la queue – de plaisirs, d’amour, de plaisirs d’amour et d’amour de tous les plaisirs de ce chef militaire victorieux et qui par sa seule apparition sur les hauteurs d’un champ de bataille amène la victoire, à son camp bien sûr, qui se répand alors en chants de bataille et plus tard en chants de victoire. Rien de champêtre alors.


Une telle ouverture était courante en ces temps-là, mais c’était de la flatterie au bord de la flagornerie même s’il était impossible d’en faire l’économie. Imaginez qu’enfin nos artistes modernes retrouvent cette inspiration et chantent au début d’un opéra moderne sur le voyage de Nixon en Chine les exploits amoureux et guerriers de nos chefs comme François Hollande, à scooter il est vrai, ou Nicolas Sarkozy si vous préférez, sans scooter celui-là, ou bien en ouverture à la Comédie Française d’un Ubu Roi, mais pas à bicyclette, celui-là, plutôt à dos de cochons, poursuivis ou non par les chiens d’Allah. Cela aurait du style surtout qu’Ubu est roi de Pologne et en découd avec les Russes. Encore un coup de Mistral sur le littoral du Palais Royal.


C’est donc avec un soupir de soulagement que nous passons à la suite.

Premier Intermède. Finis les louanges du Roi. On change de style, et pour être clair on change aussi de langue et on passe à la langue de l’amour qu’est l’Italien, un amour chaud et méditerranéen comme une bolée de soupe bouillante ou une cinglée de Mistral en pleine face. Notons en passant la légèreté de cette édition qui ne nous donne pas une traduction de cet italien. Il est bien sûr que nous parlons tous Italien couramment, surtout avant le petit déjeuner devant le miroir de nos salles de bain. Et notre pauvre Spacamont de plainte en larmoiement sombre dans le désespoir amoureux. Il est au bord du suicide ou presque. Mais Une vielle veille sur lui, qui plus est elle est une travestie car c’est Dominique Visse qui l’interprète avec des accents de contre-ténor qui parfois se laisse aller à quelques notes de ténor. C’est une vieille harpie plutôt sorcière lançant des imprécations et des abominations à cet amoureux ridicule et pathétique dont elle se moque car – et elle/il sait de quoi elle/il parle – bien que ne s’intéressant qu’à et ne parlant que de son  nombril, il est évident que toute l’âme de cet amoureux est fixé un tant soit peu plus bas. Imaginez Dominique Visse faisant dans le travestisme d’une vieille qui elle fait dans l’agile âgisme d’une dame qui en a vu d’autres et n’en est pas à une violence (suivez mon regard) près.


Envoyez alors Polichinelle pour faire dans la farce de marionnettes – ou serait-ce de commedia dell Arte ? Et Polichinelle arrive nécessairement avec en bouche sa dragonne et sa diablesse. Il fait dans le sarcasme satirique plus désabusé qu’abusé car on ne peut pas abuser de Polichinelle sans qu’il vous tombe la bosse sur le dos. On fait dans la musique, la comédie, la farce, l’amour et dans le triomphe du plus pur populisme grivois et graveleux, coquin, goguenard et coquillard. On est dans une farce de foire dans la tradition de celle de Maître Pathelin et on fait dans les croquignolles, (mot vieilli qui n’est qu’une chiquenaude sur le nez, aïe !) et notre Polichinelle en reçoit douze, et puis dans les coups de bâtons mais il ne tient pas pour les douze, alors il finit par cracher les six pistoles aux Archers qui ne sont pas malhonnêtes, simplement corrompus. A croire que dans le royaume de France tout finit toujours par quelque corruption, et rien n’a changé vraiment depuis ce bon vieux temps-là. Faites une bonne manifestation avec pneus brûlés, pétards un pue forts, voire cocktails Molotov (et ces coqs là ont un tout petit peu plus que simplement leur queue) et l’état crachera quelques millions.


Puis on nous donne un Petit Opéra Impromptu, une angélique petite histoire d’amour trahi par le père de la belle qui la marie à un autre que celui qu’elle aime et qui l’aime. Argan, ce père contre nature (et Molière regorge de pères de cette espèce) est un rustre grossier et quelque peu brutal qui n’a pas inventé l’eau froide. Et il n’a pas de concurrence dans ce domaine car personne n’a inventé l’eau froide. Le rival, comme l’Arlésienne, mais en mâle, n’apparaît jamais et chacun peut se demander si ce rival n’est pas simplement un mythe inventé par le père pour refuser celui qu’il ne veut pas. Parlez-nous de mariage forcé comme une pratique non française. Le père peut alors clore ce mini-opéra avec une brutalité faite d’ignorance et de sottise, et il en sait quelque chose, surtout qu’il faut être un sot pour en accuser un autre de l’être, et ce père de conclure : « Les sottises ne divertissent point. » En dix pieds il a énoncé toute sa philosophie.


Le deuxième Intermède des femmes More, qui ne peut se comprendre que comme signifiant « Maure » puisqu’elles ont amené des singes avec elles et dansent avec ces singes. Ce sont donc probablement des Tziganes plus que des Maures, mais toujours est-il des femmes qui officient dans les foires et sur les marchés. On voit mal quelles autres femmes pourraient être associées à des singes en ce temps là. Il manque une note et je ne trouve que des allusions plus que vagues. Ces quatre femmes chantent la jeunesse et la nécessité de jouir de la vie tant que la jeunesse est encore là. C’est un thème plus que banal et l’intermède ne casse pas de briques d’une façon ou d’une autre.


Par contre le Troisième Intermède est du plus bel effet, du plus profond humour et d’une ironie sarcastique comme seul Molière sait le faire. Il prend à partie la profession de médecin, chirurgien et apothicaire. Autant l’ouverture musicale est un peu lourde et guindée comme amidonnée, les deux chirurgiens, les cinq docteurs et l’inénarrable Bachelierus sont de vrais pitres ridicules et pour le moins décrits comme dangereux. Ils parlent en langue savante, c'est-à-dire en Latin, mais un latin qui n’est même pas de cuisine, un latin de souillarde, c'est-à-dire de souillon qui gringonne (laver à genoux, à grande eau et avec une brosse et une serpillère, les sols en carreaux d’une maison en français standard) toute la journée les sols de la maison avec une since (serpillère en français standard) et une gardale (bassine en terre qui ne semble pas exister en français standard). Cet intermède est en phase avec la pièce qui est toute entière centrée sur les méfaits de la médecine. Les chirurgiens, les médecins et les apothicaires sont des scélérats du savoir et de l’ignorance, en fait de l’ignorance promue en savoir, et des charlatans de l’éthique et de l’ordonnance, entendez que chez eux l’ordonnance est devenue un tic. Les trois remèdes de base du médecin Bachelierus sont le clystère pour lavement du fondement, la saignée pour allègement de la tension sanguine et la purge pour le ramonage de la tuyauterie digestive. Et le tout se termine sur les sept remèdes de la médecine que je rendrai (non pas vomir, juste exprimer) en français comme étant la « pillulée » (abus des médicaments), la « purgée » (abus des ramonages digestifs), la « saignée » (abus des allègements sanguins), la « percée » (abus des clous et autres aiguilles d’acupuncture médiévale largement pratiquée par l’Inquisition), la « taillée » (abus des ablations, circoncisions et amputations de tout type) et l’« occirée » (abus bien sûr de la fin finale et terminale qui précède juste la descente aux enfers après la mise au tombeau, ce que Charpentier appelait une Tenebrae, Charpentier: Tenebrae factae sunt, H129, https://www.youtube.com/watch?v=dlIo-qGiTLI).



Mais qu’en est-il de la musique. Comme je l’ai dit Charpentier n’a pas eu sa liberté. Il a du se conformer aux exigences du Roi transmises par Lully. Et pourtant il est capable de produire une musique tellement « photocopiée » de la musique de cour officielle au début et ici et là, musique parfois chatoyante mais toujours lourde et pompeuse, au point que quand la musique devient légère et court vêtue, coquine et même sexy, sarcastique et même caustique dans l’ironie, innovante ici et là particulièrement au niveau de certaines voix, alors cette musique éclate littéralement et devient un miroir facétieux qui renvoie notre image de singe Tibétain ébahi et bouche bée en train de mastiquer je ne sais quelle rumination de pop corn ou méditation de pâtes de fruit. On peut même se demander si Charpentier n’a pas pris un risque avec cette musique qui semble-t-il déclarait que « La musique c’est moi ! » comme un certain Roi, Soleil, Lune et Etoile du Berger en un seul, Hélios, Séléné et Vénus dans le même travesti royal, aimait à déclarer « L’état c’est moi ! »


Mais pour conclure je regretterai encore une fois que nous n’ayons pas l’entier de ce masque ou semi-opéra et que nous n’ayons que la partie divertissement sans pouvoir voir comment cela s’articule sur la pièce. Un DVD d’ailleurs serait le bienvenu, le DVD d’une production authentique.


Dr Jacques COULARDEAU



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