JACQUES TATI –
JOUR DE FÊTE – 1949 – RESTAURÉ 2013
Tout aussi célèbre que ce film puisse être, il est d’abord et avant une
pièce majeure de l’archéologie du cinéma comique français. Ce n’est pas un chef
d’œuvre de sens ou même d’imagination. Tout au plus un bon film de détournement
de l’observation en vue de faire rire et de divertir. Je suis persuadé que cela
devait bien fonctionner après la guerre et pendant les années 50. Mais Jacques
Tati a eu rapidement des concurrents comme Fernandel, qui existait déjà,
Bourvil et bien sûr Louis de Funès.
Fernandel a une dimension tragique et surtout un faciès qui crie, hurle à
la souffrance intérieure et au drame pathétique personnel. Jacques Tati n’a pas
ça. Bourvil aura un humour dans le discours saugrenu et dans la naïveté un peu
sotte d’une espèce de cul-terreux déplacé par quelque drame historique jusqu’à
la ville. Il sent son bourbeux, son bouseux comme on disait de mon temps, et il
en est absolument déchirant tout en étant hilarant. Jacques Tati a un tout petit
peu cela mais il joue au naïf légèrement dépassé par son ego qui n’a aucune
mesure avec ses moyens intellectuels plutôt réduits et est comme bombardé dans
une campagne arriérée et qui n’a pas encore inventé le tracteur. Ce
renversement rend Jacques Tati cruel à l’égard des petites gens de la campagne,
mais en réalisateur il renverse cette situation et tourne sa cruauté à l’égard
des autres contre lui-même Et il devient comique de façon poignante qui
n’appelle que la pitié de notre part. Comment peut-on être aussi sot ? Et
c’est là qu’il devance Louis de Funès qui jouera sur ce filon comme un
chercheur d’or perpétuel.
Mais il évite toute situation réellement politique ou même
historique : il n’y a pas de marché noir, de collaboration, de SS
derrière les arbres du chemin. Il n’y a pas de criminel mal repenti qui cherche
à nuire au passant. Il n’y a que de la naïveté au bord de la sottise que l’on
renverse sur soi-même comme un Charlot déphasé.
Pire encore. On nous insuffle de l’Américain dans les bronches et Jacques
Tati se rend complètement risible en essayant avec un vélo de faire mieux que
les Américains avec un avion ou un hélicoptère. C’est d’une immense sottise
dans le projet mais c’est surtout voué à l’échec. Mais c’était un temps où le
Parti Communiste faisait faire un film anti-coca-cola et défendait dans ce film
de propagande anti yankee que l’on avait chez soi la vraie boisson populaire
française, à savoir le ballon de gros rouge et j’ajouterai qui tâche. Dans ce
contexte Jacques Tati est au moins critique de ceux qui font dans
l’anti-américanisme primaire de surface. Il montre l’imbécillité d’un
discours anti Américain de principe.
Mais cela est clair aujourd’hui. Qu’en était-il en ce temps-là ?
Alors il reste la nostalgie qui nous pousse entre les dents et qui nous
donne des caries. J’entends tous les jours des gens qui ont plus de
quatre-vingts ans dans mon village de montagne que « De mon temps. .
. » Vous savez la suite : il y avait beaucoup de neige, on avait de
vraies saisons, le diable avait trois pattes comme les canards, et l’on rasait
les murs gratis. La nostalgie est la nourriture intellectuelle des petites gens
vieillissantes. Elle ne présente aucun intérêt pour la vie ou la survie. Elle
est même un moyen sûr de dépérir, péricliter et finalement périr dans l’oubli.
Alors pourquoi ressortir ce film ? Uniquement pour l’intérêt du
documentaire qui l’accompagne sur le « making-of » du film. Remarquez
que le mot professionnel est anglais alors qu’à Hollywood c’est snob d’employer
des mots français comme la mise en scène et surtout la mise en abîme qu’ils
écrivent de la plus belle façon, mise en abyme (et Wikipedia a même introduit
cela dans ses pages : « La mise en abyme — également orthographiée mise en
abysme ou plus rarement mise
en abîme. » Je suis du côté du plus rarement et mes
maître devaient l’être aussi dans les années 60 puisque je n’ai jamais utilisé
l’orthographe héraldique. Vous
apprendrez ainsi – Ô mise en abîme – que les petits rôles de femmes sont tous
tenus par un homme dont c’était la spécialité de cabaret. Comme quoi nous n’avons
rien inventé concernant les travestis et autres spécialité du genre (théorie du
genre garantie), n’en déplaise au partisans du seul mariage pour tous,
j’entends du seul mariage hétéro autorisé et obligatoire pour tous.
Si vous aimez savoir comment le cinéma comique français est né, vous avez
là une des racines, mais qui a vieilli terriblement, j’entends beaucoup et non
pas de façon terrible ou pour en devenir terrible, car ce n’est de toute
évidence pas très terrible. Quant à la fixation Petit Travail Tranquille,
Besancenot n’aurait pas fait mieux.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 2:56 PM