JEAN LUC PERROT –
SUITES ET VERSETS – LA CHAISE DIEU – 1998
Les orgues de l’Abbatiale Saint Robert de La Chaise Dieu venait juste
d’être totalement restaurée par Michel Garnier (un chantier de 1990 à 1995) et
il ne restait plus qu’à les donner à entendre. Il faut comprendre que les
orgues sont le seul instrument que l’on doit nécessairement enregistrer danS le
lieu où elles se trouvent. Pas de studio pour ces grandes dames. C’est pour
cela que dans un tel enregistrement on n’a pas que les orgues elles-mêmes mais
que l’on a aussi l’acoustique de l’Abbatiale Saint Robert de La Chaise Dieu. Et
tout est dans cette abbatiale. Il faudrait plusieurs pages pour expliquer
comment cette abbatiale a une structure générale qui symbolise l’Apocalypse.
C’est une abbatiale apocalyptique dans le plus pur sens de Saint Jean lui-même.
Et c’est cette sonorité qu’il faut louer dans un premier temps. L’Abbatiale
n’a pas de retour, ou un retour totalement insignifiant, et cela tient à sa
seule structure. Elle a la taille d’une cathédrale mais n’a aucun écho. Les
sons restent purs de bout en bout et où que vous soyez dans l’abbatiale. C’est
pour cela qu’il n’y a pas de perte de son pour les grands concerts dans le
chœur, même au-delà du jubé, sauf pour certaines voix qui ne savent pas porter,
mais c’est une caractéristique propre à ces voix qui sont toutes des individus
avant d’être des voix et ne porteraient pas mieux dans le théâtre romain
d’Orange.
Le plaisir de cette pureté du son fait la célébrité de cette Abbatiale et
Jean Luc Perrot sait en jouer parfaitement dans ce CD. Dans ses propres
compositions comme dans les pièces du répertoire qu’il retient il choisit
celles qui se marient le mieux avec la sonorité des orgues et l’architecture de
l’Abbatiale. Certains regretteront probablement que les grands jeux ne soient
pas aussi écrasants que quelques uns imaginent qu’ils doivent être et qu’ils
sont ici et là. Les grands jeux doivent exprimer la puissance de Dieu et pas la
malfaisance de je ne sais quel diable et la modération est une qualité divine.
Laissons au diable ses excès.
Jean-Nicolas Geoffroy se fait une joie d’être dans cette abbatiale car
c’est une musique française du 17ème siècle sur un orgue français et
la musique de ce que certains ont appelé le Grand Siècle quand elle ne prend
pas le ton délirant des louanges adressés dans les opéras de Thomas Corneille
et Marc-Antoine Charpentier au Roi Soleil, travaille mélodie et harmonie en vue
d’un équilibre et d’un charme qui doit plaire, attirer, fasciner, mais surtout
ne pas écraser ou effrayer, même quand on met en scène Médée elle-même.
Et ici les pièces retenues sont toutes de ce genre, légères, tendres
parfois, douces, intimes presque toujours et simplement là pour ravir nos
oreilles et avec elles nos âmes car nous sommes dans le recueillement musical
nécessaire pour nous élever au-dessus des contingences terre-à-terre de la vie
quotidienne. Même quand on a des « airs de bergères » on a
une musique si fine qu’on pourrait croire qu’elle va se perdre dans
l’immensité de la nef de cette abbatiale, et pourtant elle se promène légère et
court vêtues entre les piliers et sous les voûtes sans perdre la délicatesse et
la finesse que ces airs badins et champêtres, rupestres aussi, ont
nécessairement.
Le « Dialogue pour le clavessin et des violes » est quelque part
amusant car ce dialogue sous ces arches et dans ces galeries à mi hauteur de la
voûte paraissent un peu folâtres mais aussi espiègles, « Attrape-moi si tu
peux, clavecin chéri » « Vous pouvez toujours courir, violes endiablées,
nous avons plus d’un tour dans notre sac, et une bonne douzaine de sacs dans
notre Tour. » La Tour Clémentine bien sûr comme il s’impose ici à La
Chaise Dieu.
Tout cela semble plutôt impie et un peu mécréant, mais il n’en est rien.
Les Anonymes de Limoges du début du 18ème siècle nous amènent
gentiment à l’Ave Maris Stella et toute la profondeur spirituelle de la Vierge
transparaît fortement dans la fugue par exemple. Le « Récit de Nazard ou
de Tierce » est comme une lecture d’évangile, à la fois plein
d’inspiration, de réflexion et de méditation nous élevant vers nos limites
célestes. Et la « Tierce en taille » qui suit comme nous accueille en
ces hauteurs de recueillement et de communion.
Degrigny retrouve ensuite une puissance nouvelle dans son « Ouverture
en G ré sol bémol. » et nous renvoie au 17ème siècle un peu
formel, bien structuré, balancé et surtout nous offrant la force et la
puissance même si c’est un peu sans autre but que celles-ci elles-mêmes.
Jean-Nicolas Geoffroy à nouveau nous revient avec un Tombeau, cette forme
funéraire qui deviendra bientôt un Tenebrae et plus tard un Requiem. Ce Tombeau
n’a pas encore la profondeur effrayante des Tenebrae et n’a pas non plus
l’évocation de la damnation que tout Requiem contient. On est plutôt en train
de dialoguer avec le mort dans le recueillement que l’on doit observer sur une
tombe par respect du mort qui s’y repose, qui y repose. On pourrait se demander
si même il n’y a pas un embryon de dialogue avec ce mort, ou du moins son âme
venue nous accueillir sur cette pierre
Nous finissons avec les « Versets Alternés sur la Messe Orbis
Factor » de Jean-Luc Perrot. Musique religieuse aux tonalités variées en
fonction des moments d’une messe, Commençant avec un Kyrie et un Christe pour
ensuite passer à divers moments et articulations dans le rite. La composition
de Jean-Luc Perrot a un art certain qui ne cherche pas l’enjolivement excessif
ni l’épure d’ascèse. Il garde la retenue des phrases mais sait enrichir cette
retenue du dialogue nécessaire entre les registres et les instruments. Il ne
s’agit pas d’écraser mais d’élever et on n’élève rien en surchargeant le trait.
Un enregistrement ancien que vous pouvez apprécier comme une introduction à
ces orgues dans cette abbatiale de La Chaise Dieu. Je ne peux que vous
souhaiter d’un jour y passer pour un concert, une grand messe ou simplement une
visite, mais insistez pour qu’elle soit en musique et en orgues, et dialoguez
avec la Vierge Noire andalouse du 12ème siècle.
Dr Jacques COULARDEAU
MICHEL CORETTE
(1707-1795) – JEAN-LUC PERROT – ORGUES DE LA CHAISE-DIEU – OFFERTOIRES ET
AUTRES PIÈCES – 2014
La grande vedette de ce CD est bien sûr les orgues de l’Abbatiale Saint
Robert de La Chaise Dieu. Depuis sa rénovation en 1990-1995 elles ont retrouvé
tout leur éclat mais surtout elles ne sont parfaites, et même plus que
parfaites que du fait de l’architecture de l’Abbatiale Saint Robert. Pour
comprendre la force de cette architecture, il faut comprendre que tous les paramètres
de la construction sont ceux de la géométrie grecque sur un plan au sol et en
hauteur qui entrelace des formes géométriques simples mais articulées les unes
sur les autres selon deux nombres fondamentaux, PI et PHI, le paramètre du
cercle et le nombre d’or. Cela est peu visible mais c’est audible. Ce respect strict
des paramètres géométriques grecs donnent à cette Abbatiale une acoustique
absolument parfaite qui n’a donc pas de retour ni d’écho. Les sons restent purs
d’un bout à l’autre et portent dans l’entier de l’Abbatiale. Les voix portent
de la même façon, du moins si ce sont des voix capables de se projeter et donc
d’être portées par l’architecture. Certains chanteurs n’ont pas la force
nécessaire pour projeter leur voix qui alors ne porte pas beaucoup plus loin
que le tombeau de Clément VI. Et j’en témoigne pour avoir pendant neuf ans
suivis pratiquement tous les concerts du Festival de La Chaise Dieu, soit des
rangs presse dans le chœur des moines, soit dans le buffet d’orgue, un des
lieux que je préférais à bien d’autres.
Mais la magie de cette abbatiale vient d’un autre fait architectural. Sa
structure est fondée sur l’Apocalypse de Saint Jean, sur la Seconde Venue de
Jésus, sur le Jugement Dernier. C’est une Abbatiale apocalyptique. J’ai eu
l’occasion de vérifier tout cela le dernier dimanche de Juin 2014 après avoir
entendu quelques surprenantes déclarations qui se voulaient doctes.
Je ne parlerai pas de la prétendue "influence"
anglaise quand le tombeau des anges musiciens fut changé en proportion sur les
images projetées et on oublia totalement de mentionner les anges musiciens. On
s'évertua à montrer les arborescences du haut des verrières et des porches et
dire qu'elles étaient semblables ici à La Chaise Dieu et là en Angleterre
(comme si une ressemblance était une preuve de filiation: faute première des
étudiants de niveau licence) alors qu'elles étaient en quatre feuilles pour la
plupart, parfois trois, parfois trois fois quatre ou même quatre fois quatre.
Ce fut superficiel car tout l'art roman et gothique d'avant la Renaissance
travaille sur une simple symbolique numérologique:
4 = la crucifixion,
3 = la trinité,
3 fois 4 = les douze apôtres,
7 = la semaine sainte,
6 = le nombre Salomon ou l'étoile de
David donc les Juifs, y compris leur sagesse,
8 = la résurrection et la seconde
venue du jugement dernier,
9 = l'heure de la mort du Christ, le diable, la
damnation, surtout dans l'assemblage 999 ou (étrangement antisémite) 666 (de
l'apocalypse de Saint Jean) = 6+6+6 = 18 = deux fois 9.
Je me suis amusé à compter les arches et les piliers dans
l'abbatiale (enfin de les recompter). Le chœur compte sept arches et donc huit
colonnes, la semaine sainte soit de la genèse, soit de la passion qui mène à la
résurrection et la seconde venue du jugement dernier, l’alpha et l’oméga en
quelque sorte (n’oublions pas que l’oméga n’est qu’un huit couché et que cela
donne les entrelacs irlandais que l’on retrouve à Lavaudieu et l’Irlande a été
christianisée par les Bénédictins les plus anciens qui soient et qui ont ajouté
cinq lettres à l’alphabet Ogham de la langue celte qui ne les satisfaisait
pas.). Si on enlève les deux arches des deux chapelles latérales qu'on peut
considérer comme un transept (qui ne fait donc pas partie de la nef et qui par
la structure du chœur lui même fait partie de ce chœur), on a alors cinq arches
et six colonnes, ce qui est le nombre de Salomon contenant la trahison
diabolique, c'est la version officielle de la mort du Christ par trahison de
Judas Iscariot. Le chœur est cependant un chœur du jugement dernier, de la
résurrection, de la seconde venue, et quelque part de l'apocalypse.
Mais le plus intéressant est la nef. La nef (dite chœur)
des moines compte quatre arches et donc cinq colonnes. Si on considère la
galerie qui fait suite au jubé on a cinq arches et six colonnes. Si on
considère l'entier de la nef on a huit arches et neuf colonnes. L'abbatiale n'a
pas de vrai narthex, même si la première travée qui contient le buffet d’orgues
(bien plus tardif) est légèrement plus large de chaque côté. Et ce de chaque
côté: répéter pour bien faire entendre. La logique de ces chiffres est
extrêmement claire:
quatre la crucifixion
cinq la trahison satanique
six le nombre de Salomon, donc les
Juifs
huit la résurrection, la seconde venue
et le jugement dernier
neuf la bête de l'apocalypse
L'ingénieur ou l'architecte des bâtiments historiques ou
de France n'a rien dit de cela ce dimanche 29 juin 2014. On a ici un chœur
comme une nef qui sont entièrement construits sur la résurrection, la seconde
venue, l'apocalypse, le jugement dernier le tout contenant la crucifixion, la
trahison et le tout sous responsabilité des Juifs. Cet antisémitisme n'a pas à
surprendre au 13ème siècle, mais oublier de donner cette richesse
architecturale c'est ignorer que la commande se faisait par un commanditaire
(ici le Pape Clément VI) qui demande à ce que l'église représente un évènement,
de toute évidence ici c'est la résurrection, la seconde venue et le jugement
dernier. L'architecte (en fait le maître constructeur) traduisait alors en
chiffre cet évènement et en figures géométriques représentant ces chiffres.
Chantal Lamesch a depuis longtemps démontré cela par le plan au sol. Et ce
n'est qu'alors que les constructeurs commençaient le travail avec trois outils
seulement: une équerre, un compas (ou rapporteur) et un fil à plomb, sans
compter bien sûr la règle à mesurer. Cette richesse a été perdue.
Vérifiez les colonnes et les arches sur ce plan. Négligez
les points rouges qui correspondent à tout autre chose.
Ceci dit, quel plaisir de découvrir la musique de Michel Corrette sur cet
orgue, une musique parfaitement adaptée à ces orgues et cette architecture.
Elle sonne juste jusqu’au denier bémol et au premier dièse. C’est la musique
dont cette Abbatiale a besoin pour rutiler de tous ses feux.
En plus le choix contient six Offertoires que l’on croyait perdus et qui
sont sortis d’une collection privée et que la Bibliothèque Nationale a rachetés
très récemment. L’Offertoire de La Saint Dominique, en création mondiale (comme
les autres Offertoires), ouvre le CD avec les grands jeux si célèbres mais qui
ne sont pas écrasants car ils trouvent dans l’Abbatiale le volume nécessaire
pour se déployer sans nous faire souffrir de leur poids. Bref ils expriment la
puissance de Dieu et donc nous élèvent vers celui-ci et ne nous écrasent pas
dans la terre, dans la poussière.
Le Magnificat en la mineur qui suit joue, quant à lui, sur toutes les
nuances de la légèreté, de la bonhommie, de l’intime, du discret, et de
quelques autres dimensions dans cette direction. J’aime particulièrement le
« Récit de trompette » qui est enjoué, gai et tente de nous
réconcilier avec la vie qui mérite vraiment d’être vécue aussi longtemps et
intensément que possible. Et la « Musette » qui suit ne me démentira
pas, au contraire, même si cette musette est un peu lente, cette musique
populaire remise en forme pour la cour et un usage non plus frivole mais
fervent. Et un dernier petit tour du Grand-jeu pour conclure mais juste
modérément pour nous entraîner vers la joie magnifique de cette célébration.
L’offertoire de la Saint Benoist démarre comme une marche vivace de fête
foraine, de cirque, un défilé d’animaux fiers et heureux d’être. Une musique
populaire en diable dans un offertoire, serait-ce une provocation ou encore un
appel du coude ou du pied. Jésus préférait, semble-t-il la compagnie des
pécheurs plutôt que celle des riches Romains ou des puissants prêtres du
Temple. Qui a dit que les orgues d’une Abbatiale ne pourrait pas accompagner
une danse macabre en forme de farandole ?
L’offertoire de Saint Louis lui est en forme de chasse à coure, de
poursuite pas effrénée ni essoufflée mais bien soutenue comme un jogging du
lundi matin quand il faut repasser le collier sur la chemise fraichement
repassée. Mais après quoi court-on ? Le plaisir serait-il dans la simple
course ? Probablement.
Revenons aux choses sérieuses avec un grand Kyrie en forme de fugue, ce qui
n’est pas bien difficile car sa forme originale à ce Kyrie est justement une
fugue de Kyrie en Christe. Eleison, mes frères, surtout que cette musique plus
formelle devient aisément un peu pompeuse, certainement moins créatrice. Le
quatuor qui suit commence fort avec une basse profonde en arrière plan. Mais la
musique semble tourner sur elle-même et progressivement s’enfoncer, même se dévitaliser.
Se reprendra-t-elle ? Eh bien non, elle reste rengaine, ritournelle
jusqu’au bout, lassante, lassée, enroulée sur elle-même comme au cœur de
l’hiver au coin du feu.
L’offertoire de La Saint Pierre et Saint Paul, cette église faite de deux
églises dédiés à deux saint rue de Rivoli à Paris et qui aurait en Louisiane,
la grande Louisiane ses deux villes jumelles face à face sur un Mississippi ou
un Missouri locaux. On me dit que le majeur et le mineur s’associent pour ces
deux saints. Normal, puisqu’ils sont deux et si différents, bien qu’alliés dans
la vulgate de l’invention de l’Eglise Catholique. Saint Pierre et Saint Paul
associés contre – ou pour compenser la mort de – Saint Jacques lapidé en 62 de
notre ère. Saint Pierre, celui qui renie trois fois avant que le coq ne chante,
et Saint Paul l’autoproclamé apôtre des Gentils, des non-juifs.
L’offertoire de la Renommée revient à un style plus simple, légèrement
dialogué mais sans que le moindre conflit n’apparaisse dans cette louange
que l’on assume être de bonne renommée. Il travaille les aspects tournants,
virevoltants qui émergent en ce 18ème siècle avec Bach et Mozart,
mais sans avoir la légèreté de Mozart, ni heureusement la lourdeur rustique de
Bach. C’est gentil. Musique bien française pour sûr.
Mais « Les Folies d’Espagne » sont autrement créatrices. C’était
du clavecin originellement et cela se sent. C’est même presque moderne d’une
certaine façon. On entend des sonorités, des tempi qui pourraient ici et là ne
pas dépareiller dans du Stravinsky. Est-ce l’arrangement pour orgue qui donne à
cette musique cet aspect moderne ou est-ce originellement dans la musique pour
le clavecin ?
Par contre « La Prise de Jéricho », elle aussi arrangée pour
orgue à partir du clavecin, est beaucoup trop lourde, brutale, violente. On
n’entend que les murs tomber alors qu’on aimerait entendre les âmes s’élever,
les âmes peut-être souffrir de leur perte, mais pas dans cette force excessive.
Le clavecin serait autrement plus délicat et spirituel. Et c’est bien le choix
de l’arrangeur.
« Les Etoiles » viennent aussi du clavecin et là l’orgue joue sur
les claviers et registres légers. Ce sont bien des étoiles dans le ciel et pas
une pluie d’astéroïdes. Il y a aussi comme l’expression de l’immensité calme du
ciel étoilé, ou rien de brusque ne se produit, si ce n’est des scintillements
dans l’obscurité céleste, des scintillements qui nous parlent, nous clignent de
tous leurs yeux.
« Les Idées Heureuses » sont un contre-sens lexical car les Idées
n’ont pas d’âme ni d’esprits et elles ne peuvent être ni heureuses ni
malheureuses même si elles peuvent apporter la désolation et la mort quand
elles sont mal utilisées. Il y a une sorte de nostalgie triste derrière, en
arrière plan, avec une sorte de faux écho dans le plus grave, le plus profond.
Une idée peut passer d’une application heureuse à une application malheureuse
en un clin d’œil et rien n’est tout à fait plein ni tout à fait vide. Jouons
donc sur les demi-temps, les demi-teintes.
« La Fest Sauvage » est populaire dans son démarrage. On imagine
que cette musique carrément grivoise au clavecin dans un salon de noblesse
devait faire frémir quelques vieux nobles mais devait donner des émois à
quelques jeunes dans l’assemblée, ce qui devait provoquer l’ire encore plus
lourd des vieux de juste avant.
L’offertoire de la Saint François ramène les grands jeux en joue et nous
bombarde d’une musique qui doit nous inspirer de l’effroi et de la soumission
j’imagine devant le miracle de la consécration, de l’Eucharistie. Cela devient
un peu plus doux, comme pour nous donner
une minute pour réfléchir à notre sort si nous ne nous soumettons pas. Il est
vrai que cette alternance de grands jeux et de moments de douceur passent bien
dans l’Abbatiale, mais le sens m’ennuie un peu.
La suite du 3ème et du 4ème ton se déroule en neuf
morceaux pour la plupart très courts, neuf comme le nombre de piliers dans
l’Abbatiale, comme l’Apocalypse que chante cette Abbatiale. Qui a fait ce choix
signifiant ? « Le Récit de hautbois » pâtit un peu de la
répétition systématique des phrases comme si on avait un menuet, un peu lent à
vrai dire, et déplacé dans ce lieu sacré. Heureusement que le « Duo »
qui suit retrouve un peu de vigueur. Mais la « Musette » qui suit
revient à un rythme lent et une musique certainement pas populaire, et à
nouveau répétitive. Quelle étrange idée de répéter toutes les phrases. La
variation des registres introduit un peu de surprise pour quelques secondes.
Les « Flûtes » du morceau suivant sont un peu plus dynamiques et moins
endormies. Le « Récit à la basse » Nous réveille un peu par un
tantinet de puissance mais l’écho, la répétition est effacée par la
superposition de phrases. Cela mène directement au grand jeu final qui a une
certaine mélodie ou harmonie mais la force ne permet pas à ces morceaux de
phrases mélodieusement attirantes de réussir leur attrait.
On peut alors conclure avec le « Carillon » de Noël. La forme du
canon du début se retricote ensuite en un entremaillage plus subtil qui permet
à quelques bribes de phrases mélodieuses de surnager. A trois minutes six
secondes la facture musicale change et devient alors une sorte de musique
minimaliste qui se fonde sur des répétitions rapides de deux ou trois notes
avant que le Grand Jeu ne reprennent la haute main.
Les grandes orgues ont un potentiel monumental de polyrythmie mais cette
forme de musique typiquement africaine qui a transité aux USA pour nous revenir
aujourd’hui ne semble pas avoir attiré l’attention des organistes. Avec quatre
claviers et un pédalier, avec quatre mains en plus on peut avoir une riche
architecture de trois ou quatre lignes rythmiques s’articulant les unes sur les
autres. Les grandes orgues, hélas enfermées dans leurs églises, devraient
pouvoir offrir une richesse rythmique à la musique qui jusqu’à présent n’a pas
encore été exploitée.
Dr Jacques COULARDEAU
# posted by Dr. Jacques COULARDEAU @ 8:49 AM